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adoré de ses disciples : il reçut dans ses jardins plusieurs femmes célebres, Léontium, maîtresse de Métrodore ; Thémiste, femme de Léontius ; Philénide, une des plus honnêtes femmes d’Athenes ; Nécidie, Erotie, Hédie, Marmarie, Bodie, Phédrie, &c. Ses concitoyens, les hommes du monde les plus enclins à la médisance, & de la superstition la plus ombrageuse, ne l’ont accusé ni de débauche ni d’impiété.

Les Stoïciens féroces l’accablerent d’injures ; il leur abandonna sa personne, défendit ses dogmes avec force, & s’occupa à démontrer la vanité de leur système. Il ruina sa santé à force de travailler : dans les derniers tems de sa vie il ne pouvoit ni supporter un vêtement, ni descendre de son lit, ni souffrir. la lumiere, ni voir du feu. Il urinoit le sang ; sa vessie se fermoit peu-à-peu par les accroissemens d’une pierre : cependant il écrivoit à un de ses amis que le spectacle de sa vie passée suspendoit ses douleurs.

Lorsqu’il sentit approcher sa fin, il fit appeller ses disciples ; il leur légua ses jardins ; il assûra l’état de plusieurs enfans sans fortune, dont il s’étoit rendu le tuteur ; il affranchit ses esclaves ; il ordonna ses funérailles, & mourut âgé de soixante & douze ans, la seconde année de la cent vingt-septieme olympiade. Il fut universellement regretté : la république lui ordonna un monument ; & un certain Théotime, convaincu d’avoir composé sous son nom des lettres infames, adressées à quelques-unes des femmes qui fréquentoient ses jardins, fut condamné à perdre la vie.

La philosophie épicurienne fut professée sans interruption. depuis son institution jusqu’au tems d’Auguste ; elle fit dans Rome les plus grands progrès. La secte y fut composée de la plûpart des gens de lettres & des hommes d’état ; Lucrece chanta l’épicuréisme, Celse le professa sous Adrien, Pline le Naturaliste sous Tibere : les noms de Lucien & de Diogene Laerce sont encore célebres parmi les Epicuriens.

L’épicuréisme eut, à la décadence de l’empire romain, le sort de toutes les connoissances, il ne sortit d’un oubli de plus de mille ans qu’au commencement du dix-septieme siecle : le discrédit des formes plastiques remit les atomes en honneur. Magnene, de Luxeu en Bourgogne, publia son democritus reviviscens, ouvrage médiocre, où l’auteur prend à tout moment ses rêveries pour les sentimens de Démocrite & d’Epicure. A Magnene succéda Pierre Gassendi, un des hommes qui font le plus d’honneur à la Philosophie & à la nation : il naquit dans le mois de Janvier de l’année 1592, à Chantersier, petit village de Provence, à une lieue de Digne, où il fit ses humanités. Il avoit les mœurs douces, le jugement sain, & des connoissances profondes : il étoit versé dans l’Astronomie, la Philosophie ancienne & moderne, la Métaphysique, les langues, l’histoire, les antiquités ; son érudition fut presque universelle. On a pû dire de lui que jamais philosophe n’avoit été meilleur humaniste, ni humaniste si bon philosophe : ses écrits ne sont pas sans agrément ; il est clair dans ses raisonnemens, & juste dans ses idées. Il fut parmi nous le restaurateur de la philosophie d’Epicure : sa vie fut pleine de troubles ; sans cesse il attaqua & fut attaqué : mais il ne fut pas moins attentif dans ses disputes, soit avec Fludd, soit avec mylord Herbert, soit avec Descartes, à mettre l’honnêteté que la raison de son côté.

