Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/887

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doit pas préjudicier à l’intérêt public. Voyez au cod. liv. VII. tit. lxiij. l. 2. & liv. VIII. tit. lxij. l. 18 : Ordonn. de 1667. tit. vj. art. 4. Journ. du palais. Arrêt du 31. Mai 1672. (A)

Desertion d’un bénéfice, est lorsqu’un bénéficier a disparu sans que l’on sache ce qu’il est devenu : après un an de son absence, on peut obtenir des provisions de son bénéfice comme vacant par desertion ; & celui qui est ainsi pourvû doit être maintenu quant à présent préférablement à celui qui est pourvû per obitum, jusqu’à ce que la vérité du fait soit éclaircie, parce la présomption de droit est qu’il est vivant. Au reste cette maintenue n’est qu’une espece de provision qui cesse dès que l’ancien titulaire reparoît. Voyez le journ. des aud. tome V. pag. 1015. arr. du 14 Juill. 1699. (A)

Desertion des maisons, terres, et autres héritages ; c’est lorsque celui qui en étoit propriétaire ou possesseur les abandonne, & les laisse vuides, vagues, & en friche.

La desertion des héritages est fort différente du déguerpissement qui se fait entre les mains du bailleur de fonds, & du délaissement soit par hypotheque ou délaissement simple pro derelicto, qui prive à l’instant le propriétaire de sa chose & la défere au premier occupant. La desertion se fait sans aucun acte ou formalité, par la seule négligence du détenteur qui laisse les héritages vacans, & néanmoins ne laisse pas d’en demeurer toûjours propriétaire, comme le remarque Cujas sur le titre de omni agro deserto.

Les terres desertes sont encore différentes de celles que les coûtumes appellent terres hermes, terres gayves, communes, ou vains pâturages, qui sont des terres stériles & de nulle valeur, ou qui n’ont jamais été occupées par aucun particulier.

Si les héritages deserts sont chargés de rentes foncieres, le bailleur n’est pas pour cela en droit de rentrer aussi-tôt dans son héritage : il faudroit qu’il y eût cessation de payement pendant trois années ; encore la peine n’est-elle que comminatoire, & cesse-t-elle par le payement des arrérages.

Quelques coûtumes portent que si le propriétaire étoit trois ans sans labourer, le seigneur peut reprendre les héritages & les réunir à son domaine : telles sont les coûtumes de la Marche, Berri, Vastang, Clermont, Romorentin, & Blois. Mais cela est particulier à ces coûtumes ; & ailleurs le seigneur ou bailleur n’a qu’une action pour son cens ou sa rente, & pour ses dommages & intérêts.

On fait seulement une différence pour les vignes tenues à rente ; car si le détenteur est un an sans les tailler, quelques-uns tiennent que le bailleur peut s’en faire envoyer en possession, à cause qu’elles seroient ruinées pour toûjours si on les négligeoit plus long-tems. C’est l’opinion de Balde sur l’auth. qui rem, & la disposition de la coûtume de Poitou, art. 61. cependant cette loi pénale ne s’étendroit pas non plus aux autres coûtumes ; le bailleur auroit seulement son action en dommages & intérêts comme pour les autres héritages.

Si la rente dûe sur l’héritage est à prendre en nature de fruits, en ce cas le bailleur seroit bien fondé à faire cultiver l’héritage pour assûrer sa rente.

Il y a même quelques coûtumes qui permettent au premier occupant de cultiver les terres desertes, & cela pour le bien public ; mais hors ces coûtumes, le cultivateur ne gagneroit pas les fruits, & seroit tenu de les rendre au propriétaire qui les reclameroit, à la déduction seulement des frais de labours & semences. Voyez Terres hermes, Terres desertes, & Loyseau du déguerpissement, liv. VI. ch. xj. (A)

DESESPOIR, s. m. (Morale.) inquiétude accablante de l’ame causée par la persuasion où l’on est

qu’on ne peut obtenir un bien après lequel on soûpire, ou éviter un mal qu’on abhorre.

Cette triste passion qui nous trouble & qui nous fait perdre toute espérance, agit différemment dans l’esprit des hommes : quelquefois elle produit l’indolence & le repos ; la nature accablée succombe sous la violence de la douleur : quelquefois en se privant des seules ressources qui lui restoient pour remedes, elle se fâche contre elle-même, & exige de soi la peine de son malheur, si l’on peut parler ainsi ; alors, comme dit Charron, cette passion nous rend semblables aux petits enfans, qui par dépit de ce qu’on leur ôte un de leurs joüets, jettent les autres dans le feu. Quelquefois au contraire le desespoir produit les actions les plus hardies, redouble le courage, & fait sortir des plus grands périls.

Una salus victis, nullam sperare salutem.


C’est une des plus puissantes armes d’un ennemi, qu’il ne faut jamais lui laisser. L’histoire ancienne & moderne en fournissent plusieurs preuves. Mais si l’on y prend garde, ces mêmes actions du desespoir sont souvent fondées sur un nouvel espoir qui porte à tenter toutes choses extrèmes, parce qu’on a perdu l’espérance des autres. Les consolations ordinaires sont trop foibles dans un desespoir causé par des malheurs affreux ; elles sont excellentes dans des accidens passagers & réparables. Art. de M. le Chevalier de Jaucourt.

DESHABILLÉ, terme fort en usage en France, & que les Anglois ont adopté depuis peu. Il signifie proprement une robbe de chambre, & les autres choses dont on se couvre quand on est chez soi en négligé. On dit : On ne peut voir M. un tel, il est encore en deshabillé ; c’est-à-dire qu’il est en robe de chambre, & n’est pas habillé.

DESHARNACHER, v. act. (Maréch.) c’est ôter les harnois du cheval. Voyez Harnois. (V)

DESHERENCE, s. f. (Jurisprud.) qui vient du latin deserere, est le droit qui appartient au Roi ou aux seigneurs hauts justiciers, de prendre chacun dans l’étendue de leur haute justice les biens délaissés par un regnicole françois né en légitime mariage, décédé ab intestat & sans aucun héritier apparent habile à lui succéder.

On ne dit pas que le droit de deshérence soit un droit de succéder, parce qu’en effet ce n’est pas une véritable hérédité, ni même une succession à titre universel ; le Roi ou les seigneurs ne sont chacun que des successeurs particuliers, & à certains biens : ils ne succedent point en tous les droits du défunt ; & c’est moins par translation du droit du défunt en leur personne, que par forme de réunion de la seigneurie privée vacante à la seigneurie publique.

Ce droit consiste, a-t-on dit, à recueillir les biens vacans d’un regnicole ; parce que si c’étoit un étranger non naturalisé, sa succession appartiendroit au Roi par droit d’aubaine & non de desherence, à l’exclusion des seigneurs hauts justiciers dans la justice desquels pourroient se trouver les biens.

On a ajoûté d’un regnicole né en légitime mariage, parce que si c’étoit un bâtard sa succession appartiendroit par droit de bâtardise au Roi ou aux seigneurs ; mais avec cette différence que ceux-ci n’y peuvent prétendre qu’en cas de concours de certaines circonstances. Voyez ci-devant l’article Batard ; voyez aussi Testament.

Le droit de deshérence ne comprend donc que les successions qui sont dévolues au Roi ou aux seigneurs par le seul défaut d’héritier, & non par les autres manieres par lesquelles des biens vacans peuvent appartenir au Roi ou aux seigneurs.

L’origine du droit de deshérence remonte jusqu’aux Grecs, dont il paroit que les Romains avoient em-