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dans les nerfs. C’est à cause de la sensibilité du tissu des intestins & de toutes les entrailles, que ces petites créatures sont si souvent attaquées de fortes tranchées, de douleurs d’estomac & de boyaux très-aiguës ; ce qui les met dans un état déplorable, quelquefois très-dangereux. L’irritabilité dont sont si susceptibles les membranes qui enveloppent le cerveau & la moëlle épiniere, les fait fréquemment souffrir, par des mouvemens convulsifs, épileptiques des membres ; par des agitations spasmodiques, subites, instantanées, mais fréquentes des extrémités. La distribution abondante de nerfs au cardia, au diaphragme, aux organes de la respiration, qui sont très-susceptibles d’irritation, par les matieres viciées contenues dans l’estomac, par la pituite acre qui se ramasse dans la trachée-artere, & dans toutes les voies pulmonaires de l’air, rend encore les enfans très-sujets à la toux, soit stomacale, soit pectorale, & à l’asthme convulsif, avec danger de suffocation. Et enfin le sentiment exquis des tuniques qui tapissent la bouche & les gencives, leur fait aussi souffrir des symptomes violens, par l’effet de la dentition difficile. Voilà un détail suffisant pour juger de tous les effets que peut produire dans les enfans la sensibilité du genre nerveux, qui doit par conséquent être regardée comme la cause matérielle principale des maladies auxquelles ils sont sujets ; mais elle n’est pas l’unique.

L’acide dominant dans leurs humeurs, auquel le docteur Harris, qui a si bien expliqué cette matiere, attribue tant d’effets dans ces maladies, qu’il ne craint pas d’avancer qu’elles sont presque toutes produites par cette cause particuliere, doit aussi être regardée comme une source principale d’une grande partie des maux qui surviennent aux enfans. C’est ce que prouvent dans un grand nombre de ces petits malades, les raports & les vomissemens qui répandent une odeur tirant sur l’aigre, ou même bien aigre, & les matieres fécales, qui affectent l’odorat de la même maniere. On peut encore s’en convaincre, non-seulement par la facilité avec laquelle s’aigrit & se coagule le lait dont les enfans sont nourris, mais encore parce que la partie lymphatique de leurs humeurs ne contracte aucune mauvaise qualité aussi facilement que l’acidité, vû que leur nourriture, d’abord unique, & ensuite principale pendant les premiers tems de leur vie, consiste dans l’usage du lait de femme, auquel on joint des préparations alimentaires faites avec le lait des animaux, telles que des bouillies, des potages de farine, de pain ; toutes choses très susceptibles de s’aigrir, ou de fournir matiere aux sucs aigres : vû encore qu’ils ne font point ou presque point d’exercice, qu’ils ne font même que très-peu de mouvement. Ainsi il n’y a pas lieu de douter que l’intempérie acide ne devienne aisément & promptement dominante dans le corps des enfans ; d’où peuvent naître un très-grand nombre de maladies. Voyez Acide & Acidité.

Les causes éloignées de la débilité & de la sensibilité des solides dans les enfans, sont principalement la disposition naturelle, eu égard à l’âge, & par conséquent la foiblesse du tempérament : mais comme cette foiblesse & cette sensibilité ne sont pas un vice, tant qu’elles ne sont pas excessives, puisqu’elles sont une suite nécessaire des principes de la vie, il s’agit de savoir ce qui les rend particulierement défectueuses, & propres à troubler l’économie animale ; ensorte qu’il en résulte de plus mauvais effets dans les uns, & de moins mauvais effets dans les autres. Rien ne paroît pouvoir contribuer davantage à établir ce vice dominant, que cette disposition héréditaire qui est transmise aux enfans par l’un des deux parens, ou par le pere & la mere ensemble ; c’est pourquoi il arrive souvent que des personnes d’une foible santé, ou qui sont épuisées par des excès de

l’acte vénérien, par des débauches, par de trop grands travaux d’esprit, par la vieillesse, mettent au monde des enfans qui dès leur naissance menent une vie infirme, & sont sujets à des maladies dont la cause, qui vient de premiere origine, ne peut être détruite ni corrigée par aucun secours de l’art ; tels sont pour la plûpart ceux qui sont affectés de la goutte, du calcul, qui cherchent inutilement dans la Medecine quelque soulagement à leurs maux.

C’est encore plus particulierement des meres que viennent ces vices héréditaires, à cause des erreurs qu’elles commettent pendant leur grossesse, dans l’usage des choses qui influent le plus sur l’économie animale ; car on ne sauroit dire combien la plûpart des femmes grosses sont susceptibles de la dépravation d’appétit, & combien elles sont portées à s’y livrer, à moins qu’elles ne se contiennent par une grande force d’esprit, qui est extrèmement rare parmi elles, sur-tout dans ce cas. On ne pourroit exprimer combien elles ont de disposition à s’occuper de soins inutiles, de desirs vagues, d’imaginations déréglées ; combien elles se laissent frapper aisément par la crainte, la terreur, les frayeurs ; combien elles ont de penchant à la tristesse, à la colere, à la vengeance, & à toute passion forte, vive ; ce qui ne contribue pas peu à troubler le cours des humeurs, & à faire des impressions nuisibles dans les tendres organes des enfans renfermés dans la matrice. On doit craindre le même effet de l’intempérance des femmes qui se remplissent d’une grande quantité d’alimens, & souvent de mauvaise qualité ; qui sont dans l’habitude d’user immodérément de boissons spiritueuses, dont l’effet rend la pléthore occasionnée par la grossesse, encore plus considérable, & n’est pas même corrigé par des saignées, qu’elles ne veulent pas souffrir. On peut encore mettre dans la classe des femmes qui nuisent considérablement aux enfans qu’elles portent, par leur indisposition personnelle, celles qui sont sujetes aux affections hystériques, qui sont fort avides du commerce des hommes, & s’y livrent fréquemment aprés la fécondation & pendant le cours de leur grossesse. Le coït trop fréquent pendant ce tems, est réellement, au sentiment de plusieurs auteurs, une puissante cause pour rendre les enfans infirmes & valétudinaires. Ce qui contribue principalement encore à détruire leur santé dans le ventre de la mere, c’est souvent les fatigues qu’ils essuient, les forces qu’ils épuisent dans les travaux de l’accouchement, soit lorsqu’elle n’agit pas assez, ne fait pas assez d’efforts pour l’expulsion du fœtus, par indolence ou par foiblesse ; soit lorsqu’elle se presse trop, & force l’accouchement par impatience ou par trop de vigueur, ou par l’effet des remedes chauds employés mal-à-propos pour exciter les forces expulsives.

Les sages-femmes nuisent aussi très-souvent aux enfans, soit en employant imprudemment leur ministere pour faire l’extraction violente du fœtus, qui sortiroit en bonne santé sans leur secours ; soit en le blessant de toute autre maniere, comme en comprimant si fort les os du crane, dont les sutures ne sont unies que foiblement, qu’elles établissent par ce traitement imprudent, la cause de différentes maladies considérables, telles que l’épilepsie, la paralysie, la stupidité, qui sont suivies d’une mort prochaine, ou qui produisent de fâcheux effets pendant toute la vie.

Les accidens qui surviennent aux enfans après leur naissance & pendant les premiers tems de leur vie, contribuent aussi beaucoup à rendre les enfans d’un tempérament plus foible & plus sensible, tels que les frayeurs auxquelles ils peuvent être exposés, les cris inattendus, les bruits frappans, les interruptions subites du sommeil avec surprise ; le lait qui leur est donné par leur nourrice trop promptement après