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baumer les corps auroit dû perfectionner leur medecine ; cependant ce qu’on en peut dire de mieux, c’est qu’ils avoient des medecins pour chaque partie du corps & pour chaque maladie. C’étoit du reste un tissu de pratiques superstitieuses, très-commodes pour pallier l’inefficacité des remedes & l’ignorance du medecin. Si le malade ne guérissoit pas, c’est qu’il avoit la conscience en mauvais état. Tout ce que Borrichius a débité de leur chimie, n’est qu’un délire érudit ; il est démontré que la question de la transmutation des métaux n’avoit point été agitée avant le regne de Constantin. On ne peut nier qu’ils n’ayent pratiqué de tems immémorial l’astrologie judiciaire ; mais, les en estimerons-nous beaucoup davantage ? Ils ont eu d’excellens magiciens, témoin leur querelle avec Moyse en présence de Pharaon, & la métamorphose de leurs verges en serpens. Ce tour de sorcier est un des plus forts dont il soit fait mention dans l’Histoire. Ils ont eu deux théologies, l’une ésotérique & l’autre exotérique. La premiere consistoit à n’admettre d’autre dieu que l’univers, d’autres principes des êtres que la matiere & le mouvement. Osiris étoit le soleil, la lune étoit Isis. Ils disoient : au commencement tout étoit confondu : le ciel & la terre n’étoient qu’un ; mais dans le tems les élémens se séparerent. L’air s’agita : sa partie ignée portée au centre, forma les astres & alluma le soleil. Son sédiment grossier ne resta pas sans mouvement. Il se roula sur lui-même, & la terre parut. Le soleil échauffa cette masse inerte ; les germes qu’elle contenoit fermenterent, & la vie se manifesta sous une infinité de formes diverses. Chaque être vivant s’élança dans l’élément qui lui convenoit. Le monde, ajoûtoient-ils, a ses révolutions périodiques, à chacune desquelles il est consumé par le feu. Il renaît de sa cendre, pour subir le même sort à la fin d’une autre révolution. Ces révolutions n’ont point eu de commencement & n’auront point de fin. La terre est un globe sphérique. Les astres sont des amas de feu. L’influence de tous les corps célestes conspire à la production & à la diversité des corps terrestres. Dans les éclipses de lune, ce corps est plongé dans l’ombre de la terre. La lune est une espece de terre planétaire.

Les Egyptiens persisterent dans le matérialisme, jusqu’à ce qu’on leur en eut fait sentir l’absurdité. Alors ils reconnurent un principe intelligent, l’ame du monde, présent à tout, animant tout, & gouvernant tout selon des lois immuables. Tout ce qui étoit, en émanoit ; tout ce qui cessoit d’être, y retournoit : c’étoit la source & l’abysme des existences. Ils furent successivement Déistes, Platoniciens, Manichéens, selon les conjonctures & les systèmes dominans. Ils admirent l’immortalité de l’ame. Ils prierent pour les morts. Leur amenthès fut une espece d’enfer ou d’élisée. Ils faisoient aux moribonds la recommandation de l’ame en ces termes : Sol omnibus imperans, vos dii universi qui vitam hominibus largimini, me accipite ; & diis æternis contubernalem futurum reddite. Selon eux les ames des justes rentroient dans le sein du grand principe, immédiatement après la séparation d’avec le corps. Celles des méchans se purifioient ou se dépravoient encore davantage, en circulant dans le monde sous de nouvelles formes. La matiere étoit éternelle ; elle n’avoit été ni émanée, ni produite, ni créée. Le monde avoit eu un commencement, mais la matiere n’avoit point commencé & ne pouvoit finir. Elle existoit par elle même, ainsi que le principe immatériel. Le principe immatériel étoit l’être éternel qui informe ; la matiere étoit l’être éternel qui est informé. Le mariage d’Osiris & d’Isis étoit une allégorie de ce système. Osiris & Isis engendrerent Orus ou l’univers, qu’ils regardoient comme l’acte du principe actif appliqué au principe passif.

