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fluides, sinon qu’on doit regarder un fluide comme un amas de petits corpuscules élastiques qui se pressent les uns les autres, & que la conservation des forces vives a lieu, de l’aveu de tout le monde, dans le choc d’un système de corps de cette espece. Il me semble qu’une pareille preuve ne doit pas être regardée comme d’une grande force : aussi l’auteur paroît-il ne l’avoir donnée que comme une induction, & ne l’a même rappellée en aucune maniere dans son grand ouvrage sur les fluides, qui n’a vû le jour que plusieurs années après. Il paroît donc qu’il étoit nécessaire de prouver d’une maniere plus claire & plus exacte le principe dont il s’agit, appliqué aux fluides. Mais c’est ce qu’on ne peut faire sans calcul ; & sur quoi nous renvoyons à notre ouvrage, qui a pour titre, traité de l’équilibre & du mouvement des fluides.

Les principes dont je me suis servi pour déterminer le mouvement des fluides non élastiques, s’appliquent avec une extrème facilité aux lois du mouvement des fluides élastiques.

Le mouvement d’un fluide élastique differe de celui d’un fluide ordinaire, principalement par la loi des vîtesses de ses différentes couches. Ainsi, par exemple, lorsqu’un fluide non élastique coule dans un tuyau cylindrique, comme il ne change point de volume, ses différentes tranches ont toutes la même vîtesse. Il n’en est pas de même d’un fluide élastique. Car s’il ne se dilate que d’un côté, les tranches inférieures se meuvent plus vîte que les supérieures, à-peu-près comme il arrive à un ressort attaché à un point fixe, & dont les parties parcourent en se dilatant moins d’espace qu’elles sont plus proches de ce point. Telle est la différence principale qu’il doit y avoir dans la théorie du mouvement des fluides élastiques & de ceux qui ne le sont pas. La méthode pour trouver les lois de leur mouvement, & les principes qu’on employe pour cela, sont d’ailleurs entierement semblables.

C’est aussi en suivant cette même méthode, que l’on peut examiner le mouvement des fluides dans des tuyaux flexibles.

Je suis au reste bien éloigné de penser que la théorie que l’on peut établir sur le mouvement des fluides dans ces sortes de tuyaux, puisse nous conduire à la connoissance de la méchanique du corps humain, de la vîtesse du sang, de son action sur les vaisseaux dans lesquels il circule, &c. Il faudroit pour réussir dans une telle recherche, savoir exactement jusqu’à quel point les vaisseaux peuvent se dilater, connoître parfaitement leur figure, leur élasticité plus ou moins grande, leurs différentes anastomoses, le nombre, la force & la disposition de leurs valvules, le degré de chaleur & de tenacité du sang, les forces motrices qui le poussent, &c. Encore quand chacune de ces choses seroit parfaitement connue, la grande multitude d’élémens qui entreroient dans une pareille théorie, nous conduiroit vraissemblablement à des calculs impraticables. C’est en effet ici un des cas les plus composés d’un problème dont le cas le plus simple est fort difficile à résoudre. Lorsque les effets de la nature sont trop compliqués & trop peu connus pour pouvoir être soûmis à nos calculs, l’expérience, comme nous l’avons déjà dit, est le seul guide qui nous reste : nous ne pouvons nous appuyer que sur des inductions déduites d’un grand nombre de faits. Voilà le plan que nous devons suivre dans l’examen d’une machine aussi composée que le corps humain. Il n’appartient qu’à des physiciens oisifs de s’imaginer qu’à force d’algebre & d’hypothèses, ils viendront à-bout d’en dévoiler les ressorts, & de réduire en calcul l’art de guérir les hommes.

