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gênés, ne pourront jamais se rétablir parfaitement.

Il est certain que le gonflement & la douleur annoncée par la difficulté de l’action du cheval, sont les seuls signes qui puissent nous frapper. Or dans la circonstance d’une extension foible & legere, c’est-à-dire dans les écarts proprement dits, dont les suites ne sont point aussi funestes, le gonflement n’existant point, il ne nous reste pour unique symptome extérieur, que la claudication de l’animal. Mais ce symptome est encore très-équivoque, si l’on considere, 1°. combien il est peu de personnes en état de distinguer si le cheval boîte de l’épaule, & non de la jambe & du pié : 2°. les autres accidens qui peuvent occasionner la claudication, tels que les heurts, les coups, un appui forcé d’une selle qui auroit trop porté sur le devant, &c. Nous devons donc avant que de prescrire la méthode curative convenable, déceler les moyens de discerner constamment le cas dont il est question, de tous ceux qui pourroient induire en erreur.

Un cheval peut boiter du pié & de la jambe, comme du bras & de l’épaule. Pour juger sainement & avec certitude de la partie affectée, on doit d’abord examiner si le mal ne se montre point par des signes extérieurs & visibles, & rechercher ensuite quelle peut être la partie sensible & dans laquelle réside la douleur. Les signes extérieurs qui nous annoncent que l’animal boite du pié ou de la jambe, sont toutes les tumeurs & toutes les maladies auxquelles ces parties sont sujettes ; & quant aux recherches que nous devons faire pour découvrir la partie atteinte & vitiée, nous débuterons par le pié. Pour cet effet si l’on n’apperçoit rien d’apparent, on frappera d’abord avec le brochoir sur la tête de chacun des clous qui ont été brochés, & on aura en même tems l’œil sur l’avant-bras de l’animal, & près du coude ; si le clou frappé occasionne la douleur, soit parce qu’il serre, soit parce qu’il pique le pié (V. Enclouure), on remarquera un mouvement sensible dans ce même avant-bras, & ce mouvement est un signe assûré que l’animal souffre. Que si en frappant ainsi sur la tête des clous il ne feint en aucune façon, on le déferrera : après quoi on serrera tout le tour du pié, en appuyant un des côtés des triquoises vers les rivures des clous, & l’autre sous le pié à l’entrée de ces mêmes clous ; dès qu’on verra dans l’avant-bras le mouvement dont j’ai parlé, on doit être certain que le siége du mal est en cet endroit. Enfin si en frappant sur la tête des clous, & si en pressant ainsi le tour du pié avec les triquoises, rien ne se découvre à nous, nous parerons le pié & nous le souderons de nouveau. Ne dévoilons-nous dans cette partie aucune des causes qui peuvent donner lieu à l’action de boiter ; remontons à la jambe, pressons, comprimons, tâtons le canon, le tendon : prenons garde qu’il n’y ait enflûre aux unes ou aux autres des différentes articulations, ce qui dénoteroit quelqu’entorse, & de-là passons à l’examen du bras & de l’épaule ; manions ces parties avec force, & observons si l’animal feint ou ne feint pas ; faisons le cheminer : dans le cas où il y aura inégalité de mouvement dans ces parties, & où la jambe du côté malade demeurera en arriere & n’avancera jamais autant que la jambe saine, on pourra conclure que le mal est dans le bras & dans l’épaule. Voici de plus une observation infaillible. Faites marcher quelque tems l’animal ; si le mal attaque le pié, il boitera toûjours davantage ; si au contraire le bras est affecté, le cheval boitera moins : mais le siége de ce même mal parfaitement reconnu, il s’agiroit encore de trouver un signe univoque pour s’assûrer de la véritable cause de la claudication, & pour ne pas confondre celle qui suit & que suscitent un heurt, une contusion, un froissement quelconque, avec celle à laquelle l’écart

& l’entr’ouverture donnent lieu : or les symptomes

qui caractérisent les premieres, sont 1°. l’enflûre de la partie ; 2°. la douleur que l’animal ressent lorsqu’on lui meut le bras en-avant ou en arriere : au lieu que lorsqu’il y a écart, effort, entr’ouverture, le cheval fauche en cheminant, c’est-à-dire qu’il décrit un demi-cercle avec la jambe ; & ce mouvement contre nature qui nous annonce l’embarras qu’occasionnent les liqueurs stagnantes & extravasées, est précisément le signe non douteux que nous cherchions.

