L’Encyclopédie/1re édition/LAC
LAC, lacus, s. m. (Hist. nat.) c’est le nom qu’on donne à de grands amas d’eau, rassemblés au milieu d’un continent, renfermés dans des cavités de la terre, & qui occupent un espace fort étendu. En général un lac ne differe d’un étang que parce que l’étendue du premier est plus grande & son volume d’eau plus considérable.
On compte des lacs de plusieurs especes ; les uns reçoivent des rivieres & ont un écoulement sensible ; tel est le lac Léman ou lac de Géneve, qui est traversé par le Rhône, qui en ressort ensuite ; d’autres lacs reçoivent des rivieres & n’ont point d’écoulement sensible : la mer Caspienne peut être regardée comme un lac de cette espece ; elle reçoit le Wolga & plusieurs autres rivieres, sans que l’on remarque par où ses eaux s’écoulent. Il est à présumer que les eaux de ces sortes de lacs s’échappent par des conduits souterreins. Il y a des lacs qui ont des écoulemens sensibles sans qu’on s’apperçoive d’où l’eau peut leur venir. Dans ces cas on doit présumer qu’il y a au fond de ces lacs des sources qui leur fournissent sans cesse des eaux dont ils sont obligés de se débarrasser, faute de pouvoir les contenir. Enfin il y a des lacs qui ne reçoivent point de rivieres & qui n’ont point d’ecoulemens ; ceux de cette derniere espece ont ou perpétuellement de l’eau, ou n’en ont qu’en de certains tems. Dans le premier cas, ils sont formés par des amas d’eaux si considérables, qu’ils ne peuvent point entierement s’évaporer ; ou bien cela vient de ce que les cavités dans lesquelles ces eaux sont renfermées, sont trop profondes pour que toutes leurs eaux puissent disparoître avant que les pluies & les orages leur en aient rendu de nouvelles. Quant aux lacs qui n’ont de l’eau que pendant un certain tems, ils sont pour l’ordinaire produits par des inondations passageres des rivieres qui forment des amas d’eau qui ne subsistent qu’autant qu’il revient de nouveaux débordemens qui leur rendent ce qu’ils ont perdu par l’évaporation, ou par la filtration au-travers des terres.
Les lacs varient pour la qualité des eaux qu’ils contiennent ; il y en a dont les eaux sont douces, d’autres ont des eaux salées, d’autres sont mêlées de bitume qui nage quelquefois à leur surface, comme le lac de Sodome, que l’on appelle aussi mer morte. D’autres ont des eaux plus ou moins chargées de parties terreuses & propres à pétrifier, comme le lac de Neagh en Irlande. Voyez Lough-Neagh & Lough-Lene.
Différentes causes peuvent concourir à la formation des lacs ; telles sont sur-tout les inondations, soit de la mer, soit des riviéres, dont les eaux, portées avec violence par les vents sur des terres enfoncées, ne peuvent plus se retirer. C’est ainsi que paroît avoir été formé le lac connu en Hollande sous le nom de mer de Harlem ; la mer poussée avec force par les vents, a rompu les obstacles que lui opposoient les digues & les dunes ; ayant une fois inondé un pays, dont le niveau est au-dessous de celui de ses eaux, le terrein submergé a dû rester an même état.
Les tremblemens de terre & les embrasemens souterrains ont encore du produire un grand nombre de lacs. Ces feux, en minant continuellement le terrein, y forment des creux & des cavités plus ou moins grandes, qui venant à se remplir d’eau, soit des pluies, soit de l’intérieur même de la terre, montrent des lacs dans des endroits où il n’y en avoit point auparavant. Il est à présumer que c’est ainsi qu’a pû se former la mer Morte, ou le lac de Sodome en Judée. Il n’est point surprenant que les eaux de ces lacs soient chargées de parties bitumineuses, sulfureuses & salines, qui les rendent d’un goût & d’une odeur desagréables ; ces matieres sont dûes au terrein qui les environne, ce sont les produits des embrasemens qui ont formé ces sortes de lacs.
