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Expression, (Peinture,) Il est plus aisé de développer le sens de ce terme, qu’il n’est facile de réduire en préceptes la partie de l’art de la Peinture qu’il signifie. Le mot expression s’applique aux actions & aux passions, comme le mot imitation s’adapte aux formes & aux couleurs : l’un est l’art de rendre des qualités incorporelles, telles que le mouvement & les affection, de l’ame : l’autre est l’art d’imiter les formes qui distinguent à nos yeux les corps des uns des autres, & les couleurs que produit l’arrangement des parties qui composent leur surface.

Représenter avec des traits les formes des corps, imiter leurs couleurs avec des teintes nuancées & combinées entre elles, c’est une adresse dont l’effet soûmis à nos sens, paroît vraissemblable à l’esprit : mais exprimer dans une image matérielle & immobile le mouvement, cette qualité abstraite des corps ; faire naître par des figures muettes & inanimées l’idée des passions de l’ame, ces agitations internes & cachées ; c’est ce qui en paroissant au-dessus des moyens de l’art, doit sembler incompréhensible.

Cependant cet effort de l’art existe ; & l’on peut dire des ouvrages qu’ont composés les peintres d’expression, ce qu’Horace disoit des poésies de Sapho :

Spirat adhuc amor,
Vivuntque commissi calores
Æoliæ fidibus puellæ
.

Pour parvenir à sentir la possibilité de cet effet de la peinture, il faut se représenter cette union si intime de l’ame & du corps, qui les fait continuellement participer à ce qui est propre à chacun d’eux en particulier. Le corps souffre-t-il une altération, l’ame éprouve de la douleur ; l’ame est-elle affectée d’une passion violente, le corps à l’instant en partage l’impression : il y a donc dans tous les mouvemens du corps & de l’ame une double progression dépendante l’une de l’autre ; & l’artiste observateur attaché à examiner ces différens rapports, pourra, dans les mouvemens du corps, suivre les impressions de l’ame. C’est-là l’étude que doit faire le peintre qui aspire à la partie de l’expression ; son succès dépendra de la finesse de ses observations, & sur-tout de la justesse avec laquelle il mettra d’accord ces deux mouvemens. Les passions ont des degrés, comme les couleurs ont des nuances ; elles naissent, s’accroissent, parviennent à la plus grande force qu’elles puissent avoir, diminuent ensuite & s’évanoüissent. Les leviers que ces forces font mouvoir, suivent la progression de ces états différens ; & l’artiste qui ne peut représenter qu’un moment d’une passion, doit connoître ces rapports, s’il veut que la vérité fasse le mérite de son imitation. Cette vérité, qui est une exacte convenance, naîtra donc de la précision avec laquelle (après avoir choisi la nuance d’une passion) il en exprimera le juste effet dans les formes du corps & dans leur couleur ; s’il se trompe d’un degré, son imitation sera moins parfaite ; si son erreur est plus considérable, d’une contradiction plus sensible naîtra le défaut de vraissemblance qui détruit l’illusion.

Mais pour approfondir cette partie importante, puisque c’est elle qui ennoblit l’art de la Peinture en la faisant participer aux opérations de l’esprit ; il seroit nécessaire d’entrer dans quelque détail sur les passions, & c’est ce que je tâcherai de faire au mot Passion. Je reprendrai alors les principes que je viens d’exposer ; & les appliquant à quelques développemens des mouvemens du corps rapportés aux mouvemens de l’ame, je donnerai au moins l’idée d’un ouvrage d’observations qui seroient curieuses & utiles, mais dont l’étendue & la difficulté extrèmes pourront nous priver long-tems. Cet article est de M. Watelet.

Expression, (Pharm. Chimie.) est l’action de

presser un corps pour en faire sortir une liqueur.

L’expression se fait ou à l’aide d’une presse, ou à l’aide d’un linge, dans lequel on renferme les matieres, & qu’une ou deux personnes tordent plus ou moins fortement : cette derniere maniere est suffisante pour exprimer certaines infusions, décoctions, les émulsions, les feces des teintures, &c. Mais on a communément recours à la presse, lorsqu’on veut tirer les sucs des fruits, des plantes, des fleurs, &c. sur-tout quand ces fruits ne sont pas très-succulens : ces dernieres matieres doivent être disposées à lâcher leurs sucs par une opération préalable, qui consiste à les piler ou les raper. Voyez Piler & Raper.

L’expression par le secours de la presse, est encore employée pour retirer des semences émulsives les huiles qui sont connues dans l’art sous le nom d’huile par expression : telles sont les huiles d’amandes, de noix, de semences froides, de graine de lin, de chenevis, &c. Voyez Huile. (b)

EXPULSER, terme de Medecine, chasser avec effort, pousser hors les humeurs, &c.

Expulser, terme de Pratique, chasser avec une sorte de violence & par autorité de justice : expulser se dit sur-tout d’un propriétaire qui voulant occuper sa maison par lui-même, force un locataire à la lui céder avant l’expiration de son bail. Voy. Evincer.

L’usage est communément à Paris, qu’au cas d’expulsion par le propriétaire ou par l’acquéreur, on accorde six mois de joüissance gratuite au locataire, comme en dédommagement des dépenses qu’il a faites pour s’arranger dans la maison qu’on lui ôte, & de celles qu’il doit faire ensuite pour s’arranger dans une autre ; ce qui fort souvent n’est pas susceptible de compensation.

Quoi qu’il en soit, la faculté que la loi donne en certains cas d’expulser un locataire avant le terme convenu, paroît absolument contraire à l’essence de tous les baux : car enfin la destination, la nature, & la propriété d’un bail, c’est d’assûrer de bonne-foi au locataire l’occupation actuelle d’une maison pour un tems limité, à la charge par lui de payer certaine somme toutes les années, mais avec égale obligation pour les contractans, de tenir & d’observer leurs conventions réciproques, l’un de faire joüir, & l’autre de payer, &c.

Quand je m’engage à donner ma maison pour six ans, je conserve il est vrai la propriété de cette maison, mais je vends en effet la joüissance des six années ; car le loüage & la vente sont à-peu-près de même nature, suivant le droit romain ; ils ne different proprement que dans les termes ; & comme dit Justinien, ces deux contrats suivent les mêmes regles de droit : locatio & conductio proxima est emptioni & venditioni, iisdemque juris regulis consistit. Lib. III. instit. tit. xxv. Or quand une chose est vendue & livrée, on ne peut plus la revendiquer, l’acheteur est quitte en payant, & il n’y a plus à revenir : de-là dépendent la tranquillité des contractans & le bien général du commerce entre les hommes ; sans cela nulle décision, nulle certitude dans les affaires.

La faculté d’occuper par soi-même accordée au propriétaire malgré la promesse de faire joüir, portée dans le bail, est donc visiblement abusive & contraire au bien de la société. C’est ce qu’on nomme le privilége bourgeois ; c’est, à proprement parler, le privilége de donner une parole & de ne la pas tenir : pratique odieuse, par laquelle on accoûtume les hommes à la fraude & à se joüer des stipulations & des termes. Outre que par-là on fait pancher la balance en faveur d’une partie au desavantage de l’autre ; puisque tandis qu’on accorde au propriétaire la faculté de reprendre sa maison, on refuse au locataire la liberté de résilier son bail.

Au surplus si cette prérogative est injuste, elle est