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droit aux yeux des vôtres, & qu’ils entendent aussi le sifflement de la balle qui leur fait peur ».

De toutes ces raisons, il s’ensuit que conformément à ce qui a déjà été remarqué sur le feu de l’infanterie, toutes les fois qu’on approche de l’ennemi pour le combattre, il faut toûjours lui faire tout le mal possible avant de le joindre ; comme lorsque la cavalerie s’avance pour charger, il n’y a que le premier rang qui puisse tirer ; il ne doit faire sa décharge, comme M. de Puységur l’a vû pratiquer, que lorsqu’il est au moment de tomber sur l’ennemi : mais si les troupes de cavalerie ne peuvent se joindre, chaque rang peut alors tirer successivement en défilant à droite & à gauche de l’escadron, après avoir tiré, pour aller se reformer derriere les autres rangs.

Les cavaliers & les dragons armés de carabines, & que pour cet effet on appelle carabiniers, ayant des armes dont la portée est plus grande que celle du fusil & du mousqueton, doivent en faire usage sur l’ennemi dès qu’il peut être atteint : c’est-à-dire, suivant M. de Santa-Crux, depuis que les ennemis sont à la distance d’environ douze cents piés ou deux cents toises, jusqu’à ce qu’ils arrivent à la portée des fusils ordinaires qu’il évalue à huit cents piés : pendant que l’ennemi parcourt cet espace, les carabiniers de cavalerie & de dragons ont le tems, dit cet auteur, de pouvoir à l’aise assûrer leurs armes dans le porte-fusil ou porte-mousqueton.

La distance de huit cents piés ou de cent trente toises, que M. de Santa-Crux donne à la portée du fusil, paroît être tirée des auteurs qui ont écrit sur la fortification, lesquels presque tous fixent leur ligne de défense de cette quantité, pour la rendre égale à la portée du fusil de but en blanc.

Dans la guerre des siéges on ne peut guere faire usage que de cette portée, au moins dans le feu des flancs ; parce qu’autrement l’effet en seroit trop incertain : mais seroit-ce la même chose dans la guerre de campagne ? C’est un point qui n’a pas encore été examiné, & qui semble néanmoins mériter de l’être.

Il est évident que si le fusil porte cent vingt ou cent trente toises de but en blanc, tiré à-peu-près horisontalement, sa portée sera plus grande sous un angle d’élévation, comme de douze ou quinze degrés, & qu’elle augmentera jusqu’à ce que cet angle soit de quarante-cinq degrés.

Le canon dont la portée de but en blanc n’est guere que de trois cents toises, porte son boulet, étant tiré à toute volée, depuis 1500 toises jusqu’à deux mille & plus. On convient que l’effet du fusil tiré de cette maniere ne seroit nullement dangereux, parce que la balle, eu égard à son peu de grosseur, perd plûtôt son mouvement que le boulet de canon : mais on pourroit éprouver la force & la portée de la balle sous des angles au-dessous de quarante-cinq degrés, comme de douze, quinze, ou vingt degrés ; & alors on verroit si l’on peut faire usage du fusil à une plus grande distance que celle de cent vingt ou cent trente toises.

Comme toutes les choses qui peuvent nous procurer des connoissances sur les effets & les propriétés des armes dont nous nous servons à la guerre, ne peuvent être regardées comme indifférentes ; on croit que les expériences qu’on vient de proposer, qui ne sont ni difficiles ni dispendieuses, méritent d’être exécutées.

En supposant qu’elles fassent voir, comme il y a beaucoup d’apparence, que le fusil tiré à-peu-près sous un angle de quinze degrés, peut endommager l’ennemi à la distance de trois cents toises, & au-delà, on pourra dire qu’il sera fort difficile de faire tirer le soldat de cette maniere : d’autant plus qu’au-

jourd’hui on a beaucoup de peine à le faire tirer

horisontalement ; que d’ailleurs si l’on pouvoit y parvenir, il seroit à craindre qu’il ne contractât l’habitude de tirer de même lorsque l’ennemi seroit plus près, ce qui seroit un très-grand inconvénient. Mais on peut répondre à ces difficultés que dans le cas d’un éloignement, comme de trois cents toises, le soldat seroit averti de tirer vers le sommet de la tête de l’ennemi ; & lorsqu’il en seroit plus prêt, de tirer au milieu du corps, comme on le fait ordinairement.

Mais quand il y auroit des difficultés insurmontables à faire tirer le soldat à la distance de trois cents toises, lorsqu’il s’avance vers l’ennemi pour le combattre, ne seroit-il pas toûjours très-avantageux de pouvoir faire usage de la mousqueterie à cette distance, lorsqu’on est derriere des retranchemens dans un chemin-couvert ? &c. C’est aux maîtres de l’art à le décider.

Nous n’avons parlé jusque ici que du feu de la mousqueterie ; il s’agiroit d’entrer dans quelques détails sur celui de l’artillerie, c’est-à-dire sur celui du canon & des bombes : mais pour ne pas trop alonger cet article, nous observerons seulement à cet égard que ce feu qui inquiete toûjours beaucoup le soldat ne doit point être négligé ; qu’une armée ou un détachement ne sauroit exécuter aucune opération importante sans canon ; & qu’il seroit peut-être fort utile qu’à l’imitation de plusieurs nations de l’Europe, chaque bataillon eût toûjours avec lui quelques petites pieces d’artillerie dont il pût se servir dans toutes les occasions.

Comme le feu du canon agit de très-loin, personne n’a pensé qu’il fallût l’essuyer sans y répondre : le seul moyen d’en diminuer l’activité est d’en faire un plus grand, si l’on peut. Les tirs dans une bataille doivent être toûjours obliques au front de l’armée ennemie, afin d’en parcourir une plus grande partie. Les plus avantageux sont ceux qui sont perpendiculaires aux aîles ou aux flancs de l’armée ; mais un ennemi un peu intelligent a grand soin d’éviter que ses flancs soient ainsi exposés au canon de son adversaire.

La maniere la plus convenable de tirer le canon, lorsque l’on n’est guere qu’à la distance de cinq ou six cents toises de l’ennemi, est à ricochet. Voyez Ricochet. Le boulet fait alors beaucoup plus d’effet que lorsque le canon est tiré avec plus de violence, ou avec de plus fortes charges que n’en exige le ricochet.

M. de Folard prétend que le feu du canon n’est redoutable que contre les corps qui restent fixes, sans mouvement & action ; ce qu’il dit avoir observé dans plusieurs affaires, « où les deux partis se passoient réciproquement par les armes, sans que l’un ni l’autre pensât, ou pour mieux dire, osât en venir aux mains dans un terrein libre. Une canonnade réciproque, selon cet auteur, marque une grande fermeté dans les troupes qui l’essuient sans branler, mais trop de circonspection, d’incertitude, ou de timidité dans le général : car le secret de s’en délivrer n’est pas, dit-il, la magie noire. Il n’y a qu’à joindre l’ennemi ; on évite par ce moyen la perte d’une infinité de braves gens ; & le général se garantit du blâme qui suit ordinairement ces sortes de manœuvres ». Traité de la colonne, p. 48. (Q)

Feu est aussi un terme de guerre qui signifie les feux qu’on allume dans un camp pendant la nuit. Chambers.

Feu de Courtine, voyez Second Flanc.

Feu fichant, voyez Fichant.

Feu rasant, c’est dans la Fortification celui qui est fait par des armes à feu dont les coups sont tirés