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res ; souvent avec bien de l’étude & du talent il ne viendra pas à bout de contenter son juge. On sait que Newton & Nicole s’étant présentés à l’examen furent tous les deux réfusés ; & cela chacun dans un genre où il égaloit dès-lors ce qu’il y avoit de plus célebre en Europe.

Il vaut donc mieux qu’un disciple ait sa tâche connue & déterminée ; & que remplissant cette tâche, il puisse être tranquille & sûr du succès ; avantage qu’on n’a pas à présent.

Quoi qu’il en soit, ceux qui dans l’éducation proposée quitteroient leurs études vers l’âge de quatorze ans, ne se trouveroient pas, comme aujourd’hui, dans un vuide affreux de toutes les connoissances qui peuvent former d’utiles citoyens : ils seroient dès-lors au fait de l’Ecriture & du Calcul, de la Géographie, & de l’Histoire, &c. A l’égard du latin, ils entendroient suffisamment les auteurs classiques ; & les traductions perpétuelles qu’ils auroient faites de vive voix & par écrit, pendant bien des années, leur auroient déjà donné du style & du goût pour écrire en françois. D’ailleurs ils connoîtroient par une fréquente lecture nos historiens & nos poëtes ; & ils auroient même, pour la plûpart, une heureuse habitude de réflexion & de raisonnement, capable de leur donner une entrée facile aux langues étrangeres & aux sciences les plus relevées. Ainsi quand ils n’auroient pas beaucoup d’acquis pour la composition latine, ils ne laisseroient pas d’en être au point où doivent être des enfans destinés à des emplois difficiles : au lieu que dans l’éducation présente, si l’on ne réussit pas dans les themes & les vers, on ne réussit dans rien ; & des-là, quelque génie qu’on ait d’ailleurs, on passe le plus souvent pour un sujet inepte ; ce qui peut influer sur le reste de la vie.

A l’égard de ceux qui suivroient jusqu’au bout le nouveau plan d’éducation, il est visible qu’ils seroient de bonne heure au point de capacité nécessaire pour être admis ensuite parmi les gens polis & lettrés, puisqu’à l’âge de dix-sept ou dix-huit ans ils auroient, outre les étymologies greques, une profonde intelligence du latin, & beaucoup de facilité pour la composition françoise ; ils auroient de plus l’Ecriture élégante & l’Arithmétique, la Géométrie, le Dessein, & la Philosophie : le tout joint à un grand usage de notre littérature. Les gens qui brillent le plus de nos jours avoient-ils plus d’acquis à pareil âge ? Combien d’illustres au contraire qui sont parvenus plus tard à ce nécessaire honnête & suffisant, malgré l’application constante qu’ils ont donnée à leurs études !

Quel peut donc enfin, & quel doit être le but de la réforme proposée ? C’est de rendre facile & peu coûteuse non-seulement la littérature latine & françoise, mais encore plusieurs autres exercices autant ou plus utiles, & qu’il est presque impossible de lier avec la pratique ordinaire ; c’est d’éviter aux parens la perte affligeante de ce que leur coûte une éducation manquée ; & c’est enfin d’épargner aux enfans les châtimens & le dégoût, qui sont presque inséparables de l’institution vulgaire.

Du reste, je l’ai dit ci-devant, & je crois pouvoir le répéter ici, l’éducation doit être l’apprentissage de ce qu’il faut savoir & pratiquer dans le commerce de la société. Qu’on juge à présent de l’éducation commune ; & qu’on nous dise si les enfans, au sortir du collége, ont les notions raisonnables que doit avoir un homme instruit & lettré. Qu’on fasse attention d’autre part que des enfans amenés, comme on l’a dit, au point d’entendre aisément Cicéron, Virgile, & Tribonien, & de les traduire avec une sorte de goût ; au point de posséder, par une lecture assidue, les auteurs qui ont le mieux écrit en notre langue, & de manier avec facilité le Calcul, le Dessein, l’Ecriture, &c. que ces enfans, dis-je, auroient alors

une aptitude générale à tous les emplois ; & qu’ils pourroient choisir par conséquent dans les diverses professions, ce qui s’accorderoit le mieux à leurs intérêts ou à leurs penchans.

