L’Encyclopédie/1re édition/ACCELERATION
ACCELERATION, s. f. C’est l’accroissement de vîtesse dans le mouvement d’un corps. V. Vitesse & Mouvement.
Accélération est opposé à retardation, terme par lequel on entend la diminution de vîtesse. Voyez Retardation.
Le terme d’accélération s’emploie particulierement en Physique, lorsqu’il est question de la chûte des corps pesans qui tendent au centre de la terre par la force de leur gravité. Voyez Gravité & Centre.
Que les corps en tombant soient accélérés, c’est une vérité démontrée par quantité de preuves, du moins à posteriori : ainsi nous éprouvons que plus un corps tombe de haut, plus il fait une forte impression, plus il heurte violemment la surface plane, ou autre obstacle qui l’arrête dans sa chûte.
Il y a eu bien des systèmes imaginés par les Philosophes pour expliquer cette accélération. Quelques-uns l’ont attribuée à la pression de l’air : plus, disent-ils, un corps descend, plus le poids de l’atmosphere qui pese dessus est considérable, & la pression d’un fluide est en raison de la hauteur perpendiculaire de ses colonnes : ajoutez, disent-ils, que toute la masse du fluide pressant par une infinité de lignes droites qui se rencontrent toutes en un point, savoir, au centre de la terre, ce point où aboutissent toutes ces lignes soûtient pour ainsi dire la pression de toute la masse : conséquemment plus un corps en approche de près, plus il doit sentir l’effet de la pression qui agit suivant des lignes prêtes à se réunir. Voyez Air & Atmosphere.
Mais ce qui renverse toute cette explication, c’est que plus la pression de l’air augmente, plus augmente aussi la résistance ou la force avec laquelle ce même fluide tend à repousser en enhaut le corps tombant. Voyez Fluide.
On essaye pourtant encore de répondre que l’air à mesure qu’il est plus proche de la terre, est plus grossier & plus rempli de vapeurs & de particules hétérogenes qui ne sont point un véritable air élastique ; & l’on ajoûte que le corps, à mesure qu’il descend, trouvant toûjours moins de résistance de la part de l’élasticité de l’air, & cependant étant toûjours déprimé par la même force de gravité qui continue d’agir sur lui, il ne peut pas manquer d’être accéléré. Mais on sent assez tout le vague & le peu de précision de cette réponse : d’ailleurs, les corps tombent plus vîte dans le vuide que dans l’air. Voyez Pneumatique. Voyez aussi Elasticité.
Hobbes, Philosop. Probl. c. I. p. 3. attribue l’accélération à une nouvelle impression de la cause qui produit la chûte des corps, laquelle selon son principe est aussi l’air : en même tems, dit-il, qu’une partie de l’atmosphere monte, l’autre descend : car en conséquence du mouvement de la terre, lequel est composé de deux mouvemens, l’un circulaire, l’autre progressif, il faut aussi que l’air monte & circule tout à la fois. De-là il s’ensuit que le corps qui tombe dans ce milieu, recevant à chaque instant de sa chûte une nouvelle pression, il faut bien que son mouvement soit accéléré.
Mais pour renverser toutes les raisons qu’on tire de l’air par rapport à l’accélération, il suffit de dire qu’elle se fait aussi dans le vuide comme nous venons de l’observer.
Voici l’explication que les Péripatéticiens donnent du même phénomene. Le mouvement des corps pesans en enbas, disent-ils, vient d’un principe intrinseque qui les fait tendre au centre, comme à leur place propre & à leur élément, où étant arrivés ils seroient dans un repos parfait : c’est pourquoi, ajoûtent-ils, plus les corps en approchent, plus leur mouvement s’accroît : sentiment qui ne mérite pas de réfutation.
Les Gassendistes donnent une autre raison de l’accélération : ils prétendent qu’il sort de la terre des especes de corpuscules attractifs, dirigés suivant une infinité de filets directs qui montent & descendent ; que ces filets partant comme des rayons d’un centre commun, deviennent de plus en plus divergens à mesure qu’ils s’en éloignent ; en sorte que plus un corps est proche du centre, plus il supporte de ces filets attractifs, plus par conséquent son mouvement est accéléré. Voyez Corpuscules & Aimant.
Les Cartésiens expliquent l’accélération par des impulsions réitérées de la matiere subtile éthérée, qui agit continuellement sur les corps tombans, & les pousse en enbas. V. Cartésianisme, Ether, Matiere subtile, Pesanteur, &c.
La cause de l’accélération ne paroîtra pas quelque chose de si mystérieux, si on veut faire abstraction pour un moment de la cause qui produit la pesanteur, & supposer seulement avec Galilée que cette cause ou force agit continuellement sur les corps pesans ; on verra facilement que le principe de la gravitation qui détermine le corps à descendre, doit accélérer ces corps dans leur chûte par une conséquence nécessaire. Voyez Gravitation.