On procede à la cure de cette maladie différemment, en étayant sa méthode sur la considération de l’état actuel du cheval, & sur les circonstances qui accompagnent cet accident. Si sur le champ on est à portée de mettre le cheval à l’eau & de l’y baigner, de maniere que toutes les parties affectées soient plongées dans la riviere, on l’y laissera quelque tems, & ce répercussif ne peut produire que de bons effets. Aussi-tôt après on saignera l’animal à la jugulaire, & non à l’ars, ainsi que nombre de maréchaux le pratiquent : car il faut éviter ici l’abord trop impétueux & trop abondant des humeurs sur une partie affoiblie & souffrante, & cette saignée dérivative seroit plus nuisible que salutaire. Quelques-uns d’entre eux font aussi des frictions avec le sang de l’animal, à mesure qu’il sort du vaisseau qu’ils ont ouvert ; les frictions en général aident le sang extravasé à se dissiper, à rentrer dans les canaux déliés qui peuvent l’absorber, & consolent en quelque façon les fibres tiraillées : mais je ne vois pas quelle peut être l’efficacité de ce fluide dont ils chargent l’épaule & le bras, à moins qu’elle ne réside dans une chaleur douce, qui a quelque chose d’analogue à la chaleur naturelle du membre affligé. Je crois, au surplus, qu’il ne faut pas une grande étendue de lumieres pour improuver ceux de ces artisans, qui après avoir lié la jambe saine du cheval, de maniere que le pié se trouve uni au coude, le contraignent & le pressent de marcher & de reposer son devant sur celle qui souffre (ce qu’ils appellent faire nager à sec), le tout dans l’intention d’échauffer la partie & d’augmenter le volume de la céphalique, ou de la veine de l’ars, qui ne se présente pas toûjours clairement aux yeux ignorans du maréchal : une pareille pratique est évidemment pernicieuse, puisqu’elle ne peut que produire des mouvemens forcés, irriter le mal, accroître la douleur & l’inflammation ; & c’est ainsi qu’un accident leger dans son origine & dans son principe, devient souvent funeste & formidable.

Quoi qu’il en soit, à la saignée, au bain, succéderont des frictions faites avec des répercussifs & des résolutifs spiritueux & aromatiques. Les premiers de ces médicamens conviennent lorsque les liqueurs ne sont point encore épanchées ; appliqués sur le champ, ils donnent du ressort aux parties, préviennent l’amas des humeurs, & parent aux engorgemens considérables : quant aux résolutifs, ils atténueront, ils diviseront les fluides épaissis, ils remettront les liqueurs stagnantes & coagulées dans leur état naturel, & ils les disposeront à passer par les pores, ou à regagner le torrent : on employera donc ou l’eau-de-vie, où l’esprit-de-vin avec du savon, ou l’eau vulnéraire, ou la lessive de cendre de sarment, ou une décoction de romarin, de thym, de sauge, de serpolet, de lavande bouillie dans du vin ; & l’on observera que les résolutifs médiocrement chauds, dans le cas d’une grande tension & d’une vive douleur, sont préférables à l’huile de laurier, de scorpion, de vers, de camomille, de romarin, de pétrole, de terebenthine, & à tous ceux qui sont doüés d’une grande activité. Les lavemens émolliens s’opposeront encore à la fievre que pourroit occasionner la douleur, qui exciteroit un éréthisme