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dire de positif, sans les précisions que les seuls faits peuvent donner : la plûpart de ceux qui ont travaillé sur cette partie de la Physique, se sont attachés à ces déterminations fondamentales. Le P. Labée, jésuite, tourna ses vûes de ce côté-là. Wren, au commencement de l’établissement de la Société royale, pour faire ces expériences imagina une machine qui se vuidoit d’elle-même lorsqu’elle étoit pleine d’eau, & qui marquoit, par le moyen d’une aiguille, combien de fois elle se vuidoit. MM. Mariotte, Perrault, de la Hire, & enfin toutes les académies & les divers physiciens, ont continué à s’assûrer, suivant la diversité des climats & la différente constitution de chaque année, de la quantité d’eau pluviale. Il ne paroît pas qu’on se soit attaché à mesurer avec autant d’attention celle de l’eau évaporée, ou celle de la dépense des rivieres en différens endroits. Au défaut de ces déterminations locales, nous pouvons nous borner à des estimes générales, avec les restrictions qu’elles exigent.

Ces réflexions nous conduisent naturellement à l’hypothèse qui rapporte l’entretien des fontaines aux pluies. Pour établir cette opinion, & prouver que les pluies, les neiges, les brouillards, les rosées, & généralement toutes les vapeurs qui s’élevent tant de la mer que des continens, sont les seules causes qui entretiennent les fontaines, les puits, les rivieres, & toutes les eaux qui circulent dans l’atmosphere, à la surface, & dans les premieres couches du globe ; toute la question se réduit à constater 1o. si les vapeurs qui s’élevent de la mer & qui se résolvent en pluies, sont suffisantes pour fournir d’eau la superficie des continens & le lit des fleuves. 2o. si l’eau pluviale peut pénétrer les premieres couches de la terre, s’y rassembler, & former des réservoirs assez abondans pour entretenir les fontaines. Toutes les circonstances qui accompagnent ce grand phénomene du commerce perpétuel de l’eau douce avec l’eau de la mer, s’expliqueront naturellement après l’établissement de ces deux points importans.

§. I. Pour mettre la premiere proposition dans tout son jour, il ne faut que déterminer par le calcul la quantité d’eau qui peut s’élever de la mer par évaporation, celle qui tombe en pluie, en neige, &c. & enfin celle que les rivieres déchargent dans la mer : & au cas que les deux premieres quantités surpassent la derniere, la question est décidée.

La quantité de vapeurs qui s’élevent de la mer a été appréciée par M. Halley, transact. philosophiq. n°. 189. Il a trouvé par des observations assez précises, que l’eau salée au même degré que l’est ordinairement l’eau de la mer, c’est-à-dire celle qui a dissous une quantité de sel égale à la trente-deuxieme partie de son poids, & exposée à un degré de chaleur égal à celle qui regne dans nos étés les plus chauds, perd par évaporation la soixantieme partie d’un pouce d’eau en deux heures. Ainsi la mer perd une superficie d’un dixieme de pouce en douze heures.

Nous devons observer ici que plus l’eau est profonde, plus est grande la quantité de vapeurs qui s’en éleve, toutes les autres circonstances restant les mêmes. Ce résultat établi par des expériences d’Halley, de MM. Kraft & Richman (Mém. de Petersbourg 1749.), détruit absolument une prétention de M. Kuhn, qui soûtient sans preuve que le produit de l’évaporation diminue comme la profondeur de l’eau augmente.

En nous attachant aux résultats de M. Halley, & après avoir déterminé la surface de l’Océan ou de quelques-uns de ses golfes, ou d’un grand lac comme la mer Caspienne & la mer Morte, on peut connoître combien il s’en éleve de vapeurs.

Car une surface de dix pouces quarrés perd tous les jours un pouce cubique d’eau, un degré quarré

trente-trois millions de tonnes. En faisant toutes les réductions des irrégularités du bassin de la mer Méditerranée, ce golfe a environ quarante degrés de longueur sur quatre de largeur, & son étendue superficielle est de cent soixante degrés quarrés ; par conséquent toute la Méditerranée, suivant la proportion ci-devant établie, doit perdre en vapeurs pour le moins 5,280,000,000 tonnes d’eau en douze heures dans un beau jour d’été.

A l’égard de l’évaporation des vents qui peut entrer pour beaucoup dans l’élévation des vapeurs & leur transport, il n’y a rien de fixe ; & nous pécherons plûtôt par défaut que par excès, en ne comprenant point ces produits dans notre évaluation.

En donnant à la mer Caspienne trois cents lieues de longueur & cinquante lieues de largeur, toute sa superficie sera de quinze mille lieues quarrées à vingt-cinq au degré, & par conséquent de vingt-quatre degrés quarrés. On aura sept cents quatre-vingt-douze millions de tonnes d’eau qui s’évaporent par jour de toute la surface de la mer Caspienne. Le lac Aral qui a cent lieues de longueur sur cinquante de largeur, ou huit degrés quarrés, perd deux cents soixante-quatre millions de tonnes d’eau. La mer Morte en Judée qui a 72 milles de long sur 18 milles de large, doit perdre tous les jours près de neuf millions de tonnes d’eau.

La plûpart des lacs n’ont presque d’autres voies que l’évaporation pour rendre l’eau que des rivieres très-considérables y versent : tels sont le lac de Morago en Perse, celui de Titicaca en Amérique, tous ceux de l’Afrique qui reçoivent les rivieres de la Barbarie qui se dirigent au sud. Voyez Lac.

Pour avoir une idée de la masse immense du produit de l’évaporation qui s’opere sur toute la mer, nous supposerons la moitié du globe couverte par la mer, & l’autre partie occupée par les continents & les îles ; la surface de la terre étant de 171,981,012 milles quarrés d’Italie, à 60 au degré, la surface de la mer sera de 85990506 milles quarrés, ce qui donnera 47,019,786,000,000 de tonnes d’eau par jour.

En comparant maintenant cette quantité d’eau avec celle que les fleuves y portent chaque jour, on pourra voir quelle proportion il y a entre le produit de l’évaporation & la quantité d’eau qui rentre dans le bassin de la mer par les fleuves. Pour y parvenir nous nous attacherons au Pô, dont nous avons des détails assûrés. Ce fleuve arrose un pays de 380 milles de longueur ; sa largeur est de cent perches de Boulogne ou de mille piés, & sa profondeur de 10 piés. (Ricciol. Géog. réformat. page…) Il parcourt quatre milles en une heure, & il fournit à la mer vingt mille perches cubiques d’eau en une heure, ou 4800000 en un jour. Mais un mille cubique contient 125000,000 perches cubiques ; ainsi le Pô décharge en vingt-six jours un mille cubique d’eau dans la mer.

Resteroit à déterminer quelle proportion il y a entre le Pô & toutes les rivieres du globe, ce qui est impossible : mais pour le savoir à-peu-près, supposons que la quantité d’eau portée à la mer par les grandes rivieres de tous les pays, soit proportionnelle à l’étendue & à la surface de ces pays ; ce qui est très-vraissemblable, puisque les plus grands fleuves sont ceux qui parcourent une plus grande étendue de terrein : ainsi le pays arrosé par le Pô & par les rivieres qui y tombent de chaque côté, viennent des sources ou des torrens qui se ramifient à 60 milles de distance du canal principal. Ainsi ce fleuve & les rivieres qu’il reçoit arrosent ou plûtôt épuisent l’eau d’une surface de 380 milles de long sur 120 milles de large ; ce qui forme en tout 45,600 milles quarrés. Mais la surface de toute la partie seche du globe est,