Car le corps étant une fois supposé déterminé à descendre, c’est sans doute sa gravité qui est la premiere cause de son commencement de descente : or quand une fois sa descente est commencée, cet état est devenu en quelque sorte naturel au corps ; de sorte que laissé à lui-même il continueroit toûjours de descendre, quand même la premiere cause cesseroit ; comme nous voyons dans une pierre jettée avec la main, qui ne laisse pas de continuer de se mouvoir après que la cause qui lui a imprimé le mouvement a cessé d’agir. Voyez Loi de la Nature & Projectile
Mais outre cette détermination à descendre, imprimée par la premiere cause, laquelle suffiroit pour continuer à l’infini le même degré de mouvement une fois commencé, il s’y joint perpétuellement de nouveaux efforts de la même cause, savoir de la gravité, qui continue d’agir sur le corps déja en mouvement, de même que s’il étoit en repos.
Ainsi, y ayant deux causes de mouvement qui agissent l’une & l’autre en même direction, c’est-à-dire vers le centre de la terre, il faut nécessairement que le mouvement qu’elles produisent ensemble soit plus considérable que celui que produiroit l’une des deux. Et tandis que la vîtesse est ainsi augmentée, la même cause subsistant toûjours pour l’augmenter encore davantage, il faut nécessairement que la descente soit continuellement accélérée.
Supposons donc que la gravité, de quelque principe qu’elle procede, agisse uniformément sur tous les corps à égale distance du centre de la terre : divisant le tems que le corps pesant met à tomber sur la terre, en parties égales infiniment petites, cette gravité poussera le corps vers le centre de la terre dans le premier instant infiniment court de la descente : si après cela on suppose que l’action de la gravité cesse, le corps continueroit toûjours de s’approcher uniformément du centre de la terre avec une vîtesse infiniment petite égale à celle qui résulte de la premiere impression.
Mais ensuite si l’on suppose que l’action de la gravité continue, dans le second instant le corps recevra une nouvelle impulsion vers la terre, égale à celle qu’il a reçûe dans le premier ; par conséquent sa vîtesse sera double de ce qu’elle étoit dans le premier instant : dans le troisieme instant elle sera triple ; dans le quatrieme quadruple ; & ainsi de suite : car l’impression faite dans un instant précédent n’est point du tout altérée par celle qui se fait dans l’instant suivant ; mais elles sont, pour ainsi dire, entassées & accumulées l’une sur l’autre.
C’est pourquoi comme les instans de tems sont supposés infiniment petits, & tous égaux les uns aux autres, la vîtesse acquise par le corps tombant sera dans chaque instant comme les tems depuis le commencement de la descente, & par conséquent la vîtesse sera proportionnelle au tems dans lequel elle est acquise.
De plus l’espace parcouru par le corps en mouvement pendant un tems donné, & avec une vîtesse donnée, peut être considéré comme un rectangle composé du tems & de la vîtesse. Je suppose donc A (Pl. de Mechan. fig. 64.) le corps pesant qui descend, AB le tems de la descente ; je partage cette ligne en un certain nombre de parties égales qui marqueront les intervalles ou portions du tems donné, savoir AC, CE, EG, &c. je suppose que le corps descend durant le tems exprimé par la premiere des divisions AC, avec une certaine vîtesse uniforme provenant du degré de gravité qu’on lui suppose ; cette vîtesse sera representée par AD, & l’espace parcouru, par le rectangle CAD.
Or l’action de la gravité ayant produit dans le premier moment la vîtesse AD dans le corps précédemment en repos ; dans le second moment elle produira la vîtesse CF, double de la précédente ; dans le troisieme moment à la vîtesse CF sera ajoûté un degré de plus, au moyen duquel sera produite la vîtesse EH triple de la premiere, & ainsi du reste ; de sorte que dans tout le tems AB, le corps aura acquis la vîtesse BK : après cela prenant les divisions de la ligne qu’on voudra, par exemple les divisions AC, CE, &c. pour les tems, les espaces parcourus pendant ces tems seront comme les aires ou rectangles CD, EF, &c. en sorte que l’espace décrit par le corps en mouvement, pendant tout le tems AB, sera égal à tous les rectangles, c’est-à-dire, à la figure dentelée ABK.
Voilà ce qui arriveroit si les accroissemens de vîtesse se faisoient, pour ainsi dire, tout-à-coup, au bout de certaines portions finies de tems ; par exemple, en C, en E, &c. en sorte que le degré de mouvement continuât d’être le même jusqu’au tems suivant où se feroit une nouvelle accélération.
Si l’on suppose les divisions ou intervalles de tems plus courts, par exemple, de moitié ; alors les dentelures de la figure seront à proportion plus serrées, & la figure approchera plus du triangle.
S’ils sont infiniment petits, c’est-à-dire, que les accroissemens de vîtesse soient supposés être faits continuellement & à chaque particule de tems indivisible, comme il arrive en effet ; les rectangles ainsi successivement produits formeront un véritable triangle, par exemple, ABE, Fig. 65, tout le tems AB consistant en petites portions de tems A1, A2, &c. & l’aire du triangle ABE en la somme de toutes les petites surfaces ou petits trapezes qui répondent aux divisions du tems ; l’aire ou le triangle total exprime l’espace parcouru dans tout le tems AB.
