L’Encyclopédie/1re édition/BATARD

BATARD, s. m. ou ENFANT NATUREL, (Hist. anc. mod. & Jurisprud.) qui est un terme plus adouci, est celui qui est né hors d’un légitime mariage.

Il y a de deux sortes de bâtards ; les uns simples, tels que ceux qui sont nés de deux personnes libres, c’est-à-dire non engagées dans le mariage, ou dans un état qui les oblige à la continence ; mais qui pouvoient contracter mariage ensemble : les autres sont ceux qui sont nés d’autres conjonctions plus criminelles, comme les bâtards adultérins & les incestueux.

Les bâtards adultérins sont ceux dont le pere ou la mere, ou tous les deux étoient engagés dans le mariage. On appelle même adultérins les enfans des prêtres ou des religieuses.

Les bâtards incestueux sont ceux dont le pere & la mere étoient parens à un degré auquel le mariage est prohibé par les canons.

Les bâtards en général ne sont d’aucune famille, & n’ont aucuns parens ; ils ne succedent dans la plus grande partie du royaume ni à leur pere ni à leur mere, & encore moins aux parens de l’un ou de l’autre, en exceptant le Dauphiné & quelques coûtumes particulieres, où ils succedent à leur mere.

Ils ne peuvent pas même recevoir de leurs pere ou mere naturels des legs universels ou donations considérables : mais ils en peuvent recevoir de médiocres proportionnément aux facultés du pere ou de la mere. C’est à la prudence des juges de décider si elles sont modérées ou excessives.

Pour les bâtards adultérins & incestueux, ils ne peuvent recevoir que des alimens : mais aussi peuvent-ils même les exiger soit de leur pere naturel, soit de ses héritiers, s’il est mort sans y avoir pourvû ; du moins jusqu’à ce qu’ils ayent appris un métier, & qu’ils ayent été reçûs maîtres.

Comme par le droit commun les bâtards ne succedent à personne, personne non plus ne leur succede, si n’ayant point d’enfans, ils décedent sans avoir disposé de leurs biens par donation ou par testament ; en ce cas leur succession appartient aux seigneurs haut-justiciers, pourvû que les trois conditions suivantes concourent ensemble : qu’ils soient nés dans la justice du seigneur, qu’ils y soient décédés, & que leurs biens y soient ; l’une de ces trois conditions manquant, c’est au roi qu’elle appartient.

Du reste ils sont capables de toutes sortes de contrats, & entre autres de mariage ; ils peuvent disposer librement de leurs biens, soit entre-vifs, soit par testament ; ils ne sont incapables ni d’offices ni de dignités : mais ils ne peuvent avoir des bénéfices sans dispense, à moins qu’ils ne soient légitimés. Voyez Légitimation.

Chez les Athéniens, une loi de Solon excluoit du droit de bourgeoisie non-seulement les enfans nés des concubines, mais encore tous ceux qui n’étoient pas nés d’un pere & d’une mere Athéniens. Cette loi souffrit de tems en tems quelques atteintes de la part de ceux qui eurent assez de crédit pour faire aggréger leurs bâtards au corps des citoyens. Tel fut Themistocle, dont la mere étoit de Thrace. Pericles renouvella cette loi dans toute sa rigueur, & condamna cinq mille bâtards à être vendus comme esclaves : mais la peste lui ayant enlevé ses enfans légitimes, il demanda lui-même au peuple la révocation de la loi en faveur d’un bâtard qu’il avoit d’Aspasie. On la lui accorda, & cet exemple eut des suites pernicieuses : bientôt il n’y eut plus de distinction entre les enfans légitimes & les bâtards, entre les femmes Athéniennes & les étrangeres : ce qui jetta le trouble & la confusion dans toutes les familles.

En France, les bâtards ou fils naturels du roi, sont princes, lorsqu’il s’en reconnoît le pere ; ceux d’un prince ou d’un homme de qualité, sont gentilshommes : mais ceux d’un gentilhomme ne sont que roturiers ; & dans cette qualité, ils sont sujets à la taille.

Suivant le droit Romain, la mere succédoit à son enfant bâtard ; mais ce droit mettoit une grande différence entre les bâtards qu’il qualifioit nothi, ou simplement bâtards, & ceux qui étoient spurii.

La loi ne reconnoissoit point ces derniers, & leur refusoit jusqu’à la nourriture, parce qu’ils étoient les fruits d’une prostitution publique, & sans peres qui fussent bien connus pour tels de leurs meres même, par la raison que is non habet patrem, cui pater est populus. Les autres étant nés dans le concubinage, qui ressemble au mariage, héritoient de leurs meres, & pouvoient exiger des alimens de leurs peres naturels.