Ces réflexions sont tirées de la préface de l’ouvrage déjà cité, sur l’équilibre & le mouvement des fluides ; afin de ne point rendre cet article trop long, nous

renvoyons pour les réflexions que cette matiere peut fournir encore, aux mots Hydrostatique, Hydraulique, Hydrodynamique, à l’article Figure de la Terre, à l’ouvrage de M. Clairaut, sur ce même objet, & à l’ouvrage que nous avons donné en 1752, qui a pour titre, essai d’une nouvelle théorie de la résistance des fluides. On trouvera dans le chap. ij. de cet ouvrage, & sur-tout dans l’appendice à la fin du livre, des réflexions que je crois neuves & importantes sur les lois de l’équilibre des fluides, considéré sur-tout par rapport à la figure de la Terre ; on trouvera aussi dans les chap. jx. & x. de ce même ouvrage, des recherches sur le mouvement des fluides dans des vases, & sur celui des fleuves.

Après avoir donné une idée de la méthode pour trouver les lois du mouvement des fluides, il ne nous reste plus qu’à examiner leur action sur les corps solides qui y sont plongés, & qui s’y meuvent.

Quoique la physique des anciens ne fût, ni aussi déraisonnable, ni aussi bornée que le pensent ou que le disent quelques philosophes modernes, il paroît cependant qu’ils n’étoient pas fort versés dans les Sciences qu’on appelle Physico-Mathématiques, & qui consistent dans l’application du calcul aux phénomenes de la nature. La question de la résistance des fluides est une de celles qu’ils paroissent avoir le moins étudiées sous ce point de vûe. Je dis sous ce point de vûe ; car la connoissance de la résistance des fluides étant d’une nécessité absolue pour la construction des navires qu’ils avoient peut-être poussée plus loin que nous, il est difficile de croire que cette connoissance leur ait manqué jusqu’à un certain point : l’expérience leur avoit sans doute fourni des regles pour déterminer le choc & la pression des eaux ; mais ces regles, d’usage seulement & de pratique, & pour ainsi dire de pure tradition, ne sont point parvenues jusqu’à nous.

A l’égard de la théorie de cette résistance, il n’est pas surprenant qu’ils l’ayent ignorée. On doit même, s’il est permis de parler ainsi, leur tenir compte de leur ignorance, de n’avoir point voulu atteindre à ce qu’il leur étoit impossible de savoir, & de n’avoir point cherché à faire croire qu’ils y étoient parvenus. C’est à la plus subtile Géométrie, qu’il est permis de tenter cette théorie ; & la géométrie des anciens, d’ailleurs très-profonde & très-savante, ne pouvoit aller jusque-là. Il est vraissemblable qu’ils l’avoient senti ; car leur méthode de philosopher étoit plus sage que nous ne l’imaginons communément. Les géometres modernes ont sû se procurer à cet égard plus de secours, non parce qu’ils ont été supérieurs aux anciens, mais parce qu’ils sont venus depuis. L’invention des calculs différentiel & intégral nous a mis en état de suivre en quelque maniere le mouvement des corps jusque dans leurs élémens ou dernieres particules. C’est avec le secours seul de ces calculs, qu’il est permis de pénétrer dans les fluides, & de découvrir le jeu de leurs parties, l’action qu’exercent les uns sur les autres ces atomes innombrables dont un fluide est composé, & qui paroissent tout à la fois unis & divisés, dépendans & indépendans les uns des autres. Aussi le méchanisme intérieur des fluides, si peu analogue à celui des corps solides que nous touchons, & sujet à des lois toutes différentes, devroit être pour les Philosophes un objet particulier d’admiration, si l’étude de la nature, des phénomenes les plus simples, des élémens même de la matiere, ne les avoit accoûtumés à ne s’étonner de rien, ou plûtôt à s’étonner également de tout. Aussi peu éclairés que le peuple sur la nature des objets qu’ils considerent, ils n’ont & ne peuvent avoir d’avantage que dans la combinaison qu’ils font du peu de principes qui leur sont connus, & les conséquences qu’ils en tirent ; & c’est dans cette espece