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On vous passe bien cela, dira-t-on ; mais ne proposez-vous pas l’usage perpétuel de la graisse & des œufs ? N’insinuez-vous pas encore la suppression de certains jours d’abstinence, & même de quelques jeûnes prescrits par l’église ?

A l’égard de la graisse & des œufs, c’est une espece de condescendance autorisée en plusieurs endroits, & qui se doit par justice & par humanité, à la triste situation du peuple & des pauvres : car, je l’ai dit & je le répete, cela ne fait rien aux riches de tous états & de tous ordres ; ils se mettent au-dessus de la regle pour la plûpart ; & au pis aller, la mer & les rivieres leur fournissent pour le maigre des mets délicats & succulens.

Il est vrai que les arrangemens indiqués ci-dessus emportent l’abolition de quatre jours d’abstinence, & de six ou sept jours de jeûne : mais premierement cela vaut-il la peine d’en parler ? d’ailleurs n’ai-je pas proposé le rétablissement du maigre pour les cinq ou six samedis que l’on compte de Noël à la Chandeleur, & dans lesquels on permet le gras en plusieurs endroits du royaume ? N’ai-je pas encore proposé un jeûne plus rigide & plus édifiant, lorsque j’ai suggéré l’interdiction du vin & de mille autres délicatesses peu conformes à l’esprit du jeûne ? Je ne vois donc pas que la saine Morale risque beaucoup avec moi : & si quelques-uns me trouvent trop relâché, combien d’autres me trouveront trop sévere ?

C’est en vain que Jesus-Christ nous apprend à négliger les traditions humaines, pour nous attacher à l’observation de la loi ; nous voulons toûjours tenir, comme les Juifs, à des observances & à des institutions arbitraires. Cependant les austérités, les mortifications, & les autres pratiques de notre choix, nous sont bien moins nécessaires que la patience & la résignation dans nos maux. En effet, la vie n’est-elle point assez traversée, assez malheureuse ? & n’est-il point en ce monde assez d’occasions de souffrir, sans nous assujettir sans cesse à des embarras & des peines de création libre ? Notre fardeau est-il trop leger, pour que nous y ajoûtions de nous-mêmes ? & le chemin du ciel est-il trop large, pour que nous travaillions à le retrécir ?

On dira sans doute que les abstinences multipliées & prescrites par l’église sont autant de moyens sagement établis pour modérer la fougue de nos passions, pour nous contenir dans la crainte du Seigneur, & pour nous faciliter l’observation de ses commandemens.

Toutes ces raisons pouvoient être bonnes dans ces siecles heureux où les peuples fervens & soûtenus par de grands exemples, étoient parfaitement dociles à la voix des pasteurs : mais aujourd’hui que l’indépendance & la tiédeur sont générales, aujourd’hui que l’irréligion & le scandale sont montés à leur comble, telle observance qui fut jadis un moyen de salut, n’est le plus souvent pour nous qu’une occasion de chûte : inventum est mihi mandatum quod erat ad vitam, hoc esse ad mortem. Rom. vij. chap. x.

Par conséquent, vû l’état languissant où le Christianisme se trouve de nos jours, on ne sauroit multiplier nos devoirs sans nous exposer à des transgressions presque inévitables, qui attirent de plus en plus la colere de Dieu sur nous. C’est donc plûtôt sagesse que relâchement d’adoucir la rigueur des préceptes humains, & de diminuer, autant qu’il est possible, le poids des abstinences qui paroît trop onéreux au commun des fideles, & qui ne fait plus que des prévaricateurs.

Du reste, obligés que nous sommes de conserver pour Dieu, dans tous les tems, cet amour de préférence que nous lui devons, & qui est si puissam-

ment disputé par les créatures ; obligés d’aimer nos ennemis, de prier pour nos persécuteurs, & de souffrir sans murmure les afflictions & les chagrins de la vie ; obligés enfin de combattre sans relâche nos passions & nos penchans, pour mépriser le monde & ses plaisirs, pour ne ravir ni ne desirer le bien ou la femme du prochain, & pour détester constamment & de bonne foi tout ce qui n’est pas légitimé par le sacrement, n’avons-nous point en ce peu de préceptes dictés par Jesus-Christ lui-même, de quoi soûtenir notre vigilance & de quoi exercer notre vertu, sans être surchargés tous les jours par des traditions humaines ?

Enfin, de quoi s’agit-il dans tout ce que je propose ? de quelques adoucissemens fort simples, & qui, à le bien prendre, ne valent pas les frais de la contradiction ; adoucissemens néanmoins qui applaniroient bien des difficultés, & qui rendroient l’observation du reste beaucoup plus facile : au lieu que des institutions arbitraires, mais en même tems gênantes & répétées à tout moment, sont capables de contrister des gens d’ailleurs réglés & vertueux. Il semble qu’elles atiédissent le courage, & qu’elles énervent une piété qui se doit toute entiere à de plus grands objets. Aussi, que de chrétiens qui prennent le change, qui fideles à ces pratiques minutieuses, négligent l’observation des préceptes, & à qui l’on pourroit appliquer ce que le Seigneur disoit aux Pharisiens : relinquentes mandatum dei, tenetis traditiones hominum ! Marc. ch. vij. 8.

J’ajoûte enfin, comme je l’ai déjà dit, que ces pratiques peu nécessaires indisposent non-seulement les Protestans, mais encore tous ceux qui ont de la pente au libertinage du cœur & de l’esprit, & qu’elles les révoltent d’ordinaire sans espérance de retour.

Tout cela mûrement considéré, on ne peut, ce me semble, mieux faire que de transporter presque toutes nos fêtes au dimanche, réduire à quelque chose de plus simple & de plus uniforme nos offices, nos chants, nos cérémonies, &c. accorder pour tous les tems l’usage libre de la graisse & des œufs ; & sans toucher au carême pour le reste, déclarer les vendredis & samedis seuls sujets au maigre ; supprimer à cette fin l’abstinence des Rogations & celle de S. Marc ; à l’égard des jeûnes passagers annexés à telles saisons ou telles fêtes, les restraindre à deux jours pour les quatre-tems ; plus aux vigiles de la Pentecôte, de la S. Jean, de la S. Pierre, de l’Assomption, de la Toussaint, & de Noël.

Pour lors ce petit nombre de jeûnes tombant aux jours maigres ordinaires s’observeroit plus facilement, & ne dérangeroit plus ni le ménage ni le commerce ; & je crois enfin que tous ces changemens sont fort à souhaiter, tant pour l’enrichissement de la nation & l’aisance générale des petits & des médiocres, que pour empêcher une infinité de prévarications & de murmures. Je me flate que les gens éclairés ne penseront pas autrement ; & que loin d’appercevoir dans ces propositions aucun risque pour la discipline ou pour les mœurs, ils y trouveront de grands avantages pour la religion & pour la politique : en un mot, on éviteroit par là des scandales & des transgressions sans nombre qui nuisent infiniment à la piété ; & de plus, on augmenteroit les richesses du royaume de cent millions par an, comme je l’ai prouve. Si cela n’est pas raisonnable, qu’on me dise ce que c’est que raison. Voyez Dimanche. Article de M. Faiguet.

Fêtes mobiles, (Chronologie.) on appelle ainsi celles qui ne sont point fixement attachées à un certain jour du même mois, mais qui changent de place chaque année : il y en a quatre, Pâque, l’Ascension, la Pentecôte, la Fête-Dieu. Les trois dernieres dé-