Un autre avantage important, c’est qu’on épargneroit par cette voie plusieurs années à la jeunesse ; attendu que les sujets, toutes choses égales, seroient alors plus formés & plus capables à quinze & seize ans, qu’ils ne sauroient l’être à vingt par l’institution latine usitée de nos jours.

Je ne puis dissimuler mon étonnement de ce que tant d’académies que nous avons dans le royaume, au lieu d’examiner les divers projets d’éducation, & d’exposer ensuite au Public ce qu’il y a sur cela de plus exact & de plus vrai, laissent à de simples particuliers le soin d’un pareil examen, & ne prennent pas la moindre part à une question littéraire qui ressortit à leur tribunal.

Ce seroit ici le lieu d’entrer dans quelque détail sur les instructions & les études relatives aux mœurs : mais cet article qui seroit long, ne convient qu’à un traité complet sur l’éducation ; & ce n’est pas de quoi il s’agit à présent : nous en pourrons dire quelque chose dans la suite en parlant des mœurs. Du reste, nous avons là-dessus un ouvrage de M. de Saint-Pierre que je crois fort supérieur à tout ce qui s’est écrit dans le même genre ; il est intitulé, Projet pour perfectionner l’éducation : je ne puis mieux faire que d’y renvoyer les lecteurs. J’ajoûterai seulement la citation suivante.

« Les législateurs de Lacédémone & de la Chine, ont presque été les seuls qui n’ayent pas crû devoir se reposer sur l’ignorance des peres ou des maîtres, d’un soin qui leur a paru l’objet le plus important du pouvoir législatif. Ils ont fixé dans leurs lois le plan d’une éducation détaillée, qui pût instruire à fond les particuliers sur ce qui faisoit ici bas leur bonheur ; & ils ont exécuté ce que, dans la théorie même, on croit encore impossible, la formation d’un peuple philosophe. L’histoire ne nous permet point de douter que ces deux états n’ayent été très-féconds en hommes vertueux. Théorie des sentimens agréables, page 192. » Cet article est de M. Faiguet, maitre de pension à Paris. L’auteur de l’article Collége ne peut, il l’ose dire, que se féliciter beaucoup de voir tout ce qu’il a avancé il y a trois ans dans ce dernier article, appuyé aujourd’hui si solidement & sans restriction par les réflexions & l’expérience d’un homme de mérite, qui s’occupe depuis long-tems & avec succès de l’instruction de la jeunesse. Voyez aussi Classe, Education, &c.

Etudes militaires. On peut voir au mot Ecole militaire quelles doivent être ces études. Nous ajoûterons ici les réflexions suivantes, que M. Leblond nous a communiquées, & qu’il avoit déjà données au Public dans le mercure d’Aout 1754.

Plan des différentes matieres qu’on doit enseigner dans une école de Mathématique militaire. Une école de Mathématique instituée pour un régiment ou pour de jeunes officiers, doit avoir pour objet de les instruire par regles & par principes des parties de cette science nécessaires à l’Art militaire.

Elle doit différer, à bien des égards, d’une école destinée à former de simples géometres & des physiciens. Dans celle-ci, le professeur doit travailler à mettre ses éleves en état de s’élever aux spéculations les plus sublimes de la haute Géométrie. Dans celle-là, il faut qu’il se borne aux objets qui ont un rapport immédiat à la science militaire ; qu’il s’applique à les rendre d’un accès facile aux jeunes officiers, & à faire ensorte qu’ils puissent remplir dans le besoin, avec intelligence & distinction, les fonctions d’Ingénieur & d’Artilleur.

C’est dans cet esprit que l’on a rédigé le plan