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de (voyez Yeux d’écrevisse). Il y a deux de ces pierres dans chaque écrevisse ; elles ne sont point dans le cerveau, mais dans l’estomac, qui est placé au-dessous ; on ne les y trouve pas en tout tems ; leurs différens degrés d’accroissement sont sensibles, lorsqu’on ouvre des écrevisses en différens états ; ces pierres grossissent jusqu’au tems de la mue, & subsistent pendant la mue ; mais le jour qui la suit elles diminuent de grosseur, & ensuite disparoissent lorsque la nouvelle écaille a pris son accroissement, & dans la suite cette écaille ne devient ni plus dure ni plus épaisse, ni peut-être plus grande. De sorte que le corps de l’écrevisse qui augmente de volume chaque année étant gêné dans son écaille au-bout de l’an, est contrainte d’en sortir ; aussi la nouvelle écaille se trouve toûjours plus grande que l’ancienne ; mais cette différence n’est pas considérable, sur-tout au rapport de certains pêcheurs, qui ont assûré qu’une écrevisse de six à sept ans n’est encore qu’une écrevisse de grosseur médiocre.

Ces animaux sont très-voraces ; ils se nourrissent de chairs pourries des poissons & d’insectes aquatiques, & même ils se mangent les uns les autres après la mue, lorsque la nouvelle écaille n’est pas encore formée ; mais pendant sept ou huit mois de l’année, depuis le mois de Septembre jusqu’au mois de Mai, ils mangent peu, & peut-être ne prennent-ils aucune nourriture. Pendant l’hyver ils restent dans des trous plusieurs ensemble, & en sortent rarement avant le printems. Rondelet, histoire des poissons de riviere, chap. xxxij. Mém. de l’acad. roy. des Scienc. années 1709, 1712, & 1718.

Willis, tract. de anim. brut. cap. viij. observe que les écrevisses, les crabes, les hommars, les squilles, &c. qui se portent en-arriere lorsqu’ils nagent ou qu’ils marchent, au lieu de se porter en-avant comme les autres animaux, sont aussi conformés différemment de ceux-ci, en ce que les écailles qui leur tiennent lieu d’os, sont en-dehors au lieu d’être en-dedans, & que le foie, l’estomac, &c. sont placés au-dessus du cœur, &c. Les écrevisses ont les parties de la génération doubles, tant les mâles que les femelles, celles-ci portent leurs œufs amoncelés sous la queue. L’écrevisse femelle a deux ovaires sous la grande écaille qui couvre le corps & la tête ; chaque ovaire est terminé par un petit canal qui entre dans la premiere partie de la troisieme jambe, & il y a dans cette premiere partie une ouverture à-peu-près ronde par laquelle sortent les œufs. Cette ouverture se trouve sur la face inférieure de l’écaille, & est recouverte par une membrane qui s’ouvre du côté du ventre de l’animal. La ponte se fait en Novembre & Décembre, & on trouve aussi les œufs attachés à la queue dans les mois de Janvier & de Février, & quelquefois en Mars. Voyez anat. cancri fluvial. D. Luc. Aut. Portii misc. acad. cur. nat. dec. 1. an. 5. obs. 19. Voyez Crustacées. (I)

* Ecrevisse, (Pêche de l’) On pêche l’écrevisse de plusieurs manieres ; une des plus simples, c’est d’avoir des baguettes fendues, de mettre dans la fente de l’apas, comme de la tripaille, des grenouilles, &c. de les disperser le long du ruisseau où l’on sait qu’il y a des écrevisses, de les y laisser reposer assez long-tems pour que les écrevisses soient attachées à l’apas, d’avoir un panier ou une petite truble, d’aller lever les baguettes legerement, de glisser sous l’extrémité opposée la truble & le panier, & d’enlever le tout ensemble hors de l’eau ; à peine l’écrevisse se verra-t-elle hors de l’eau, qu’elle se détachera de l’apas, mais elle sera reçue dans le panier. D’autres les prennent à la main, ils entrent dans l’eau, ils s’y couchent & étendent leurs bras en tous sens vers les trous où ils supposent les écrevisses cachées. Il y en a qui mettent le ruisseau à sec ; les écrevisses qui man-

