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M. de Mairan, p. 308. Or je ne crois pas que personne puisse de bonne-foi regarder ce degré de chaleur comme capable de rendre le volume des molécules d’eau huit cents fois plus grand ; & pour peu qu’on y refléchisse, on s’appercevra bien-tôt qu’il seroit très-aisé de prouver le contraire. Il est vrai que M. Musschenbroek a tâché de faire voir par un calcul, que la chaleur du terme de la glace étoit capable de raréfier les molécules d’eau, jusqu’à les rendre spécifiquement plus legeres que l’air. Voici son raisonnement.

« Nous avons vû que la vapeur de l’eau bouillante est 14000 fois plus rare que l’eau même ; or la chaleur de cette vapeur est alors au thermometre de 212 degrés. La chaleur de l’été en plein midi de 90 degrés ; par conséquent la vapeur de l’eau ainsi échauffée, sera alors 5943 fois plus rare que l’eau ; & si l’on suppose que la chaleur du thermometre est de 32 degrés, il faudra que la vapeur soit 2113 fois plus rare que l’eau : or l’air n’est d’ordinaire que 600, 700, ou 800 fois plus rare que l’eau, & par conséquent la vapeur sera encore plus rare que l’air. Mais il gele lorsque le thermometre est au 32 degré ; par conséquent la vapeur pourra sortir de l’eau & de la glace en hyver, & s’élever ensuite dans l’air ». Essais de Physique, pag. 739. Mais il est clair que le célebre physicien s’est trompé dans cet endroit ; & sans m’arrêter à combattre le fond de son calcul, je me contenterai de faire observer, que si au lieu du thermometre de Farenheit, qui met le terme de la glace au 32 degré, il s’étoit servi du thermometre de M. de Reaumur, qui met le même terme au zéro, il auroit conclu du même calcul que la chaleur du terme de la glace étoit incapable de raréfier les molécules d’eau en aucune maniere.

D’ailleurs, quand bien même on accorderoit pour un moment la possibilité de cette supposition, il n’en seroit pas plus difficile de faire voir que la nature n’est point d’accord avec ce sentiment : en effet, cette opinion exclut toute idée d’uniformité dans la répartition des vapeurs sur toute l’étendue de l’atmosphere. Elle suppose nécessairement qu’en été, dans les grandes chaleurs, les particules d’eau très raréfiées devroient s’élever fort haut, & abandonner la partie de l’atmosphere qui avoisine la terre ; qu’au contraire en hyver, ces mêmes particules condensées & plus pesantes, devroient se trouver en beaucoup plus grande quantité proche de la terre, qu’en été : or tout le contraire a lieu, comme je l’ai prouvé dans le mémoire que j’ai déjà cité. Ces remarques me paroissent suffisantes pour faire voir que si les molécules d’eau s’élevent dans l’air, ce n’est pas parce qu’elles deviennent spécifiquement plus legeres que celles de ce fluide, & qu’on ne doit pas croire que les particules, en s’élevant & se soûtenant dans l’atmosphere, suivent les mêmes lois qu’un corps solide répandu dans ce fluide. Je ne m’arrêterai pas davantage à combattre cette opinion, croyant qu’il seroit inutile de s’attacher à entasser un grand nombre d’argumens contre ces sortes de suppositions, que les Physiciens négligent de plus en plus, & que leurs auteurs même défendent avec peu de chaleur.

M. Hamberger a senti le défaut de vraissemblance de l’hypothèse que nous venons de combattre ; & l’ayant réfutée solidement dans ses élémens de Physique, & dans sa belle dissertation sur les causes de l’élévation des vapeurs, il lui substitue une autre hypothèse qui lui paroît plus conforme aux observations, mais qui examinée suivant les lois de la saine Physique, me semble souffrir pour le moins autant de difficultés que la premiere. « Si nous supposons, dit-il p. 57 de la Dissertation que nous venons de citer, que la molécule susceptible d’évaporation,

tandis qu’elle est encore contiguë au corps dont elle s’efforce de s’éloigner, est environnée dans sa surface intérieure de particules ignées, & par sa partie supérieure contiguë à l’air, dans cette supposition, le feu & l’air étant des fluides plus legers que la molécule, lui adhéreront ; donc ils agiront sur elle, mais inégalement. L’air agira avec plus de force que le feu, à cause de la différence qui se trouve entre les gravités spécifiques de ces deux fluides : par conséquent, la molécule susceptible d’évaporation, tendra vers les deux parties opposées, par une réaction inégale, c’est-à-dire avec plus de force vers le haut que vers le bas ». C’est ainsi qu’il expliquoit le méchanisme du passage d’une molécule évaporable dans l’air ; mais cette explication me paroît sujette à des objections auxquelles il seroit difficile de satisfaire. En effet, M. Hamberger suppose qu’une molécule qui est à la surface d’un corps évaporable, de l’eau, par exemple, s’éleve dans l’air parce qu’elle adhere plus à l’air, qui est supérieur, qu’aux particules ignées qui la ceignent inférieurement ; mais dans cette explication, il fait entierement abstraction de la cohésion des molécules d’eau entr’elles : or quels corps pourra-t-on de bonne foi supposer se toucher & avoir une force de cohésion, si l’on refuse de reconnoître que les molécules d’eau assemblées en masse se touchent & s’attirent réciproquement par une force de cohésion ? Voyez Cohésion.

M. Hamberger paroît lui-même reconnoître tacitement le peu de vraissemblance de cette explication ; puisque dans l’édition de 1750 de ses Elémens de Physique, que j’ai entre les mains, il n’avance plus que cette élévation des particules évaporables soit dûe à leur adhésion plus grande à l’air qui est au-dessus, qu’aux molécules ignées qui les ceignent inférieurement. Il se contente de dire en général, que les molécules ignées passant des corps chauds dans l’air, plus froid que les corps, elles entraînent avec elles les particules évaporables. Mais malgré cette modification, l’hypothèse n’en est pas plus d’accord avec les observations. Si on suppose avec M. Hamberger, que l’évaporation se fait par le passage des particules ignées des corps évaporables, dans l’air plus froid que ces corps, il s’ensuivra nécessairement qu’il n’y aura point d’évaporation toutes les fois que les corps qui en sont susceptibles seront aussi froids ou plus froids que l’air ; ce qui est évidemment contraire à l’observation.

Dans l’ouvrage que nous venons de citer, M. Hamberger fait encore une addition plus essentielle à sa premiere hypothèse ; il y avance que les particules évaporables qui sont à la superficie des corps, passent dans l’air par voie de dissolution, modo solutionis (Elémens de Physique, §. 477.) & à cette occasion, il cite le paragraphe 242. où il se propose d’expliquer le méchanisme de la dissolution, & où il détermine la maniere dont les particules du corps dissous s’arrangent dans les interstices des molécules du dissolvant. M. Hamberger n’est pas le seul qui ait dit que l’évaporation se faisoit par une espece de dissolution : plusieurs physiciens ayant adopté, comme lui, une hypothèse sur la dissolution, ont crû expliquer le méchanisme de l’évaporation, en disant qu’il étoit semblable à celui de la dissolution. Pour combattre les systèmes de ces auteurs sur l’évaporation, il faudroit donc commencer par examiner les différentes hypothèses qu’ils ont adoptées sur le méchanisme de la dissolution ; mais cet examen appartient proprement à la Chimie, & sera fait par M. Venel à l’article Menstrue, beaucoup mieux que je ne pourrois le faire. Je me contenterai de dire ici, qu’il me paroît que jusqu’à présent les Physiciens ne nous ont donné sur ce sujet que de pures supposi-