On les considéroit comme des créanciers domestiques, & des personnes que l’on devoit traiter avec d’autant plus d’humanité, qu’elles étoient les innocentes productions des crimes de leurs parens.

Les peres n’avoient point l’autorité paternelle sur leurs bâtards, parce que n’étant, disoit-on, peres que pour le plaisir, ce plaisir devoit être leur unique récompense.

Anciennement à Rome, les enfans naturels étoient absolument exclus de la succession de leurs peres ab intestat, mais ils pouvoient être institués héritiers.

Les Empereurs Arcadius & Honorius firent une exception en faveur des enfans naturels, & les admirent au douzieme de la succession à partager avec leur mere, quand il y avoit des enfans légitimes ; ensuite Justinien les admit à ce partage pour une moitié, & voulut qu’ils eussent un sixieme de l’hérédité ab intestat, lorsqu’il y avoit des enfans légitimes.

Les bâtards pouvoient être légitimés, soit par un mariage subséquent, ou par lettres de l’empereur. En France le roi seul a le droit de légitimer des bâtards, & de les rendre habiles à succéder. Voyez Légitimation.

En Angleterre ce droit privatif appartient au roi & au parlement.

L’empereur Anastase permit aux peres de légitimer leurs bâtards par la seule adoption : mais ce privilége fut aboli par Justin & Justinien, de peur qu’une telle condescendance n’autorisât le concubinage.

Le pape a quelquefois légitimé des bâtards, le saint-siége a même en certaines occasions, usé de dispense par des considérations spirituelles, non-seulement envers des personnes dont la naissance n’étoit pas légitime, mais encore envers des bâtards adultérins, en permettant leur promotion à l’épiscopat.

Les bâtards non légitimés peuvent disposer de leurs biens par donation entre-vifs, & par testament ; ceux qu’un mariage subséquent a légitimés, sont dans le même état, & joüissent des mêmes droits que ceux qui sont nés dans le mariage : mais les bâtards légitimés par lettres du prince, ne sont réputés ni légitimes, ni capables de succéder, qu’à l’égard des parens qui ont consenti à cette légitimation.

Le Pape Clément VII. défendit par sa bulle à un certain prêtre de résigner son bénéfice à son bâtard.

Les armes d’un bâtard doivent être croisées d’une barre, d’un filet, ou d’une traverse, de la gauche à la droite. Ils n’avoient point autrefois la permission de porter les armes de leur pere.

Les bâtards ne peuvent être présentés à des bénéfices simples, ni admis aux moindres ordres, ni posseder plus qu’un simple bénéfice, à moins qu’ils n’en ayent obtenu dispense du pape, ni être revêtus d’aucune charge sans lettres du prince.

Un bâtard, suivant le droit d’Angleterre, ne peut être héritier de son pere à l’immeuble, & ne sauroit avoir d’autre héritier que l’hoir de son corps. L’enfant engendré par celui qui dans la suite en épouse la mere, est un bâtard en droit, quoiqu’il soit réputé légitime par l’église. Si celui qui vient d’épouser une femme, décede avant la nuit sans avoir couché avec elle, & qu’ensuite elle fasse un enfant, il en est censé le pere, & l’enfant est légitime. Si un époux ou une femme se marie ailleurs, les enfans qui naissent de cette polygamie pendant la vie de l’autre conjoint, sont bâtards. Si une femme ayant quitté son mari pour suivre un adultere, a de celui-ci un enfant, tandis que son mari est dans l’enceinte des quatre mers, l’enfant est légitime, & sera son héritier à l’immeuble. Si quelqu’un fait un bâtard dans le bailliage de Middelton, dans la province de Kent, ses biens meubles & immeubles font confisqués au profit du roi. (H)

Batard de racage, c’est, en Marine, une corde qui sert à tenir & à lier un assemblage de bigots & de raques, dont le tout pris ensemble porte le nom de racage, qui sert à amarrer la vergue au mât. Voyez Racage. (Z)

* Batard, en Musique, c’est ainsi que Brossart appelle le mode hyper-éolien, qui a sa finale en b fa si, & conséquemment sa quinte fausse ou diminuée diatoniquement, ce qui le chasse du nombre des modes authentiques ; & le mode hyper-phrygien, dont la finale est en f ut fa, & la quarte superflue, ce qui l’ôte du nombre des modes plagaux.

Batard, en Jardinage, se dit de toute plante sauvage, ou qui n’est pas cultivée, & même du fruit qu’elle donne.

Batard, en Fauconerie, se dit d’un oiseau qui tient de deux especes, comme du sacre & du lanier.