quent d’eau sont forcées de sortir de leurs trous & de

se faire prendre. Un piége qui n’est pas moins sûr, c’est celui qu’on tend à leur voracité ; on laisse pourrir un chat mort, un chien, un vieux lievre, ou l’on prend un morceau de cheval mort, on le jette dans l’eau, on l’entoure d’épines, on l’y laisse long-tems ; il attire toutes les écrevisses que l’on prend en traînant à soi la charogne & les épines avec un crochet. Comme elles aiment beaucoup le sel, des sacs qui en auroient été remplis feroient le même effet que la charogne.

Ecrevisse de riviere, (Matiere médicale, Pharmacie & diete.) L’écrevisse est généralement regardée comme un aliment médicamenteux, ou comme un médicament alimenteux, qui purifie le sang, qui le foüette, qui le divise, qui dispose les humeurs aux excrétions, qui ranime les oscillations des vaisseaux & le ton des solides en général, en un mot, comme un remede incisif & tonique : on l’ordonne à ce titre dans les maladies de la peau ab humorum lentâ mucagine, c’est-à-dire (pour faire signifier quelque chose à ces mots qui sont de Boerhaave) dans les maladies de la peau dont le caractere n’est point inflammatoire ou du moins qui ne sont point aiguës comme le sont les phlegmons considérables, les érésypeles étendus, &c. Voyez maladies de la peau au mot Peau. On les employe encore dans les obstructions, la cachexie, la leucophlegmatie, les bouffissures, &c. On prépare dans tous ces cas des bouillons dans lesquels on fait entrer cinq ou six écrevisses ; ces bouillons d’écrevisse font avec les bouillons de vipere, le pendant des bouillons de grenouille, des bouillons de tortue & du lait, & le complément des secours vraissemblablement aussi inutiles que généralement employés contre les maladies chroniques. Voyez Medicament altérant, au mot Medicament, & le mot Nourrissant.

Mais pour nous restraindre ici à l’usage des écrevisses en particulier, n’est-il pas singulier, pour ne rien dire de plus, qu’on prétende apporter un changement utile dans la constitution actuelle d’un malade, en lui faisant prendre la décoction ou bouillon de cinq ou six écrevisses, tandis qu’il n’est peut-être pas une seule personne pour qui une ou plusieurs douzaines d’écrevisses ne soient un aliment indifférent pour les secondes voies dont il s’agit seulement ici ; tandis que le malade même à qui l’on prescrit ce bouillon a peut-être mangé cent fois en sa vie des écrevisses à douzaines dans le même repas sans en éprouver ni bien ni dommage, & qu’il pourroit les manger sans avantage & sans inconvénient.

Au reste ce n’est pas seulement sur cette considération toute concluante qu’elle est, qu’on peut établir l’inutilité médicinale des écrevisses ; on ose avancer, & ceci est plus direct, que les bouillons d’écrevisse n’ont jamais guéri personne, quoiqu’il puisse bien être souvent arrivé que des malades ont été guéris pendant ou après l’usage des bouillons d’écrevisse ; car guérir par un remede ou guérir en prenant un remede, n’est pas la même chose assûrément : le régime & l’expectation ou les droits de la nature, ont dans tous ces traitemens par le secours des altérans, une influence qu’on ne doit pas perdre de vûe. Voyez Expectation & Régime.

Quoi qu’il en soit, voici comme on s’y prend pour préparer les bouillons d’écrevisse : prenez de racines, bois, écorces, semences, herbes & fleurs prétendues atténuantes, apéritives, incisives (Voyez Incisif), celles que vous voudrez à la dose ordinaire de chacune (Voyez leurs art. particul.) ; faites bouillir avec suffisante quantité d’eau commune ces substances végétales, en les introduisant successivement dans l’eau selon l’art ; sur la fin de l’ébullition, jettez dans votre vaisseau cinq, six ou huit écrevisses de