Toutes les parties de l’univers sont remplies de lacs, soit d’eaux douces, soit d’eaux salées, de différentes grandeurs ; ils présentent quelquefois des phénomènes très-dignes de l’attention des Physiciens. C’est ainsi qu’en Ecosse le lac de Ness ne gele jamais, quelque rigoureux que soit l’hiver, dans un pays déja très-froid par lui-même : ce lac est rempli de sources, & dans les tems de la plus forte gelée ses eaux ne perdent point leur fluidité, elles coulent pendant que tout est gelé aux environs. Voyez les Transactions philosophiques, n°. 253. On voit dans le même pays un lac appellé Loch-Monar, qui ne gele jamais avant le mois de Février, quelque rigoureux que soit l’hiver ; mais ce tems une fois venu, la moindre gelée fait prendre ses eaux. La même chose arrive à un autre petit lac d’Ecosse dans le territoire de Straherrick. Voyez les Transactions philosophiques, n°. 114.
De tous les phénomènes que présentent les différens lacs de l’univers, il n’y en a point de plus singuliers, ni de plus dignes de l’attention des Naturalistes que ceux du fameux lac de Cirknitz en Carniole ; il a la propriété de se remplir & de se vuider alternativement suivant que la saison est séche ou pluvieuse. Les eaux de ce lac se perdent par dix huit trous ou entonnoirs qui sont au fond de son bassin. En hiver il est ordinairement rempli d’eau, à moins que la saison ne fût très-seche ; mais en été, lorsque la sécheresse a duré quelque tems, il se vuide entierement en vingt-cinq jours ; cependant, pour peu qu’il pleuve fortement pendant deux ou trois jours de suite, l’eau commence à y revenir. Lorsque le lac de Cirknitz est à sec, les habitans du pays vont y prendre, pour ainsi dire à la main, tout le poisson qui s’y trouve privé de son élément ; cela n’empêche point que, lorsque l’eau y revient, l’on n’y retrouve de nouveau une quantité prodigieuse de très grands poissons, & entre autres des brochets qui pesent depuis 50 jusqu’à 70 livres. Si la sécheresse dure pendant long-tems, on peut y pêcher, y chasser, & y faire la récolte dans une même année. Ce lac n’a point de saison fixe pour se mettre à sec ; tout dépend uniquement de la sécheresse de la saison, une pluie d’orage suffit quelquefois pour le remplir. Ce lac est fort élevé relativement au terrein des environs ; la terre y est remplie de trous ; cela peut donc aisément faire concevoir la raison pourquoi il est sujet à se vuider, lorsqu’il ne va plus s’y rendre d’eau ; mais comme il est environné de montagnes de tous côtés, pour peu qu’il tombe d’eau de pluie, elle se ramasse dans les cavernes & cavités dont ces montagnes sont remplies ; alors ces eaux, amoncelées dans ces creux, forcent par leur poids les eaux renfermées dans le réservoir souterrein qui est au-dessous du lac à remonter, & à s’élever par les mêmes trous par lesquels elles s’étoient précédemment écoulées. En effet, il faut nécessairement supposer qu’au-dessous du bassin du lac de Cirknitz, il y a un autre lac souterrein ou un réservoir immense, dont les eaux s’élevent lorsque les cavernes qui y communiquent par dessous terre ont été remplies par les pluies. Ces nouvelles eaux, par leur pression & leur poids, forcent les eaux du réservoir souterrein à monter ; cela se fait de la même maniere que dans les jets d’eaux ordinaires qui sont dans nos jardins. En effet, à la suite des grandes pluies, on voit jaillir l’eau par quelques-uns des trous jusqu’à la hauteur de 15 à 20 piés ; & quand la pluie continue, le bassin du lac se trouve rempli de nouveau quelquefois en moins de vingt-quatre heures. C’est par ces mêmes trous que revient le poisson que l’on y retrouve ; quelquefois même on a vû des canards sortir par ces ouvertures, ce qui prouve d’une maniere incontestable la présence du réservoir souterrein, dont on a parlé, & qu’il doit communiquer à des eaux qui aboutissent à la surface de la terre. Ce lac, que les habitans du pays nomment Zirknisku-jeseru, a environ deux lieues de longueur & une lieue de largeur, & sa plus grande profondeur, à l’exception des trous, est d’environ 24 piés.
