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& même de sagacité, pour entendre la plûpart de nos livres de Géométrie tels qu’ils sont, il en faudroit très-peu, & même si peu qu’on voudroit pour les entendre tels qu’ils pourroient être ; car il n’y a point de proposition mathématique si compliquée qu’elle soit en apparence, de laquelle on ne puisse former une chaîne continue jusqu’aux premiers axiomes. Ces axiomes sont évidens pour les esprits les plus bornés, & la chaîne peut être si bien serrée que l’esprit le plus médiocre apperçoive immédiatement la liaison de chaque proposition à la suivante. Chaque proposition bien entendue est, pour ainsi dire, un lieu de repos où il prend des forces pour passer aux autres, en oubliant, s’il veut, toutes les propositions précédentes. On pourroit donc dire qu’en matiere de Sciences exactes, les esprits ne different que par le plus ou le moins de tems qu’ils peuvent mettre à comprendre les vérités : je dis à comprendre, car je ne parle ici que de la faculté de concevoir, & non du génie d’invention, qui est d’un genre tout différent.

On pourroit demander ici, si dans une déduction l’esprit apperçoit ou peut appercevoir plusieurs propositions à la fois. Il est certain d’abord qu’il en apperçoit au moins deux ; autrement il seroit impossible de former un raisonnement quelconque : & pourquoi d’ailleurs l’esprit ne pourroit-il pas appercevoir deux propositions à la fois, comme il peut avoir à la fois deux sensations, par exemple celle du toucher & de la vûe, ainsi que l’expérience le prouve ? mais l’esprit apperçoit-il ou peut-il appercevoir à la fois plus de deux propositions ? C’est une question que la rapidité des opérations de notre esprit rend très-difficile à décider. Quoi qu’il en soit, il suffit pour une déduction quelconque, qu’on puisse appercevoir deux vérités à la fois, comme nous l’avons prouvé.

A toutes les qualités que nous avons exigées pour une bonne déduction, on pourroit ajoûter encore qu’afin qu’elle soit absolument parfaite, il est nécessaire qu’elle soit le plus simple qu’il est possible, c’est-à-dire que les propositions y soient rangées dans leur ordre naturel ; ensorte qu’en suivant tout autre chemin, on fût obligé d’employer un plus grand nombre de propositions pour former la déduction. Par exemple, les élémens d’Euclide sont un exemple de bonne déduction, mais non pas de déduction parfaite ; parce que l’ordre des propositions auroit pû être plus naturel & plus simple. Voyez sur cela les différens élémens de Géométrie, & l’art de penser. Voyez aussi Élémens, Géométrie, &c. (O)

DÉDUIRE, v. act. (Commerce.) soustraire, diminuer, rabattre, retrancher. Un négociant ne peut dire que son fonds est à lui, s’il n’a entierement déduit ses dettes passives. Voyez l’article Déduction. (G)

DEE, (Géog. mod.) il y a trois rivieres de ce nom, deux en Ecosse, une en Angleterre qui se jette dans la mer d’Islande.

DÉESSE, s. f. (Myth.) fausse divinité du sexe féminin. Voyez Dieu.

Les anciens avoient presque autant de déesses que de dieux : telles étoit Junon, Diane, Proserpine, Vénus, Thétis, la Victoire, la Fortune, &c. Voyez Fortune.

Ils ne s’étoient pas contentés de se faire des dieux femmes, ou d’admettre les deux sexes parmi les dieux ; ils en avoient aussi d’hermaphrodites : ainsi Minerve, selon quelques savans, étoit homme & femme, appellée Lunus & Luna. Mithra chez les Perses, étoit dieu & déesse ; & le sexe de Vénus & de Vulcain, étoit aussi douteux. De-là vient que dans leurs invocations ils disoient : si vous êtes dieu, si vous êtes déesse, comme Aulugelle nous l’apprend. Voyez Hermaphrodite.

C’étoit le privilége des déesses d’être représentées toutes nues sur les médailles : l’imagination demeuroit dans le respect en les voyant. Dictionnaire de Trévoux & Chambers.

Les déesses ne dédaignoient pas de s’unir quelquefois avec des mortels. Thétis épousa Pelée, & Vénus aima Anchise, &c. Mais c’étoit une croyance commune, que les hommes honorés des faveurs des déesses ne vivoient pas long-tems ; & si Anchise paroît avoir été excepté de ce malheur, il en fut, dit-on, redevable à sa discrétion. (G)

Déesses-meres, (Litt. Antiq. Insc. Myth. Hist.) divinités communes à plusieurs peuples, mais particulierement honorées dans les Gaules & dans la Germanie, & présidant principalement à la campagne & aux fruits de la terre. C’est le sentiment de M. l’abbé Banier, qu’il a étayé de tant de preuves dans le VI. volume des mémoires de l’académie des Belles-Lettres, qu’on ne peut s’y refuser.

Les surnoms que les déesses-meres portent dans les inscriptions, semblent être ceux des lieux où elles étoient honorées : ainsi les inscriptions sur lesquelles on lit matribus Gallaicis, marquoient les déesses-meres de la Galice ; ainsi les Rumanées sont celles qui étoient adorées à Rhumaneim dans le pays de Juliers, &c.

Leur culte n’étoit pas totalement borné aux choses champêtres, puisqu’on les invoquoit non-seulement pour la santé & la prospérité des empereurs & de leur famille, mais aussi pour les particuliers.

Les déesses-meres étoient souvent confondues, & avoient un même culte que les Suleves, les Commodeves, les Junons, les Matrones, les Sylvatiques, & semblables divinités champêtres. On le justifie par un grand nombre d’inscriptions qu’ont recueillies Spon, Gruter, Reynesius, & autres antiquaires.

Il n’est pas vraissemblable que les déesses-meres tirent leur origine des Gaules ou des Germains, comme plusieurs savans le prétendent, encore moins que leur culte ne remonte qu’au tems de Septime Sévere. On a plusieurs inscriptions qui prouvent que ces déesses étoient connues en Espagne & en Angleterre ; & il est probable que les uns & les autres avoient reçu le culte de ces déesses, soit des Romains, soit des autres peuples d’Italie, qui de leur côté le devoient aux Grecs, tandis que ceux-ci le tenoient des Egyptiens & des Phéniciens par les colonies qui étoient venues s’établir dans leurs pays. Voilà la premiere origine des déesses-meres, & de leur culte : en effet il paroît par un passage de Plutarque, que les Crétois honoroient d’un culte particulier, même dès les premiers tems, les déesses-meres, & personne n’ignore que les Crétois étoient une colonie phénicienne.

C’est donc de la Phénicie que la connoissance des déesses-meres s’est répandue dans le reste du monde. Si l’on suit les routes des fables & de l’idolatrie, on les trouvera partir des peuples d’Orient qui en se dispersant altérerent la pureté du culte qu’ils avoient reçu de leurs peres. D’abord ils rendirent leurs hommages à ce qui parut le plus parfait & le plus utile, au Soleil, & aux astres ; de leur adoration, on vint à celle des élémens, & finalement de toute la nature. On crut l’univers trop grand pour être gouverné par une seule divinité ; on en partagea les fonctions entre plusieurs. Il y en eut qui présiderent au ciel, d’autres aux enfers, d’autres à la terre ; la mer, les fleuves, la terre, les montagnes, les bois, les campagnes, tout eut ses divinités. On n’en demeura pas là : chaque homme, chaque femme, eurent leurs propres divinités, dont le nombre, dit Pline, excédoit finalement celui de la race humaine. Les divi-