L’Encyclopédie/1re édition/DÉDUCTION

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DÉDUCTION, s. f. (Philosophie.) ce mot se prend en notre langue dans deux sens différens.

En matiere de calcul, d’affaires, &c. il signifie soustraction, l’action d’écarter, de mettre à part, &c. comme quand on dit : ce bénéfice, déduction faite des charges, des non-valeurs, des réparations, vaut 10000 livres de revenu : cette succession, déduction faite des dettes & legs, monte à 200000 liv. & ainsi des autres.

En matiere de Sciences, & sur-tout de Logique, déduction se dit d’une suite & d’une chaîne de raisonnemens, par lesquels on arrive à la preuve d’une proposition : ainsi une déduction est formée d’un premier principe, d’où l’on tire une suite de conséquences. Donc, pour qu’une déduction soit bonne, il faut 1°. que le premier principe d’où l’on part soit ou évident par lui-même, ou reconnu pour vrai : 2°. que chaque proposition ou conséquence suive exactement de la proposition ou conséquence précédente : 3°. on peut ajoûter que pour qu’une déduction soit bonne, non-seulement en elle-même & pour celui qui la fait, mais par rapport aux autres, il faut que la liaison entre chaque conséquence & la suivante puisse être facilement apperçûe, ou du moins que cette liaison soit connue d’ailleurs. Par exemple, si dans une suite de propositions on trouvoit immédiatement l’une après l’autre ces deux-ci : les planetes gravitent vers le Soleil en raison inverse du quarré des distances : donc elles décrivent autour du Soleil des ellipses. Cette conséquence, quoique juste, ne seroit pas suffisamment déduite, parce qu’il est nécessaire de faire voir la liaison par plusieurs propositions intermédiaires : ainsi on ne pourroit s’exprimer ainsi que dans un ouvrage dont le lecteur seroit supposé connoître d’ailleurs la liaison de ces deux vérités.

D’où il s’ensuit en général, que pour juger de la bonté d’une déduction, il faut connoître le genre d’ouvrage où elle se trouve, & le genre d’esprits & de lecteurs auxquels elle est destinée. Telle déduction est mauvaise dans un livre d’élémens, qui seroit bonne ailleurs.

Les ouvrages de Géométrie sont ceux où l’on peut trouver plus facilement des exemples de bonnes déductions ; parce que les principes de cette science sont d’une évidence palpable, & que les conséquences y sont rigoureuses : par conséquent s’il faut un certain degré plus ou moins grand de patience, d’attention & même de sagacité, pour entendre la plûpart de nos livres de Géométrie tels qu’ils sont, il en faudroit très-peu, & même si peu qu’on voudroit pour les entendre tels qu’ils pourroient être ; car il n’y a point de proposition mathématique si compliquée qu’elle soit en apparence, de laquelle on ne puisse former une chaîne continue jusqu’aux premiers axiomes. Ces axiomes sont évidens pour les esprits les plus bornés, & la chaîne peut être si bien serrée que l’esprit le plus médiocre apperçoive immédiatement la liaison de chaque proposition à la suivante. Chaque proposition bien entendue est, pour ainsi dire, un lieu de repos où il prend des forces pour passer aux autres, en oubliant, s’il veut, toutes les propositions précédentes. On pourroit donc dire qu’en matiere de Sciences exactes, les esprits ne different que par le plus ou le moins de tems qu’ils peuvent mettre à comprendre les vérités : je dis à comprendre, car je ne parle ici que de la faculté de concevoir, & non du génie d’invention, qui est d’un genre tout différent.

On pourroit demander ici, si dans une déduction l’esprit apperçoit ou peut appercevoir plusieurs propositions à la fois. Il est certain d’abord qu’il en apperçoit au moins deux ; autrement il seroit impossible de former un raisonnement quelconque : & pourquoi d’ailleurs l’esprit ne pourroit-il pas appercevoir deux propositions à la fois, comme il peut avoir à la fois deux sensations, par exemple celle du toucher & de la vûe, ainsi que l’expérience le prouve ? mais l’esprit apperçoit-il ou peut-il appercevoir à la fois plus de deux propositions ? C’est une question que la rapidité des opérations de notre esprit rend très-difficile à décider. Quoi qu’il en soit, il suffit pour une déduction quelconque, qu’on puisse appercevoir deux vérités à la fois, comme nous l’avons prouvé.

A toutes les qualités que nous avons exigées pour une bonne déduction, on pourroit ajoûter encore qu’afin qu’elle soit absolument parfaite, il est nécessaire qu’elle soit le plus simple qu’il est possible, c’est-à-dire que les propositions y soient rangées dans leur ordre naturel ; ensorte qu’en suivant tout autre chemin, on fût obligé d’employer un plus grand nombre de propositions pour former la déduction. Par exemple, les élémens d’Euclide sont un exemple de bonne déduction, mais non pas de déduction parfaite ; parce que l’ordre des propositions auroit pû être plus naturel & plus simple. Voyez sur cela les différens élémens de Géométrie, & l’art de penser. Voyez aussi Élémens, Géométrie, &c. (O)