La maxime fondamentale de leur théologie exotérique, fut de ne rejetter aucune superstition étrangere ; conséquemment il n’y eut point de dieu persécuté sur la surface de la terre, qui ne trouvât un asyle dans quelque temple égyptien ; on lui en ouvroit les portes, pourvû qu’il se laissât habiller à la maniere du pays. Le culte qu’ils rendirent aux bêtes, & à d’autres êtres de la nature, fut une suite assez naturelle de l’hyérogliphe. Les figures hyérogliphiques représentées sur la pierre, désignerent dans les commencemens différens phenomenes de la nature ; mais elles devinrent pour le peuple des représentations de la divinité, lorsque l’intelligence en fut perdue & qu’elles n’eurent plus de sens ; de-là cette foule de dieux de toute espece, dont l’Egypte étoit remplie ; de-là ces contestations sanglantes qui s’éleverent entre les prêtres, lorsque la partie laborieuse de la nation ne fut plus en état de fournir à ses propres besoins, & en même tems aux besoins de la portion oisive. Summus utrimque inde furor, vulgò quod numina vicinorum odit uterque locus, cum solos dicat habendos esse deos quos ipse colit.

Ce seroit ici le lieu de parler des antiquités égyptiennes, & des auteurs qui ont écrit de la théologie & de la philosophie des Egyptiens : mais la plûpart de ces auteurs ont disparû dans l’incendie de la bibliotheque d’Alexandrie ; ce qui nous en reste est apocryphe, si l’on en excepte quelques fragmens conserves en citations dans d’autres ouvrages. Sanchoniaton est sans autorité. Manéthon étoit de Diospolis ou de Sébennis : il vécut sous Ptolémée Philadelphe. Il écrivit beaucoup de l’histoire de la philosophie & de la théologie des Egyptiens. Voici le jugement qu’Eusebe a porté de ses ouvrages : ex columnis, dit Eusebe, in syriadicâ terrâ positis, quibus sacrâ dialecto sacræ erant notæ insculptæ à Thoot, primo Mercurio ; post diluvium verò ex sacrâ linguâ in græcam notis ibidem sacris versæ fuerunt ; interque libros in ædita ægyptia relatæ ab Agatho dæmone, altero Mercurio patre Tat ; unde ipse ait libros scriptos ab avo Mercurii Trismegisti…..Quel fond pourrions-nous faire sur cette traduction de traduction de symboles en hyerogliphes, d’hyerogliphes en caracteres égyptiens sacrés, de caracteres égyptiens sacrés en lettres greques sacrées, de lettres greques sacrées en caractere ordinaire, quand l’ouvrage de Manethon seroit parvenu jusqu’à nous ?

La table Isiaque est une des antiquités égyptiennes les plus remarquables. Pierre Bembe la retira d’entre les mains d’un ouvrier qui l’avoit jettée parmi d’autres mitrailles. Elle passa de-là dans le cabinet de Vincent duc de Mantoue. Les Impériaux s’emparerent de Mantoue en 1630, & la table Isiaque disparut dans le sac de cette ville : un medecin du duc de Savoie la recouvra long-tems après, & la renferma parmi les antiquités de son souverain, où elle existe apparemment. Voyez-en la description au mot Isiaque. Que n’a-t-on point vû dans cette table : c’est un nuage où les figures se sont multipliées, selon qu’on avoit plus d’imagination & de connoissances. Rudbeck y a trouvé l’alphabet des Lapons, Fabricius les signes du zodiaque & les mois de l’année, Herwart les propriétés de l’aimant & la polarité de l’aiguille aimantée, Kircher, Pignorius, Witsius, tout ce qu’ils ont voulu ; ce qui n’empêchera pas ceux qui viendront après eux d’y voir encore tout ce qu’ils voudront ; c’est un morceau admirable pour ne laisser aux modernes, de leurs découvertes, que ce qu’on ne jugera pas digne d’être attribué aux anciens.

Egyptiens, ou plûtôt Bohémiens, s. m. plur. (Histoire mod.) espece de vagabonds déguisés, qui, quoiqu’ils portent ce nom, ne viennent cependant ni d’Egypte, ni de Boheme ; qui se déguisent sous des habits grossiers, barbouillent leur visage & leur corps, & se font un certain jargon ; qui rodent çà