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Quand les cuirs ont été bien désaignés & égouttés, on les alune, c’est-à-dire que l’on fait bouillir dans de l’eau trois livres d’alun & cinq livres de sel par peau, dans une chaudiere (fig. 7.) qui peut bien contenir douze seaux, d’où on en tire deux seaux que l’on met dans une baignoire, où un ouvrier presque nud foule trois cuirs à la fois pendant une heure, dans lequel tems on renouvelle l’eau quatre fois ; après quoi on retire les cuirs de la baignoire, on les couche pliés en quatre la chair en-dehors dans une cuve. On fait la même opération aux autres peaux ; & lorsque toute la fonte est faite, & toutes les peaux ainsi étalées dans la cuve, on jette cette eau alunée par-dessus les cuirs ; ce qui s’appelle mettre les cuirs en retraite pour prendre de la nourriture.

Le lendemain on les retient & change de cuve, après quoi on fait réchauffer la même eau & on les y trempe pendant trois ou quatre jours l’été, & plus pendant l’hyver ; on les refoule de nouveau, & le lendemain on les met égoutter & sécher à l’air pendus par la culée. Cette opération faite, on les detire ; & quand ils sont à moitié secs, on les dresse, c’est-à-dire que l’on les passe à la baguette (Voyez Baguette & la fig. 5.), après quoi on les met en pile.

Il ne s’agit plus pour lors que de les mettre en suif ; pour cet effet on les roule encore avec la baguette de fleur & de chair, c’est-à-dire des deux côtés, & on les étend sur des perches GGG dans une étuve, pour les préparer à prendre ce suif. Dans cet état on les met sur une table bien étalés, & on les frotte de suif chaud avec un guippon, beaucoup sur la chair, & légerement sur la fleur ; chaque peau prend environ sept à huit livres de suif. On reporte les peaux suiffrées sur une autre table, où on les empile jusqu’à ce que la même opération ait été faite à tous les cuirs. Voyez la fig. 1. Cela fait, deux ouvriers (fig. 3. & 4.) les tiennent suspendus les uns après les autres au-dessus d’une grille de fer C, sous laquelle il y a des charbons allumés, afin que la chaleur fasse pénétrer le suif dans le cuir ; ensuite on les remet à l’étuve pendant une demi-heure, toûjours la chair en-dessus, après quoi on les met sécher sur des perches. Le lendemain l’ouvrier y applique sa marque, les pese, & en marque le poids.

Les instrumens dont se servent les Hongrieurs pour la fabrique du cuir d’Hongrie, sont une broüette pour porter les peaux à la riviere & les en rapporter ; un couteau ordinaire pour en ôter les cornes ; un chevalet & une faux emmanchée d’un manche de bois ; un queux pour aiguiser la faux ; un banc pour les égoutter ; une chaudiere pour faire bouillir le suif ; des seaux pour en puiser l’eau ; une baignoire pour fouler les cuirs ; des cuves pour leur faire prendre nourriture ; des perches pour les étendre ; la baguette E pour les couler ; une table pour les suiffrer ; une grille de fer pour leur faire prendre le suif ; un guippon pour y appliquer le suif ; & un fourneau pour faire chauffer l’alun & le suif. Voyez chacun de ces articles à leur lettre.

Cuirs de balles, termes d’Imprimeur, ce sont des peaux de mouton crues dont la laine a été séparée, & qui sont préparés pour l’usage des Imprimeries. On taille dans ces peaux des coupons d’environ deux piés & demi de circonférence, lesquels servent à monter les balles. On a soin de les entretenir humides, au moyen d’une autre peau de cette espece qui les double, & que l’on appelle doublure. Voyez Balles & Laine.

Cuir (monnoie de), Commerce : l’histoire est remplie de faits où les évenemens & les occasions pressantes ont forcé des princes, des généraux d’armées, ou des gouverneurs, de faire frapper des monnoies de cuir.

