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que cette déesse rendoit à son amant dans les montagnes de la Carie : mais comme ses amours ne durerent pas toûjours, il fallut chercher, dit l’abbé Banier, une autre cause des éclipses.

On publia que les sorcieres, sur-tout celles de Thessalie, avoient le pouvoir par leurs enchantemens d’attirer la Lune sur la terre ; c’est pourquoi on faisoit un grand vacarme avec des chauderons & autres instrumens, pour la faire remonter à sa place. Les Romains entre autres suivoient cet usage, & allumoient un nombre infini de torches & de flambeaux, qu’ils élevoient vers le ciel, pour rappeller la lumiere de l’astre éclipsé. Juvénal fait allusion au grand bruit que faisoit à ce sujet le peuple de Rome sur des bassins d’airain, lorsqu’il dit d’une femme babillarde, qu’elle fait assez de bruit pour secourir la Lune en travail : Una laboranti poterit succurrere Lunæ.

Si l’on vouloit remonter à la source de cette coûtume, on trouveroit qu’elle venoit d’Egypte, où Isis, symbole de la Lune, étoit honorée avec un bruit pareil de chauderons, de tymbales, & de tambours.

L’opinion des autres peuples étoit, que les éclipses annonçoient de grands malheurs, ou menaçoient la tête des rois & des princes. On a eu long-tems la même idée des cometes. Les Mexiquains effrayés jeûnoient pendant les éclipses. Les femmes durant ce tems-là se maltraitoient elles-mêmes, & les filles se tiroient du sang des bras. Ces gens-là s’imaginoient que la Lune avoit été blessée par le Soleil, pour quelque querelle qu’ils avoient eue ensemble.

Les Indiens croyent aussi par ce principe, que la cause des éclipses vient de ce qu’un dragon malfaisant veut dévorer la Lune ; c’est pourquoi les uns font un grand vacarme, pour lui faire lâcher prise, pendant que les autres se mettent dans l’eau jusqu’au cou, pour supplier le dragon de ne pas dévorer entierement cette planete. Lisez encore là-dessus, dans les mémoires du P. le Comte, les idées particulieres des Chinois.

Anaxagore contemporain de Péricles, & qui mourut la premiere année de la soixante-huitieme olympiade, fut le premier qui écrivit très-clairement & très-hardiment sur les diverses phases de la Lune, & sur ses éclipses ; je dis, comme Plutarque, très-hardiment, parce que le peuple ne souffroit pas encore volontiers les Physiciens. Aussi les ennemis de Socrate réussirent à le perdre, en l’accusant de chercher par une curiosité criminelle à pénétrer ce qui se passe dans les cieux, comme si la raison & le génie pouvoient s’élever trop haut. On n’a depuis que trop souvent renouvellé par le même artifice, des accusations semblables contre des hommes du premier mérite. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Les généraux romains se sont servis quelquefois des éclipses pour contenir leurs soldats, ou pour les encourager dans des occasions importantes. Tacite dans ses annales, liv. I. ch. xxviij. parle d’une éclipse dont Drusus se servit pour appaiser une sédition très-violente, qui s’étoit élevée dans son armée. Tite-Live rapporte que Sulpitius Gallus, lieutenant de Paul Emile dans la guerre contre Persée, prédit aux soldats une éclipse qui arriva le lendemain, & prévint par ce moyen la frayeur qu’elle auroit causée. Ce fait n’a pas été raconté assez exactement à l’article Astronomie, où même par une faute du copiste ou de l’imprimeur, on a mis les Perses au lieu de Persée. Plutarque dit que Paul Emile sacrifia à cette occasion onze veaux à la Lune, & le lendemain vingt-un bœufs à Hercule, dont il n’y eut que le dernier qui lui promit la victoire.

Aujourd’hui non-seulement les Philosophes, mais le peuple même est instruit de la cause des éclipses ; on sait que les éclipses de Lune viennent de ce que

cette planete entre dans l’ombre de la Terre, & ne peut être éclairée par le Soleil durant le tems qu’elle la traverse, & que les éclipses de Soleil viennent de l’interposition de la Lune, qui cache aux habitans de la Terre une partie du Soleil, ou même le Soleil tout entier. Les Astronomes observent dans les satellites de Jupiter & de Saturne, des éclipses semblables à celles de notre Lune, mais à la vérité plus fréquentes ; parce que ces satellites tournent autour de Jupiter en bien moins de tems que la Lune autour de nous.

La durée d’une éclipse est le tems entre l’immersion & l’émersion.

L’immersion dans une éclipse est le moment auquel le disque du Soleil ou de la Lune, commence à se cacher. Voyez Immersion.

L’émersion est le moment où le corps lumineux éclipse commence à reparoître. Voyez Emersion.

Au reste, les mots d’immersion & d’émersion sont encore plus d’usage dans les éclipses de Lune, que dans celles de Soleil ; parce que dans les éclipses de Lune, la Lune se plonge véritablement (se immergit) dans l’ombre de la terre, & s’obscurcit : au lieu que dans les éclipses de Soleil, cet astre ne tombe pas dans l’ombre de la Lune, mais nous est seulement caché par la Lune.

S’il y a quelque chose dans l’Astronomie qui puisse nous faire connoître les efforts dont l’esprit humain est capable, lorsqu’il s’agit de recherches subtiles & qui demandent une grande sagacité, c’est assûrément la théorie des éclipses & la justesse avec laquelle on est parvenu depuis long-tems à les calculer & a les prédire ; cette justesse sert à nous convaincre de la certitude & de la précision des calculs astronomiques ; & ceux qui s’étonnent qu’on puisse mesure les mouvemens & les distances des corps célestes malgré l’éloignement où ils sont, n’ont rien à répondre à l’accord si parfait qui se trouve entre le calcul des éclipses & le moment où elles arrivent.

Pour déterminer la grandeur des éclipses, il est d’usage de diviser le diametre des corps lumineux éclipsés en douze parties égales, appellées doigts. Voyez Doigt.

Les éclipses se divisent en éclipses totales, partiales, annulaires, &c. ce qui sera détaillé plus bas.

Eclipse de Lune, c’est un manque de lumiere dans la Lune, occasionné par une opposition diamétrale de la terre éntre le Soleil & la Lune. Voyez Lune.

On peut voir (Planc. astron. fig. 34.) la maniere dont se fait cette éclipse. A représente la terre, & B ou C la Lune.

On demandera peut-être pourquoi on n’observe point d’éclipses dans toutes les planetes : pourquoi, par exemple, la Terre, lorsqu’elle passe entre Mars & le Soleil, n’obscurcit pas quelquefois le disque de Mars. A cela on répond que la Terre étant un corps beaucoup plus petit que le Soleil, son ombre ne doit point s’étendre à l’infini, mais doit se terminer en pointe à une certaine distance en forme de cone. Il n’y a que la Lune qui soit assez proche de la Terre pour pouvoir entrer dans son ombre & la couvrir de la sienne ; il en est de même des satellites de Jupiter & de Saturne par rapport à ces planetes.

Quand toute la lumiere de la Lune est interceptée, c’est-à-dire quand tout son disque est couvert, on dit que l’éclipse est totale ; & on dit qu’elle est partiale, quand il n’est couvert qu’en partie. Si l’éclipse totale dure quelque tems, on dit qu’elle est totalis cum mora, totale avec durée. Si elle n’est qu’instantanée, elle est dite totalis sine mora, totale sans durée.

Les éclipses de Lune n’arrivent que dans le tems de la pleine Lune, parce qu’il n’y a que ce tems où la Terre soit entre le Soleil & la Lune. Il n’y a cepen-