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en même tems l’exemple & la leçon de l’attention qu’on doit apporter à la vérité du dialogue. Dans la scene d’Auguste avec Cinna, Auguste va convaincre de trahison & d’ingratitude un jeune homme fier & bouillant, que le seul respect ne sauroit contraindre à l’écouter sans l’interrompre, à moins d’une loi expresse. Corneille a donc préparé le silence de Cinna par l’ordre le plus important ; & ces vers qu’on a tant & si mal-à-propos condamnés comme superflus, sont la plus digne préparation de la plus belle scene qui soit au théatre. Cependant malgré la loi que fait Auguste à Cinna de tenir sa langue captive, dès qu’il arrive à ce vers :

Cinna, tu t’en souviens, & veux m’assassiner.

Cinna s’emporte, & veut répondre : mouvement naturel & vrai, que le grand peintre des passions n’a pas manqué de saisir. C’est ainsi que la replique doit partir sur le trait qui la sollicite. Les récapitulations ne sont placées que dans les délibérations & les conférences politiques.

On peut distinguer par rapport au dialogue quatre formes de scenes dans la tragédie : dans la premiere, les interlocuteurs s’abandonnent aux mouvemens de leur ame, sans autre motif que de l’épancher. Ce sont autant de monologues qui ne conviennent qu’à la violence de la passion, & qui dans tout autre cas, sans en excepter les expositions, doivent être exclus du théatre comme froids & superflus. Dans la seconde, les interlocuteurs ont un dessein commun qu’ils concertent ensemble, ou des secrets intéressans qu’ils se communiquent. Telle est la belle scene d’exposition entre Emilie & Cinna : cette forme de dialogue est froide & lente, à moins qu’elle ne porte sur un intérêt très-pressant. La troisieme, est celle où l’un des interlocuteurs a un projet, ou des sentimens qu’il veut inspirer à l’autre. Telle est la scene de Nerestan avec Zaïre : comme l’un des personnages n’y est point en action, le dialogue ne sauroit être ni rapide, ni varié. & ces sortes de scenes ont besoin de beaucoup d’éloquence. Dans la quatrieme, les interlocuteurs ont des vûes, des sentimens, ou des passions qui se combattent, & c’est la forme de scene la plus favorable au théatre : il arrive souvent dans celle-ci que tous les personnages ne se livrent pas au dialogue, quoiqu’ils soient tous en action & en situation. Telle est dans le sentiment la scene de Burrhus avec Néron ; dans la véhémence, celle de Palamede avec Oreste & Electre ; dans la politique, celle de Cléopatre avec Antiochus & Seleucus ; dans la passion, la déclaration de Phedre : & alors cette forme, comme la précédente, demande d’autant plus de force & de chaleur dans le style, qu’elle est moins animée par le dialogue. Quelquefois tous les interlocuteurs se livrent aux mouvemens de leur ame, & se heurtent à découvert. Voilà, ce me semble, les scenes qui doivent le plus échauffer l’imagination du poëte, cependant on en voit peu d’exemples, même dans nos meilleurs tragiques ; si l’on excepte Corneille qui a poussé la vivacité, la force, & la justesse du dialogue au plus haut degré de perfection. L’extrème difficulté de ces scenes vient de ce qu’il faut à la fois que le sujet en soit très-important, que les caracteres soient parfaitement contrastés, qu’ils ayent des intérêts opposés, également vifs, & fondés sur des sentimens qui se balancent ; enfin, que l’ame des spectateurs soit tour-à-tour entraînée vers l’un & l’autre parti, par la force des repliques. On peut citer pour modele, en ce genre, la délibération entre Auguste, Cinna & Maxime ; la premiere scene de la mort de Pompée, ce chef-d’œuvre des expositions ; la scene entre Horace & Curiace ; celle entre Felix & Pauline ; la conférence de Pompée

avec Sertorius ; enfin, plusieurs scenes d’Héraclius & du Cid, & sur-tout cette admirable scene entre Chimene & Rodrigue, où l’on a relevé, d’après le malheureux Scudéri, quelques jeux trop recherchés dans l’expression, sans dire un mot de la beauté du dialogue, de la noblesse & du naturel des sentimens, qui rendent cette scene une des plus pathétiques du théatre.

En général, le desir de briller a beaucoup nui au dialogue de nos tragédies : on ne peut se résoudre à faire interrompre un personnage à qui il reste encore de bonnes choses à dire, & le goût est la victime de l’esprit. Cette malheureuse abondance n’étoit pas connue de Sophocle & d’Euripide ; & si les modernes ont quelque chose à leur envier, c’est l’aisance, la précision, & le naturel qui regnent dans leur dialogue.

Le dialogue est encore plus négligé dans les comédies modernes. Nous n’avons point ce reproche à faire à Moliere ; il dialogue comme la nature, & l’on ne voit pas dans toutes ses pieces un seul exemple d’une replique hors de propos : mais autant que ce maître des comiques s’attache à la vérité, autant ses successeurs s’en éloignent ; la facilité du public à applaudir les tirades, les portraits, a fait de nos scenes de comédie des galeries en découpure. Un amant reproche à sa maîtresse d’être coquette ; elle répond par une définition de la coquetterie. C’est sur le mot qu’on répond, & presque jamais sur la chose. La repartie sur le mot est quelquefois plaisante, mais ce n’est qu’autant qu’elle va au fait. Qu’un valet, pour appaiser son maître qui menace un homme de lui couper le nez, lui dise :

Que feriez-vous, Monsieur, du nez d’un marguillier ?

le mot est lui-même une raison. La lune toute entiere de Jodelet est encore plus comique. C’est une naïveté excellente, & l’on sent bien que ce n’est pas là un de ces jeux de mots que nous condamnons dans le dialogue.

Ces écarts du dialogue viennent communément de la stérilité du fond de la scene, & d’un vice de constitution dans le sujet. Si la disposition en étoit telle, qu’à chaque scene on partît d’un point pour arriver à un point déterminé, ensorte que le dialogue ne dût servir qu’aux progrès de l’action, chaque replique seroit un nouveau pas vers le dénouement des chaînons de l’intrigue ; en un mot, un moyen de noüer ou de développer, de préparer une situation, ou de passer à une situation nouvelle ; mais dans la distribution primitive, on laisse des intervalles vuides d’action. Ce sont ces vuides qu’on veut remplir, & de-là les excursions du dialogue. Voyez Intrigue. Article de M. Marmontel.

Dialogue, en terme de Musique, est une composition au moins à deux voix ou à deux instrumens qui se répondent l’un à l’autre, & qui souvent se réunissent en duo. La plûpart des scenes des opéra, sont en ce sens des dialogues. Mais ce mot en Musique s’applique plus précisément à l’orgue ; c’est sur cet instrument qu’un organiste joue des dialogues en se répondant avec différens jeux, ou sur différens claviers. (S)

DIALTHÉE, s. f. terme de Pharmacie, qui se dit d’un onguent dont la racine d’althéa ou de guimauve fait la base. V. Althea.

Il consiste en mucilages extraits de cette racine, des graines de lin & de senegré : les autres ingrédiens sont l’huile commune, la cire, la résine, & la térébenthine.

Cet onguent passe pour avoir la propriété d’amollir & de résoudre, d’appaiser les douleurs de côté, de ramollir les calus, & de fortifier les nerfs. Pour