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fréquentation des atteliers ? Dans quel ouvrage trouvera-t-on l’explication détaillée de huit cents Planches & de plus de douze mille figures sur les sciences & sur les arts ? Combien d’articles enfin qu’il suffiroit de rapprocher des autres dictionnaires pour voir avec quel soin on a traité dans celui-ci les mêmes objets ; & pour s’assûrer que dans les articles même qui se ressemblent par quelque endroit, l’avantage est presque toûjours du côté de l’encyclopédie, soit par plus d’exactitude & de précision, soit par des vûes & des réflexions, que les autres dictionnaires ne prétendent pas apparemment revendiquer ? Dans l’article Anatomie, par exemple, qui est un de ceux que les connoisseurs ont paru approuver dans notre ier volume, la chronologie des anatomistes a été faite sur un mémoire de l’illustre M Falconet, qui veut bien prendre à notre ouvrage quelque intérêt. Cette chronologie est plus complette, plus sûre & plus instructive que celle de M. James. Nous invitons nos lecteurs à comparer l’article dont nous parlons avec l’article Anatomie du dictionnaire de medecine, qui passe pour un des meilleurs ; mais nous les prions de faire eux-mêmes le parallele sans égard à tout ce qu’on pourroit dire de vague sur ce sujet pour ou contre. Nous ne citerons plus de tous les endroits attaqués que l’article Aristotélisme. Si l’auteur a crû pouvoir y semer quelques morceaux de l’ouvrage de M Deslandes, ces morceaux en font à peine la dixieme partie. Le reste est un extrait substanciel & raisonné de l’histoire de la philosophie de Brucker, ouvrage moderne très-estimé des étrangers, assez peu connu en France, & dont on a fait beaucoup d’usage pour la partie philosophique de l’Encyclopédie. Cet extrait est sur-tout recommandable par des réflexions importantes qui paroissent avoir été fort goûtées ; entr’autres par l’observation judicieuse contre des abus aussi invétérés que ridicules, qui semblent interdire pour jamais à plusieurs bons esprits, & retarder du moins dans plusieurs corps, la connoissance de la vraie philosophie[1].

En un mot, les morceaux que l’Encyclopédie a empruntés ou empruntera dans la suite des autres ouvrages, sont-ils bons ? Ce que l’Encyclopédie ajoûte souvent de son propre fonds à ces morceaux, est-il digne de l’attention des gens de Lettres ? L’Encyclopédie renferme-t-elle un grand nombre d’autres articles entierement nouveaux, philosophiques & intéressans ? Voilà le point d’où il faut partir pour apprécier un ouvrage de l’espece de celui-ci : voilà sur quoi doit prononcer le Public qui lit, & qui pense.

Nous supplions donc nos lecteurs de vouloir bien sur cet Ouvrage ne s’en rapporter qu’à eux ; de ne pas même, si nous osons le dire, se fier toûjours aux éloges les moins suspects d’avoir été mandiés. Un critique, par exemple, a noté deux fois comme excellent l’article Accord ; ce qui suppose qu’il a lu cet article avec soin, & qu’il entend la matiere. Cependant cet article, très-bien fait d’ailleurs, avoit besoin, pour être réellement excellent, d’une énumération plus exacte des accords fondamentaux. Il manque dans celle qu’on en a donnée, l’accord de septieme ou dominante simple, fort différent & par lui-même & par ses renversemens, de l’accord de septieme ou dominant, autrement appellé accord de dominante tonique. Ce sont-là les premiers élémens de l’harmonie ; & il n’y a point d’éleve en musique que cette omission ne frappe au premier coup-d’œil. Aussi ne doit-elle point être imputée à M Rousseau auteur de ce bel article ; il ne faut que le lire, & être au fait de ce qu’on y traite, pour reconnoître que c’est une erreur de copiste ; il nous a priés d’en avertir ; on la trouvera corrigée dans l’errata du second volume, & la table même des accords un peu plus simplifiée, & aussi générale que dans l’article dont il s’agit. Nous pourrions donner, sans sortir de l’Encyclopédie même, quelques autres exemples de la maniere dont on loue, & par conséquent dont on critique aujourd’hui[2]. Mais le peu que nous venons de dire est suffisant pour engager les lecteurs éclairés à se tenir sur leurs gardes, à se défier & de la louange & du blâme, & du silence même ; car le silence a aussi sa malignité & son injustice.

Et pourquoi ne l’auroit-il pas ? Les éloges ont bien la leur. Un écrivain attaque un ouvrage avant de le connoître : l’ouvrage paroît, & le public semble le goûter ; le censeur prématuré ne voudra, ni contredire trop ouvertement le public, ni se contredire lui-même par une rétractation trop marquée : que fera-t-il donc pour ne pas violer cette impartialité dont on assûre toujours qu’on fait profession ? En censurant bien ou mal-à-propos plusieurs endroits de l’ouvrage, il se contentera d’en louer un petit nombre d’autres plus ou moins foiblement, & avec toutes les nuances de la prédilection & de la réserve.

Au reste, quelque jugement que l’on porte de cet Ouvrage, nous avons déjà fait plusieurs fois une observation qui nous importe trop, pour ne la pas répéter ici. Notre fonction d’éditeurs consiste uniquement à mettre en ordre & à publier les articles que nous ont fourni nos collegues ; à suppléer ceux qui n’ont point été faits, parce qu’ils étoient communs à des sciences différentes ; à refondre quelquefois en un seul les articles qui ont été faits sur le même sujet par différentes personnes, désignées toutes en ce cas à la fin de l’article. Voilà

  1. Voyez le premier Volume, p. 664. col. 1.
  2. Voyez l’article Anatomie, p. 415. col. 2.