Or les triangles ABE, A1f, étant semblables, leurs aires sont l’une à l’autre comme les quarrés de leurs côtés homologues AB, A1, &c. & par conséquent les espaces parcourus sont l’un à l’autre, comme les quarrés des tems.
De-là nous pouvons aussi déduire cette grande loi de l’accélération : « qu’un corps descendant avec un mouvement uniformément accéléré, décrit dans tout le tems de sa descente un espace qui est précisément la moitié de celui qu’il auroit décrit uniformément dans le même tems avec la vîtesse qu’il auroit acquise à la fin de sa chûte ». Car, comme nous l’avons déjà fait voir, tout l’espace que le corps tombant a parcouru dans le tems AB, sera représenté par le triangle ABE ; & l’espace que ce corps parcourroit uniformément en même tems avec la vitesse BE, sera représenté par le rectangle ABEF : or on sait que le triangle est égal précisément à la moitié du rectangle. Ainsi l’espace parcouru sera la moitié de celui que le corps auroit parcouru uniformément dans le même tems avec la vîtesse acquise à la fin de sa chûte.
Nous pouvons donc conclurre, 1°. que l’espace qui seroit uniformément parcouru dans la moitié du tems AB avec la derniere vîtesse acquise BE, est égal à celui qui a été réellement parcouru par le corps tombant pendant tout le tems AB.
2°. Si le corps tombant décrit quelque espace ou quelque longueur donnée dans un tems donné ; dans le double du tems, il la décrira quatre fois ; dans le triple, neuf fois, &c. En un mot, si les tems sont dans la proportion arithmétique, 1, 2, 3, 4, &c. les espaces parcourus seront dans la proportion 1, 4, 9, 16, &c. c’est-à-dire, que si un corps décrit, par exemple, 15 piés dans la premiere seconde de sa chûte, dans les deux premieres secondes prises ensemble, il décrira quatre fois 15 piés ; neuf fois 15 dans les trois premieres secondes prises ensemble, & ainsi de suite.
3°. Les espaces décrits par le corps tombant dans une suite d’instans ou intervalles de tems égaux, seront comme les nombres impairs 1, 3, 5, 7, 9, &c. c’est-à-dire, que le corps qui a parcouru 15 piés dans la premiere seconde, parcourra dans la seconde trois fois 15 piés, dans la troisieme cinq fois 15 piés, &c. Et puisque les vîtesses acquises en tombant sont comme les tems, les espaces seront aussi comme les quarrés des vîtesses ; & les tems & les vîtesses en raison soûdoublées des espaces.
Le mouvement d’un corps montant ou poussé en en-haut est diminué ou retardé par le même principe de gravité agissant en direction contraire, de la même maniere qu’un corps tombant est accéléré. Voyez Retardation.
Un corps lancé en haut s’éleve jusqu’à ce qu’il ait perdu tout son mouvement ; ce qui se fait dans le même espace de tems que le corps tombant auroit mis à acquérir une vitesse égale à celle avec laquelle le corps lancé a été poussé en en-haut.
Et par conséquent les hauteurs auxquelles s’élevent des corps lancés en en-haut avec différentes vîtesses, sont entr’elles comme les quarrés de ces vîtesses.
Accélération des corps sur des plans inclinés. La même loi générale qui vient d’être établie pour la chûte des corps qui tombent perpendiculairement, a aussi lieu dans ce cas-ci. L’effet du plan est seulement de rendre le mouvement plus lent. L’inclinaison étant par-tout égale ; l’accélération, quoiqu’à la vérité moindre que dans les chûtes verticales, sera égale aussi dans tous les instans depuis le commencement jusqu’à la fin de la chûte. Pour les lois particulieres à ce cas, Voyez l’article Plan incliné.
Galilée découvrit le premier ces lois par des expériences, & imagina ensuite l’explication que nous venons de donner de l’accélération.
Sur l’accélération du mouvement des pendules, Voyez Pendule.
Sur l’accélération du mouvement des projectiles. Voyez Projectile.
Sur l’accélération du mouvement des corps comprimés, lorsqu’ils se retablissent dans leur premier état & reprennent leur volume ordinaire, Voyez Compression, Dilatation, Cordes, Tension, &c.
Le mouvement de l’air comprimé est accéléré, lorsque par la force de son élasticité il reprend son volume & sa dimension naturelle ; c’est une vérité qu’il est facile de démontrer de bien des manieres. Voyez Air, Elasticité.
Accélération est aussi un terme qu’on appliquoit dans l’Astronomie ancienne aux étoiles fixes. Accélération en ce sens étoit la différence entre la révolution du premier mobile & la révolution solaire ; différence qu’on évaluoit à 3 minutes 56 secondes. Voyez Etoile, Premier mobile, &c. (O)