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Feux d’Artifice, composition de matieres combustibles, faite dans les regles de l’art (Voyez Pyrotechnie), pour servir ou dans les grandes occasions de joie, ou dans la guerre, pour être employée comme arme offensive, ou comme moyen brillant de réjoüissance.

Le méchanisme d’un feu d’artifice dans les deux genres ; la partie physique qui guide sa composition, la géométrique qui la distribue, sont des objets déjà traités dans l’article Artifice ; dans les savans écrits de M. Frezier ; &, en 1750, dans un traité des feux d’artifice de M. Perrinet d’Orval, où la clarté, mille choses nouvelles, le desir d’en trouver encore beaucoup d’autres, l’indication des moyens pour y parvenir, montrent cette sagacité si utile aux progrès des Arts, cette étude assidue des causes & des effets, cette opiniâtreté dans les expériences, qui caractérisent à-la-fois une théorie profonde & une pratique sûre. Voyez l’article suivant.

Je ne crois point devoir toucher à ces objets ; je n’ai cherché à les connoître qu’autant qu’ils m’ont paru liés aux grands spectacles que les rois, les villes, les provinces, &c. offrent aux peuples dans les occasions solennelles : ils m’ont paru dans ce cas tenir & devoir être soûmis à des lois générales, qui furent toûjours la regle de tous les Arts.

L’artificier doit donc, par exemple, avoir devant les yeux sans cesse, en formant le plan de différens feux qu’il fait entrer dans sa composition, non-seulement de les assortir les uns avec les autres, de faire ressortir leurs effets par des contrastes, d’animer les couleurs par les mouvemens, & de donner à leur rapidité la plus grande ou la moindre vîtesse, &c. mais encore de combiner toutes ces parties avec le plan général du spectacle que la décoration indique.

Cette loi primitive fait assez pressentir le point fixe où l’art a toûjours voulu atteindre. Il est dans la nature de la chose même, que tout spectacle représente quelque chose : or on ne représente rien dans ces occasions, lorsqu’on ne peint que des objets sans action ; le mouvement de la fusée la plus brillante, si elle n’a point de but fixe, ne montre qu’une traînée de feu qui se perd dans les airs.

Ces feux d’artifice qui représentent seulement & comme en répétition, par les différens effets des couleurs, des mouvemens, des brillans du feu, la décoration sur laquelle ils sont posés, fût-elle du plus ingénieux dessein, n’auront jamais que le frivole mérite des découpures. Il faut peindre dans tous les Arts ; & dans ce qu’on nomme spectacle, il faut peindre par les actions. Les exemples de ce genre de feux d’artifice sont répandus dans les différens articles de l’Encyclopédie qui y ont quelque rapport. Voyez Fêtes, Fêtes de la Ville de Paris, &c.

Les Chinois ont poussé l’art pour la variété des formes, des couleurs, des effets, jusqu’au dernier période. Les Moscovites sont supérieurs au reste de l’Europe, dans les combinaisons des figures, des mouvemens, des contrastes du feu artificiel : pourquoi, dans le sein de la France, ne pourrions-nous pas, en adoptant tout ce que ces nations étrangeres ont déjà trouvé, inventer des moyens, des secours nouveaux, pour étendre les bornes d’un art dont les effets sont déjà fort agréables, & qui pourroient devenir aussi honorables pour les inventeurs, qu’honorables pour la nation ?

Y a-t-il eu encore rien d’aussi imposant en feu d’artifice, que le seroit le combat des bons anges contre les méchans ? Les airs sont le lieu de la scene, indiqué par l’action même ? Les détails sont offerts par le sublime Milton. Dessinez à votre imagination, échauffée par cette grande image, l’attaque, le combat, la chûte ; peignez-vous le spectacle magnifique de ce moment de triomphe des bons anges ; calcu-

lez les coups d’un effet sûr, qui naissent en foule de

ce grand sujet.

Mais il faudroit donc employer à tous ces spectacles des machines ? Et pourquoi non ? A quoi destinera-t-on ces ingénieuses ressources de l’art, si on les laisse oisives dans les plus belles occasions ? Sans doute qu’il faudroit donner à l’artifice du feu, dans ces représentations surprenantes, le secours des belles machines, qui en ranimant l’action, entretiendroient l’illusion qui est le charme le plus nécessaire. Les Arts ne sont-ils pas destinés à s’entre-aider & à s’unir ensemble ?

On vit à Paris, le 24 Janvier 1730, une fête aussi belle que toutes celles qu’on y avoit données dans les occasions d’éclat. J’en vais donner l’esquisse, parce qu’elle servira de preuve à la proposition que j’ai avancée sur l’action que je souhaite dans les feux d’artifice, & aux principes que je propose plus haut sur leur composition. Voyez Fêtes de la Cour.

La naissance de monseigneur le Dauphin fut le sujet de cette fête. MM. de Santa-Crux & de Barenechea, ambassadeurs du roi d’Espagne, en avoient été chargés par S. M. Catholique.

L’hôtel de Bouillon situé sur le quai des Théatins vis-à-vis le Louvre, servit d’emplacement à la scene principale ; il fut comme le centre de la fête & du spectacle.

Le 24 Janvier 1730, à 6 heures du soir, les illuminations préparées avec un art extrème, & dont on trouvera ailleurs la description (Voyez Illumination), commencerent avec la plus grande célérité, & la surface de la riviere offrit tout-à-coup un spectacle enchanteur ; c’étoit un vaste jardin de l’un à l’autre rivage du fleuve, qui à cet endroit a environ 90 toises de large, sur un espace de 70 dans sa longueur. La situation étoit des plus magnifiques & des plus avantageuses, étant naturellement bien décorée par le quai du collége des Quatre-Nations d’un côté, par celui des galeries du Louvre de l’autre, & aux deux bouts par le Pont-Neuf & par le Pont-Royal.

Deux rochers isolés ou montagnes escarpées, symbole des monts Pyrénées, qui séparent la France de l’Espagne, formoient le principal objet de cette pompeuse décoration au milieu de la riviere. Les deux monts étoient joints par leurs bases sur un plan d’environ 140 piés de long, sur 60 de large, & séparés par leur cime de près de 40 piés, ayant chacun 82 piés d’élevation au-dessus de la surface de l’eau, & des deux grands bateaux sur lesquels tout l’édifice étoit construit.

On voyoit une agréable variété sur ces montagnes, où la nature étoit imitée avec beaucoup d’art dans tout ce qu’elle a d’agreste & de sauvage. Dans un endroit c’étoient des crevasses, avec des quartiers de rochers en saillie : dans d’autres, des plantes & des arbustes, des cascades, des nappes & chûtes d’eau imitées par des gases d’argent, des antres, des cavernes, &c. Il y avoit tout au pourtour, à fleur-d’eau, des sirenes, des tritons, des néréides, & autres monstres marins

A une certaine distance, au-dessus & au-dessous des rochers, on voyoit à fleur d’eau deux parterres de lumieres qui occupoient chacun un espace de 18 toises sur 15, dont les bordures étoient ornées alternativement d’ifs & d’orangers, avec leurs fruits, de 12 piés de haut, chargés de lumieres. Le dessein des parterres étoit tracé & figuré d’une maniere variée & agréable par des terrines, par du gazon & du sable de diverses couleurs.

Du milieu de chacun de ces parterres s’élevoient des especes de rochers jusqu’à la hauteur de 15 piés, sur un plan de 30 piés sur 22. On avoit placé au-dessus une figure colossale, bronzée en ronde bosse,