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ou, ce qui est la même chose, diviser celui de 14000 par mille, ce qui donnera le rapport des volumes de l’eau à celui de l’air, à poids égal, comme 14 à 3 ; d’où l’on voit combien l’expansibilité du corps le plus difficilement expansible, surpasse celle du corps qui le devient le plus aisément.

L’application de cette partie de notre théorie à l’air & à l’eau, suppose que les particules de l’eau sont beaucoup plus legeres que celles de l’air, puisqu’étant les unes & les autres isolées au milieu du fluide de la chaleur, & ne résistant guere à son action que par leur poids, l’expansion de l’eau est si supérieure à celle de l’air : cette supposition s’accorde parfaitement avec l’extrème différence que nous remarquons entre les deux fluides, par rapport au degré de leur vaporisation : les molécules de l’air, beaucoup plus pesantes, s’élevent beaucoup plûtôt que celles de l’eau, parce que leur adhérence mutuelle est bien plus inférieure à celle des parties de l’eau, que leur pesanteur n’est supérieure. Plus on supposera les parties de l’eau petites & legeres, plus le fluide sera divisé sous un poids égal en un grand nombre de molécules ; plus l’élément de la chaleur, interposé entre elles, agira sur un grand nombre de parties, plus son action s’appliquera sur une grande surface, les poids qu’il aura à soûlever restant les mêmes, & par conséquent plus l’expansibilité sera considérable. Mais il ne s’ensuit nullement de-là, que le corps ait besoin d’un moindre degré de chaleur, pour être rendu expansible. Si l’on admet, avec Newton, une force attractive qui suive la raison inverse des cubes des distances : comme il est démontré que cette attraction ne seroit sensible qu’à des distances très-petites, & qu’elle seroit infinie au point de contact ; il est évident, 1°. que l’adhérence résultante de cette attraction, est en partie relative à l’étendue des surfaces par lesquelles les molécules attirées peuvent se toucher, puisque le nombre des points de contact est en raison des surfaces touchantes : 2°. que moins le centre de gravité est éloigné des surfaces, plus l’adhésion est forte : en effet, cette attraction qui est infinie au point de contact, ne peut jamais produire qu’une force finie, parce que la surface touchante n’est véritablement qu’un infiniment petit ; la molécule entiere est par rapport à elle un infini, dans lequel la force se partage en raison de l’inertie du tout : si cette molécule grossissoit jusqu’à un certain point, il est évident que tout ce qui se trouveroit hors des limites de la sphere sensible de l’attraction cubique, seroit une surcharge à soûtenir pour celle-ci, & pourroit en rendre l’effet nul : si au contraire la molécule se trouve toute entiere dans la sphere d’attraction, toutes ses parties contribueront à en augmenter l’effet, & plus le centre de gravité sera proche du contact, moins cette force qui s’exerce au contact sera diminuée par la force d’inertie des parties de la molécule les plus éloignées : or plus les molécules, dont un corps est formé, seront supposées petites, moins le centre de gravité de chaque molécule est éloigné de leur surface, & plus elles ont de superficie, relativement à leur masse.

Concluons que la petitesse des parties doit d’abord retarder la vaporisation, puis augmenter l’expansibilité, quand une fois les corps sont dans l’état de vapeur.

Je ne dois pas omettre une conséquence de cette théorie sur l’ordre d’expansibilité des corps, comparé à l’ordre de leur vaporisation : c’est qu’un degré de chaleur qui ne suffiroit pas pour rendre un corps expansible, peut suffire pour le maintenir dans l’état d’expansibilité. En effet, je suppose qu’un ballon de verre ne soit rempli que d’eau en vapeur, & qu’on plonge ce ballon dans de l’eau froide : comme le froid n’a point une force positive pour rapprocher les parties des

corps (voyez Froid), il en doit être de cette eau comme de l’air, qui, lorsqu’il ne communique point avec l’atmosphere, n’éprouve aucune condensation en se refroidissant. L’attraction des parties de l’eau ne peut tendre à les rapprocher, puisqu’elles ne sont point placées dans la sphere de leur action mutuelle : leur pesanteur, beaucoup moindre que celle des parties de l’air, ne doit pas avoir plus de force pour vaincre l’effort d’un degré de chaleur, que l’air soûtient sans se condenser. La pression extérieure est nulle ; l’eau doit donc rester en état de vapeur dans le ballon, quoique beaucoup plus froide que l’eau bouillante, ou du moins elle ne doit perdre cet état que lentement & peu-à-peu, à mesure que les molécules qui touchent immédiatement au verre adhérent à sa surface refroidie, & s’y réunissent avec les molécules qui leur sont contigues, & ainsi successivement, parce que toutes les molécules, par leur expansibilité même, s’approcheront ainsi les unes après les autres de la surface du ballon, jusqu’à ce qu’elles soient toutes condensées. Il est cependant vrai que dans nos expériences ordinaires, dès que la chaleur est au-dessus du degré de l’eau bouillante, les vapeurs aqueuses redeviennent de l’eau ; mais cela n’est pas étonnant, puisque la pression de l’atmosphere agit toûjours sur elles pour les rapprocher, & les remet par-là dans la sphere de leur action mutuelle, quand l’obstacle de la chaleur ne subsiste plus.

On voit par-là combien se trompent ceux qui s’imaginent que l’humidité qu’on voit s’attacher autour d’un verre plein d’une liqueur glacée, est une vapeur condensée par le froid : cet effet, de même que celui de la formation des nuages, de la pluie, & de tous les météores aqueux, est une vraie précipitation chimique par un degré de froid qui rend l’air incapable de tenir en dissolution toute l’eau dont il s’étoit chargé par l’évaporation dans un tems plus chaud ; & cette précipitation est précisément du même genre que celle de la crême de tartre, lorsque l’eau qui la tenoit en dissolution s’est refroidie. Voyez Humidité & Pluie.

On sent aisément combien une table qui représenteroit, d’après des observations exactes, le résultat d’une comparaison suivie des différentes substances, & l’ordre de leur expansibilité, pourroit donner de vûes aux Physiciens, sur-tout si on y marquoit toutes les différences entre cet ordre & l’ordre de leur vaporisation. Je comprendrois dans cette comparaison des différentes substances par rapport à l’expansibilité, la comparaison des différens degrés d’expansibilité entre l’air, qui contient beaucoup d’eau, & l’air qui en contient moins, ou qui n’en contient point du tout. Musschenbroek a observé que l’air chargé d’eau a beaucoup plus d’élasticité qu’un autre air, & cela doit être, du-moins lorsque la chaleur est assez grande pour réduire l’eau même en vapeur ; car il pourroit arriver aussi qu’au-dessous de ce degré de chaleur, l’eau dissoute en l’air & unie à chacune de ses molécules, augmentât encore la pesanteur par laquelle elles résistent à la force qui les écarte. D’ailleurs comme on n’a point encore connu les moyens que nous donnerons à l’article humidité, pour savoir exactement combien un air est plus chargé d’eau qu’un autre air (voyez Humidité) ; on n’a point cherché à mesurer les différens degrés d’expansibilité de l’air, suivant qu’il contient plus ou moins d’eau, sur-tout au degré de la température moyenne de l’atmosphere : il seroit cependant aisé de faire cette comparaison par un moyen assez simple ; il ne s’agiroit que d’avoir une cloche de verre assez grande pour y placer un barometre, & d’ôter toute communication entre l’air renfermé sous la cloche & l’air extérieur ; la cire, ou mieux encore, le