Gassendi eut pour disciples ou pour sectateurs, plusieurs hommes qui se sont immortalisés, Chapelle, Moliere, Bernier, l’abbé de Chaulieu, M. le grand-prieur de Vendôme, le marquis de la Fare, le chevalier de Bouillon, le maréchal de Catinat, & plusieurs autres hommes extraordinaires, qui, par un

contraste de qualités agréables & sublimes, réunissoient en eux l’héroïsme avec la mollesse, le goût de la vertu avec celui du plaisir, les qualités politiques avec les talens littéraires, & qui ont formé parmi nous différentes écoles d’épicuréisme moral dont nous allons parler.

La plus ancienne & la premiere de ces écoles où l’on ait pratiqué & professé la morale d’Epicure, étoit rue des Tournelles, dans la maison de Ninon Lenclos ; c’est-là que cette femme extraordinaire rassembloit tout ce que la cour & la ville avoient d’hommes polis, éclairés & voluptueux ; on y vit madame Scarron ; la comtesse de la Suze, célebre par ses élégies ; la comtesse d’Olonne, si vantée par sa rare beauté & le nombre de ses amans, Saint-Evremont, qui professa depuis l’épicuréisme à Londres, où il eut pour disciples le fameux comte de Grammont, le poëte Waller, & madame de Mazarin ; la duchesse de Bouillon Mancini, qui fut depuis de l’école du Temple ; des Yvetaux, (voyez Arcadiens), M. de Gourville, madame de la Fayette, M. le duc de la Rochefoucault, & plusieurs autres, qui avoient formé à l’hôtel de Rambouillet une école de Platonisme, qu’ils abandonnerent pour aller augmenter la société & écouter les leçons de l’épicurienne.

Après ces premiers épicuriens, Bernier, Chapelle & Moliere disciples de Gassendi, transférerent l’école d’Epicure de la rue des Tournelles à Auteuil : Bachaumont, le baron de Blot, dont les chansons sont si rares & si recherchées, & Desbarreaux, qui fut le maître de madame Deshouilleres dans l’art de la poésie & de la volupté, ont principalement illustré l’école d’Auteuil.

L’école de Neuilly succéda à celle d’Auteuil : elle fut tenue, pendant le peu de tems qu’elle dura, par Chapelle & MM. Sonnings ; mais à peine fut-elle instituée, qu’elle se fondit dans l’école d’Anet & du Temple.

Que de noms célebres nous sont offerts dans cette derniere ! Chapelle & son disciple Chaulieu, M. de Vendôme, madame de Bouillon, le chevalier de Bouillon, le marquis de la Fare, Rousseau, MM. Sonnings, l’abbé Courtin, Campistron, Palaprat, le baron de Breteuil, pere de l’illustre marquise du Châtelet ; le président de Mesmes, le président Ferrand, le marquis de Dangeau, le duc de Nevers, M. de Catinat, le comte de Fiesque, le duc de Foix ou de Randan, M. de Périgny, Renier, convive aimable, qui chantoit & s’accompagnoit du luth, M. de Lasseré, le duc de la Feuillade, &c. cette école est la même que celle de St. Maur ou de madame la duchesse.

L’école de Seaux rassembla tout ce qui restoit de ces sectateurs du luxe, de l’élégance, de la politesse, de la philosophie, des vertus, des lettres & de la volupté, & elle eut encore le cardinal de Polignac, qui la fréquentoit plus par goût pour les disciples d’Epicure, que pour la doctrine de leur maître, Hamilton, St Aulaire, l’abbé Gênet, Malesieu, la Motte, M. de Fontenelle, M. de Voltaire, plusieurs académiciens, & quelques femmes illustres par leur esprit ; d’où l’on voit qu’en quelque lieu & en quelque tems que ce soit, la secte épicurienne n’a jamais eu plus d’éclat qu’en France, & sur-tout pendant le siecle dernier. Voyez Brucker, Gassendi, Lucrece, &c.

EPICYCLE, s. m. en Astronomie, cercle dont le centre est dans la circonférence d’un autre cercle, qui est censé le porter en quelque maniere.

Ce mot est formé des mots grecs, ἐπί, suprà, sur, & de κύκλος, cercle, comme si l’on disoit cercle sur cercle.

De même que les anciens astronomes ont inven-