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forces ; aller, entreprendre au-delà de ses forces ; le travail de l’Encyclopédie est au-dessus des forces de ceux qui se sont déchaînés contre ce livre. On a long-tems appellé forces de grands ciseaux (Voyez Forces, Arts méch.) ; & c’est pourquoi dans les états de la ligue on fit une estampe de l’ambassadeur d’Espagne, cherchant avec ses lunettes ses ciseaux qui étoient à terre, avec ce jeu de mots pour inscription, j’ai perdu mes forces.

Le style très-familier admet encore, force gens, forces gibier, force fripons, force mauvais critiques. On dit, à force de travailler il s’est épuisé ; le fer s’affoiblit à force de le polir.

La métaphore qui a transporté ce mot dans la Morale, en a fait une vertu cardinale. La force en ce sens est le courage de soûtenir l’adversité, & d’entreprendre des choses vertueuses & difficiles, animi fortitudo.

La force de l’esprit est la pénétration, & la profondeur, ingenii vis. La nature la donne comme celle du corps ; le travail modéré les augmente, & le travail outré les diminue.

La force d’un raisonnement consiste dans une exposition claire, des preuves exposées dans leur jour, & une conclusion juste ; elle n’a point lieu dans les théorèmes mathématiques, parce qu’une démonstration ne peut recevoir plus ou moins d’évidence, plus ou moins de force ; elle peut seulement procéder par un chemin plus long ou plus court, plus simple ou plus compliqué. La force du raisonnement a sur-tout lieu dans les questions problématiques. La force de l’éloquence n’est pas seulement une suite de raisonnemens justes & vigoureux, qui subsisteroient avec la sécheresse ; cette force demande de l’embonpoint, des images frappantes, des termes énergiques. Ainsi on a dit que les sermons de Bourdaloue avoient plus de force, ceux de Massillon plus de graces. Des vers peuvent avoir de la force, & manquer de toutes les autres beautés. La force d’un vers dans notre langue vient principalement de l’art de dire quelque chose dans chaque hémystiche :

Et monté sur le faîte, il aspire à descendre.
L’éternel est son nom, le monde est son ouvrage.


Ces deux vers pleins de force & d’élégance, sont le meilleur modele de la Poésie.

La force dans la Peinture est l’expression des muscles, que des touches ressenties font paroître en action sous la chair qui les couvre. Il y a trop de force quand ces muscles sont trop prononcés. Les attitudes des combattans ont beaucoup de force dans les batailles de Constantin, dessinées par Raphael & par Jules romain, & dans celles d’Alexandre peintes par le Brun. La force outrée est dure dans la Peinture, empoulée dans la Poésie.

Des philosophes ont prétendu que la force est une qualité inhérente à la matiere ; que chaque particule invisible, ou plûtôt monade, est doüée d’une force active : mais il est aussi difficile de démontrer cette assertion, qu’il le seroit de prouver que la blancheur est une qualité inhérente à la matiere, comme le dit le dictionnaire de Trévoux à l’article Inhérent.

La force de tout animal a reçu son plus haut degré, quand l’animal a pris toute sa croissance ; elle décroît, quand les muscles ne reçoivent plus une nourriture égale, & cette nourriture cesse d’être égale quand les esprits animaux n’impriment plus à ces muscles le mouvement accoûtumé. Il est si probable que ces esprits animaux sont du feu, que les vieillards manquent de mouvement, de force, à mesure qu’ils manquent de chaleur. Voyez les articles suivans. Article de M. de Voltaire.

Force, (Iconolog.) On représente la force sous la figure d’une femme vêtue d’une peau de lion,

appuyée d’une main sur un bout de colonne, & tenant de l’autre main un rameau de chêne. Elle est quelquefois accompagnée d’un lion.

Force, terme fort usité en Méchanique, & auquel les Méchaniciens attachent différens sens, dont nous allons detailler les principaux.

Force d’inertie, est la propriété qui est commune à tous les corps de rester dans leur état, soit de repos ou de mouvement, à moins que quelque cause étrangere ne les en fasse changer.

Les corps ne manifestent cette force, que lorsqu’on veut changer leur état ; & on lui donne alors le nom de résistance ou d’action, suivant l’aspect sous lequel on la considere. On l’appelle résistance, lorsqu’on veut parler de l’effort qu’un corps fait contre ce qui tend à changer son état ; & on la nomme action, lorsqu’on veut exprimer l’effort que le même corps fait pour changer l’état de l’obstacle qui lui résiste. Voyez Action, Cosmologie, & la suite de cet article.

Dans la définition de la force d’inertie, je me suis servi du mot de propriété, plûtôt que de celui de puissance ; parce que le second de ces mots semble désigner un être métaphysique & vague, qui réside dans le corps, & dont on n’a point d’idée nette ; au lieu que le premier ne désigne qu’un effet constamment observé dans les corps.

Preuves de la force d’inertie. On voit d’abord fort clairement qu’un corps ne peut se donner le mouvement à lui-même : il ne peut donc être tiré du repos que par l’action de quelque cause étrangere. De-là il s’ensuit que si un corps reçoit du mouvement par quelque cause que ce puisse être, il ne pourra de lui-même accélérer ni retarder ce mouvement. On appelle en général puissance ou cause motrice, tout ce qui oblige un corps à se mouvoir. Voyez Puissance, &c.

Un corps mis une fois en mouvement par une cause quelconque, doit y persister toûjours uniformément & en ligne droite, tant qu’une nouvelle cause différente de celle qui l’a mis en mouvement, n’agira pas sur lui, c’est-à-dire qu’à moins qu’une cause étrangere & différente de la cause motrice n’agisse sur ce corps, il se mouvra perpétuellement en ligne droite, & parcourra en tems égaux des espaces égaux.

Car, ou l’action indivisible & instantanée de la cause motrice au commencement du mouvement, suffit pour faire parcourir au corps un certain espace, ou le corps a besoin pour se mouvoir de l’action continuée de la cause motrice.

Dans le premier cas, il est visible que l’espace parcouru ne peut être qu’une ligne droite décrite uniformément par le corps mû : car (hyp.) passé le premier instant, l’action de la cause motrice n’existe plus, & le mouvement néanmoins subsiste encore : il sera donc nécessairement uniforme, puisqu’un corps ne peut accélérer ni retarder son mouvement de lui-même. De plus, il n’y a pas de raison pour que le corps s’écarte à droite plûtôt qu’à gauche ; donc dans ce premier cas, où l’on suppose qu’il soit capable de se mouvoir de lui-même pendant un certain tems, indépendamment de la cause motrice, il se mouvra de lui même pendant ce tems uniformément & en ligne droite.

Or un corps qui peut se mouvoir de lui-même uniformément & en ligne droite pendant un certain tems, doit continuer perpétuellement à se mouvoir de la même maniere, si rien ne l’en empêche : car supposons le corps partant de A, (fig. 32. Méchan.) & capable de parcourir de lui-même uniformément la ligne AB ; soient pris sur la ligne AB deux points quelconques C, D, entre A & B ; le corps étant en D est précisément dans le même état que