M. Gmelin, dans son voyage de Sibérie, dit que tout le terrein qui se trouve entre les rivieres d’lrtisch & de Jaik est rempli d’un grand nombre de lacs d’eau douce & d’eau salée ; quelques-uns contiennent des poissons, & d’autres n’en contiennent point ; mais un phénomène très-singulier, c’est que quelques-uns de ces lacs qui contenoient autrefois de l’eau douce, sont devenus amers & salés, & ont pris une forte odeur de soufre, ce qui a fait mourir tous les poissons qui s’y trouvoient. Quelques-uns de ces lacs de Sibérie sont si chargés de sel qu’il le dépose au fond en très-grande quantité, & il y en a d’autres dont on obtient le sel par la cuisson ; celui qui s’appelle schimjale-kul est si salé, que deux seaux de son eau donnent jusqu’à vingt livres de sel. Quelquefois à très-peu de distance d’un de ces lacs salés, il s’en trouve d’autres dont l’eau est très-douce & bonne à boire. Il se forme dans ce pays des lacs nouveaux dans des endroits où il n’y en avoit point auparavant ; mais cet auteur remarque avec raison que rien n’est plus singulier ni plus digne de l’attention des Naturalistes, que ces changemens qui se font d’un lac d’eau douce en un lac d’eau amere & salée dans une partie du continent fort éloignée de la mer. Il est aussi fort surprenant de voir que quelques-uns de ces lacs se dessechent, tandis qu’il s’en forme de nouveaux en d’autres endroits. Voyez Gmelin, voyage de Sibérie.
Lac, (Hist. anc.) le respect pour les lacs faisoit partie de la religion des anciens Gaulois, qui les regardoient comme autant de divinités, ou au moins de lieux qu’elles choisissoient pour leur demeure ; ils donnoient même à ces lacs le nom de quelques dieux particuliers. Le plus célebre étoit celui de Toulouse, dans lequel ils jettoient, soit en especes, soit en barres ou en lingots l’or & l’argent qu’ils avoient pris sur les ennemis. Il y avoit aussi dans le Gevaudan, au pié d’une montagne, un grand lac consacré à la Lune, où l’on s’assembloit tous les ans des pays circonvoisins, pour y jetter les offrandes qu’on faisoit à la déesse. Strabon parle d’un autre lac très-célebre dans les Gaules, qu’on nommoit le lac des deux corbeaux, parce que deux de ces oiseaux y faisoient leur séjour ; & la principale cérémonie religieuse qui s’y pratiquoit, avoit pour but de faire décider par ces divins corbeaux les différends, soit publics, soit particuliers. Au jour marqué, les deux partis se rendoient sur les bords du lac, & jettoient aux corbeaux chacun un gâteau ; heureux celui dont ces oiseaux mangeoient le gâteau de bon appétit, il avoit gain de cause. Celui au contraire dont les corbeaux ne faisoient que becqueter & éparpiller l’offrande, étoit censé condamné par la bouche même des dieux ; superstition assez semblable à celle des Romains pour leurs poulets sacrés.
Lac des Iroquois, (Géog.) c’est le nom d’un grand lac de l’Amérique septentrionale, au Canada, dans le pays des Iroquois, au couchant de la Nouvelle Angleterre. Il est coupé dans sa pointe occidentale par le 305e degré de longitude, & dans sa partie septentrionale par le 45e degré de latitude. (D. J.)
Lac-majeur ou Lac-majour, (Géog.) ce lac, que les Italiens appellent lago maggiore, parce qu’il est le plus grand des trois lacs de la Lombardie, au duché de Milan, a beaucoup de longueur sur peu de largeur en général : c’est le Verbanus lacus des anciens. Il s’étend du nord au sud ; & dans l’étendue de 10 à 12 milles il appartient à la Suisse, mais dans tout le reste il dépend du duché de Milan. Il s’élargit considérablement dans le milieu de sa longueur, & forme un golfe à l’ouest, où sont les fameuses îles Borromées. Plusieurs belles rivieres, le Tésin, la Magia ou Madia & la Verzascha se jettent dans le lac-majour. Sa longueur, du septentrion au midi, est de 39 milles sur 5 ou 6 de large. (D. J.)