On coupoit un morceau de cuir noir en cercle,

& on passoit au centre une espece de clou d’or ou d’argent, & au lieu de le river, on le frappoit au marteau à l’opposition de la tête avec un poinçon à fleur-de-lis, & l’on attachoit un prix selon les occurrences à cette espece de monnoie.

On en trouve dans les cabinets des curieux. Il y en eut de frappées sous Louis IX. le royaume ayant été épuisé alors d’argent par les malheurs qui suivirent l’entreprise de la Terre-Sainte. Voyez Croisade.

Cuir à rasoir, (Perruq.) est une bande de cuir préparé, appliquée sur un morceau de bois qui lui sert de manche, & à l’aide de laquelle on donne le fil aux rasoirs, & on en adoucit le tranchant en les frottant dessus, après qu’ils ont été repassés sur la pierre.

On fait à présent de ces sortes de cuirs qui sont quarrés, & ont quatre faces moins unies les unes que les autres, sur lesquelles on passe successivement le rasoir, en commençant par la surface la moins polie, & finissant par la plus douce, afin d’adoucir le rasoir par degrés.

CUIRASSE, s. f. (Littér. Art milit.) en latin lorica. On la définit dans le dictionnaire de l’académie Françoise, la principale partie de l’armure qui est ordinairement de fer fort battu, & qui couvre le corps par-devant & par-derriere, depuis les épaules jusqu’à la ceinture.

Dans le fameux tableau de Polygnote de la prise de Troie, dont Pausanias nous a laissé la description, on voyoit sur un autel la représentation d’une cuirasse d’airain composée de deux pieces, l’une desquelles couvroit le ventre & l’estomac, l’autre couvroit le dos & les épaules ; la partie antérieure étoit concave, & les deux pieces se joignoient ensemble par deux agrafes.

Chez les Grecs & les Romains on connoissoit de trois sortes de cuirasses. Il y en avoit qui n’étoient faites que de toile & de drap battu & piqué : quelques-unes étoient de cuir, & les autres de fer. Pour ce qui est des premieres, Pline (lib. VIII. c. xlviij.) assûre qu’elles étoient composées de plusieurs doubles, battus & piqués ensemble : telle étoit la cuirasse d’Alexandre, au rapport de Dion de Nicée ; & celle de Galba, dont il est fait mention dans Suétone, qui parlant de la sédition qu’excita à Rome la révolte d’Othon, dit : Loricam tamen induit linteam, quam haud dissimulant parùm adversus tot mucrones profuturam. Saumaise, dans ses observations sur Lampridius, remarque qu’on avoit autrefois inventé cette armure pour le soulagement des soldats : on peut ajoûter qu’il y a bien de l’apparence que ces cuirasses de lin & de toile n’empêchoient pas qu’on ne mît par-dessus des cuirasses de fer ; on peut même croire que les anciens avoient donné aux premieres le nom de subarmale, mais il n’étoit pas toûjours nécessaire d’avoir d’autres cuirasses que celles de lin & de toile, puisqu’il y en avoit de si bien faites, qu’elles étoient à l’épreuve des traits. Nicétas, dans la vie de l’empereur Isaac I. rapporte que l’empereur Conrad combattit long-tems sans bouclier, couvert seulement d’une cuirasse de linge.

La seconde espece de cuirasse étoit de cuir, & c’est celle que Varron appelle pectorale corium. Tacite (hist. liv. I. ch. lxxjx.) nous apprend que les chefs des Sarmates s’en servoient quelquefois : Id principibus ac nobillissimo cuique tegmen, ferreis laminis aut prædurio corio concertum.

Cependant le fer étoit la matiere la plus ordinaire des cuirasses. Les Perses appelloient les soldats qui portoient ces sortes de cuirasses, clibanarios, du mot clibanum, qui signifioit une tuile de fer, apparemment parce que ces cuirasses étoient faites d’une plaque fort épaisse de ce métal : mais leur trop grande pe-