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tains corps, & à la communication interrompue ou rétablie entre les corps qui peuvent être pénétrés par ce fluide.

Puisque l’électricité est une cause de répulsion très différente de la chaleur, il est naturel de se demander si elle agit suivant la même loi de la raison inverse des distances, ou suivant une autre loi. On n’a point encore fait les observations nécessaires pour décider cette question : mais les Physiciens doivent à MM. le Roy & d’Arcy, l’instrument qui peut les mettre un jour en état d’y répondre. Voyez au mot Electrometre, l’ingénieuse construction de cet instrument, qui peut servir à donner de très-grandes lumieres sur cette partie de la Physique. Personne n’est plus capable que les inventeurs de profiter du secours qu’ils ont procuré à tous les Physiciens ; & puisque M. le Roy s’est chargé de plusieurs articles de l’Encyclopédie qui concernent l’électricité, j’ose l’inviter à nous donner la solution de ce problème au mot Répulsion électrique.

J’ai dit qu’il ne paroissoit pas par l’expérience que l’électricité seule pût rendre expansible aucun corps de la nature ; & cela peut sembler étonnant au premier coup-d’œil, vû les prodigieux effets du fluide électrique & l’action tranquille de la chaleur, lors même qu’elle suffit pour mettre en vapeur des corps assez pesans. Je crois pourtant que cette différence vient de ce que dans la vérité la répulsion produite par l’électricité est si foible en comparaison de celle que produit la chaleur, qu’elle ne peut jamais que diminuer l’adhérence des parties, mais non la vaincre, & faire passer le corps, comme le fait la chaleur, de l’état de liquide à celui de corps expansible. On se tromperoit beaucoup, si l’on jugeoit des forces absolues d’un de ces fluides pour écarter les parties des corps par la grandeur & la violence de ses effets apparens. Les effets apparens ne dépendent pas de la force seule, mais de la force rendue sensible par les obstacles qu’elle a rencontrés. J’ai déjà remarqué que tous les phénomenes de l’électricité venoient du défaut d’équilibre dans le partage du fluide entre les différens corps & de son rétablissement subit : or ce défaut d’équilibre n’existeroit pas, si la communication étoit continuelle. C’est pour cette raison que le fluide électrique ne produiroit aucun effet sensible dans l’eau, quoiqu’il n’en eût pas une force moins réelle. Nous sommes par rapport à l’élément de la chaleur, précisément dans le cas où nous serions par rapport au fluide électrique, si nous vivions dans l’eau. La communication de l’élément de la chaleur se fait sans obstacle dans tous les corps ; & quoiqu’il ne soit pas actuellement en équilibre dans tous, cette rupture d’équilibre est plûtôt une agitation inégale, & tout au plus une condensation plus ou moins grande dans quelques portions d’un fluide répandu par-tout, qu’une accumulation forcée d’un fluide dont l’activité soit retenue par des obstacles impénétrables. L’équilibre d’agitation & de condensation entre les différentes portions du fluide de la chaleur, se rétablit de proche en proche & sans violence ; il a besoin du tems, & n’a besoin que du tems. L’équilibre dans le partage du fluide électrique entre les différens corps se rétablit par un mouvement local & par une espece de transvasion subite, dont l’effet est d’autant plus violent, que le fluide étoit plus inégalement partagé. Cette transvasion ne peut se faire qu’en supprimant l’obstacle, & en rétablissant la communication ; & dès que l’obstacle est supprimé, elle se fait dans un instant inassignable. Enfin le rétablissement de l’équilibre entre les parties du fluide électrique, se fait d’une maniere analogue à celle dont l’eau se précipite pour reprendre son niveau lorsqu’on ouvre l’écluse qui la retenoit, & il en a toute l’impétuosité. Le rétablissement de l’équilibre entre les différentes por-

tions du fluide de la chaleur, ressemble à la maniere

dont une certaine quantité de sel se distribue uniformément dans toutes les portions de l’eau qui le tient en dissolution, & il en a le caractere lent & paisible. La prodigieuse activité du fluide électrique, ne décide donc rien sur la quantité de répulsion qu’il est capable de produire ; & puisqu’effectivement l’électricité n’a jamais pû qu’augmenter un peu la fluidité de l’eau sans jamais la réduire en vapeur, nous devons conclure que la répulsion produite par l’électricité est incomparablement plus foible que celle dont la chaleur est la cause : nous sommes fondés par conséquent à regarder la chaleur comme la vraie cause de l’expansibilité, & à définir l’expansibilité, considérée physiquement, l’état des corps vaporisés par la chaleur.

De l’expansibilité comparée dans les différentes substances auxquelles elle appartient. On peut comparer l’expansibilité dans les différentes substances, sous plusieurs points de vûe. On peut comparer 1°. la loi de l’expansibilité, ou des décroissemens de la force répulsive dans les différens corps ; 2°. le degré de chaleur où chaque substance commence à devenir expansible ; 3°. le degré d’expansibilité des différens corps, c’est-à-dire le rapport de leur volume à leur masse, au même degré de chaleur.

A l’égard de la loi que suit la répulsion dans les différens corps expansibles, il paroît presque impossible de s’assûrer directement par l’expérience, qu’elle est dans tous les corps la même que dans l’air. La plûpart des corps expansibles qu’on pourroit soûmettre aux expériences, n’acquierent cette propriété que par un degré de chaleur assez considérable, & rien ne seroit si difficile que d’entretenir cette chaleur au même point, aussi long-tems qu’il le faudroit pour les soûmettre à nos expériences. Si l’on essayoit de les charger successivement, comme l’air, par différentes colonnes de mercure, le refroidissement produit par mille causes & par la seule nécessité de placer le vaisseau sur un support, & d’y appliquer la main ou tout autre corps qui n’auroit point le même degré de chaleur, viendroit se joindre au poids des colonnes pour condenser la vapeur : or comment démêler la condensation produite par l’action des poids, de la condensation produite par un refroidissement dont on ne connoît point la mesure ? Les vapeurs de l’acide nitreux très-concentré & surchargé de phlogistique, auroient à la vérité cet avantage sur les vapeurs aqueuses, qu’elles pourroient demeurer expansibles à des degrés de chaleur au-dessous même de celle de l’atmosphere dans des jours très-chauds. Mais de quelle maniere s’y prendroit-on pour les comprimer dans une proportion connue ; puisque le mercure, le seul de tous les êtres qu’on pût employer à cet usage, ne pourroit les toucher sans être dissous avec une violente effervescence qui troubleroit tous les phénomenes de l’expansibilité ?

On lit dans les essais de physique de Musschenbroek, §. 1330, que des vapeurs élastiques produites par la pâte de farine, comprimées par un poids double, ont occupé un espace quatre fois moindre. Mais j’avoue que j’ai peine à imaginer comment ce célebre physicien a pû exécuter cette expérience avec les précautions nécessaires pour la rendre concluante, c’est-à-dire en conservant la vapeur, le vaisseau, les supports du vaisseau, & la force comprimante, dans un degré de chaleur toûjours le même. De plus, on sait que ces mêmes vapeurs qui s’élevent des corps en fermentation, sont un mélange d’air dégagé par le mouvement de la fermentation, & d’autres substances volatiles ; souvent ces substances absorbent de nouveau l’air avec lequel elles s’étoient élevées, & forment par leur union chimique avec lui un nouveau mixte, dont l’expansibilité peut