Lac-Maler, (Géog.) grand lac de Suede, entre le Westmanland & l’Upland au nord, & la Sudermanie au midi. Il s’étend d’occident en orient, reçoit un bon nombre de rivieres, & est coupé de plusieurs îles. (D. J.)
Lac supérieur, (Géog.) lac immense de l’Amérique septentrionale, au Canada. On l’a vraissemblablement ainsi nommé, parce qu’il est le plus septentrional des lacs de la Nouvelle France. C’est le plus grand que l’on connoisse dans le monde. On peut le considérer comme la source du fleuve de S. Laurent. On lui donne 200 lieues de l’est à l’ouest, environ 80 de large du nord au sud, & 500 de circuit. Son embouchure dans le lac Huron, est au quarante-cinquieme degré 28 minutes de latitude ; il se décharge par un détroit de 22 lieues de longueur. (D. J.)
Lac ou Las, (Maréchalerie.) cordage avec un nœud coulant destiné à abattre un cheval auquel on veut faire quelque opération. On appelle aussi las un cordage qui entre dans l’assemblage des machines qui servent à coupler les chevaux qu’on conduit en voyage.
Lac, (Soirie.) partie du métier d’étoffe de soie. Le lac est fait d’un gros fil qui forme d’un seul bout plusieurs boucles entrelacées dans les cordes du semple, voyez Semple & Soie, & qui tiennent à la gavassine, voyez Gavassine. La poignée de boucles s’appelle le lac. Quand la tireuse, voyez Tireuse, amene le lac à elle, elle amene aussi toutes les cordes de semple qu’elle doit tenir ; ces cordes sont comprises dans le lac. Voilà le lac ordinaire. Le lac à l’angloise est un entrelacement de fil qui prend toutes les cordes du semple les unes après les autres, pour aider à la séparation des prises quand on fait les lacs ordinaires. Le fil de lac a trois bouts, est fort ; il arrête par l’entrelacement suivi les cordes que la lisseuse a retenues avec l’embarbe, voyez Lire & nos Pl. de Soirie.
Lacs, (Rubannier.) ce sont des ficelles attachées aux marches, & qui de même sont attachées aux lames pour les faire baisser. On peut raccourcir ou allonger les lacs selon le besoin, au moyen d’un nœud pratiqué contre la marche ; il est à propos de dire ici que dans les ouvrages extrêmement lourds, c’est-à-dire sur lesquels il y a beaucoup de charge, ce qui rend le pas très-rude à lever, il faudroit que les lacs fussent doublés, afin que si pendant le travail l’un venoit à casser, l’autre du moins soutienne le fardeau ; précaution d’autant plus nécessaire, qu’on éviteroit par-là des accidens funestes qui souvent estropient les ouvriers. Voyez les Pl. de passementier-Rubanier.
Lac coulant, (Chasse.) ce sont des filets de corde ou de léton qu’on tend dans les haies, sillons, rigoles ou passages étroits, avec un nœud coulant dans lequel le gibier qui vient à passer se prend. Voyez les Pl. de pêche.
Lac, (Pêche.) piége qu’on tend aux oiseaux de mer. Les pêcheurs du bourg de l’Eguillon, dans le ressort de l’amirauté de Poitou ou des Sables d’Olonne, font la pêche des oiseaux marins de la maniere suivante. Ils plantent dans les marigots ou petites marres qui restent à la côte de basse mer, deux petits piquets de tamarins de deux à trois piés de haut qu’ils enfoncent dans les vases ; il y a une ficelle qui arrête les piquets par le haut ; au milieu de cette ficelle, pend un lac ou nœud coulant de crin ; les oiseaux marins de toute espece, qui sentent le flux & le reflux, restent communément autour des marres pour s’y nourrir de chevrettes & autres petits poissons du premier âge que la marée a laissés, & se prennent dans ces lacs tendus à fleur d’eau jusqu’à deux, trois, quatre, cinq cens, mille par pêche. Les nuits obscures sont favorables ; on ne réussit point aux clairs de lune. Il arrive quelquefois que les oiseaux emportent les lacs avec eux. Les pêcheurs ne ramassent leur prise qu’après que la marée s’est tout-à-fait retirée. Cette pêche ne commence qu’à la toussaint, & finit aux environs du carnaval.