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tion des angles, &c. de-là résulte la possibilité de leur substitution. Vous démontriez quelque chose sur l’un, mettez l’autre à sa place, votre démonstration procédera toûjours de même. C’est ce qu’on fait souvent en Géométrie, où la congruence & l’égalité des bornes des figures sert dans plusieurs théorèmes. On appelle borne ou limite, ce au-delà dequoi on ne conçoit plus rien qui appartienne au sujet. Par exemple, on ne suppose dans la ligne qu’une étendue en longueur. Ses bornes sont donc ses deux derniers points ; l’un à une extrémité, l’autre à l’autre, au-delà desquels on n’en sauroit assigner d’autres qui appartiennent à la ligne. En largeur, elle n’a point de bornes concevables, puisqu’on exclut de la ligne l’idée de cette dimension. Voyez Coincidence.

Cette notion de la congruence s’accorde avec l’usage ordinaire & avec la signification reçûe par les Mathématiciens. Euclide se bornant à la notion confuse de la congruence, s’est contenté de mettre entre les axiomes cette proposition : Quæ sibi mutuo congruunt, ea inter se æqualia sunt. Or il paroît par l’application de cet axiome, qu’une grandeur appliquée à l’autre lui est congruente, lorsque leurs bornes sont les mêmes : ainsi, suivant la pensée d’Euclide, une ligne droite congrue à une autre, si étant posée sur elle, les points de ses extrémités, & tous ceux qui sont placés entre deux, couvrent exactement les points qui y répondent dans la ligne posée dessous. Les Géometres donc qui définissent la congruence par la coïncidence des bornes, suivent l’idée d’Euclide. Quoique cet ancien ne se serve de la congruence que pour prouver l’égalité des grandeurs, il suppose pourtant dans sa notion la ressemblance jointe à l’égalité, car il ne démontre l’égalité par la congruence que dans les grandeurs semblables, & il est même impossible de la démontrer dans d’autres grandeurs. Mais il s’en est tenu à la notion de la congruence, qui répondoit à son axiome susdit, sans l’approfondir davantage. C’est ce qui arrive pour l’ordinaire dans nos idées confuses. Nous ne tournons notre attention que sur ce dont nous avons besoin ; & négligeant le reste, il semble qu’il n’existe point. Mais des yeux philosophiques qui se proposent d’épuiser la connoissance des sujets, cherchent dans une notion non seulement ce qu’elle a d’utile pour un certain but, mais en général tout ce qui lui convient & la caractérise. C’est là le moyen, d’arriver aux notions distinctes & completes. Article de M. Formey.

CONGRUISME, s. m. (Théol.) (N. B. l’Anglois porte congruitz, que j’ai cru devoir rendre par congruisme ; terme très-usité dans nos Théologiens, pour exprimer le système dont il s’agit ici) système sur l’efficacité de la grace, imaginé par Suarez, Vasquez, & autres, qui ont voulu adoucir le système de Molina. Voyez Molinisme.

Voici l’ordre que ces théologiens mettent dans les decrets de Dieu, & en même tems toute la suite de leur système : 1°. Dieu, de tous les ordres possibles des choses, a choisi librement celui qui existe maintenant, & dans lequel nous nous trouvons : 2°. dans cet ordre Dieu veut, d’une volonté antécédente, le salut de toutes ses créatures libres, mais à condition qu’elles le voudront elles-mêmes : 3°. il a résolu de leur donner des secours suffisans pour acquérir la béatitude éternelle : 4°. il connoît, par la science moyenne, ce que chacune de ces créatures fera dans toutes & chacune des circonstances où elle se rencontrera, s’il lui donne telle ou telle grace : 5°. supposé cette prévision, il en choisit quelques-unes par une volonté de bon plaisir, & par un decret absolu & efficace : 6°. il donne à celles qu’il a choisies de la sorte, & non aux autres, une suite de graces qui ont un rapport de convenance ou une congruité, avec la disposition de leur libre-arbitre & de leur volon-

té : 7°. il connoît par sa science de vision, qui sont

celles qui doivent être sauvées, qui sont celles au contraire qui seront reprouvées : 8°. en conséquence de leurs mérites ou démérites, il leur décerne des peines ou des châtimens éternels. Tout ce système, par rapport à l’efficacité de la grace, se réduit donc à dire que Dieu qui connoît parfaitement la nature de la grace, & les dispositions futures de la volonté de l’homme dans les circonstances où il se trouvera, lui donne des graces par lesquelles, en vertu de leur congruité ou convenance avec sa volonté considérée dans ces circonstances, il fera toûjours infailliblement, quoique sans être nécessité, ce que Dieu voudra qu’il fasse ; parce que la volonté, selon le langage des congruistes, choisit toûjours infailliblement, quoique librement, ce qui paroît le meilleur, dès qu’elle est aidée de ces sortes de graces. (G)

CONGRUISTES, s. m. pl. (Théol.) théologiens auteurs ou défenseurs du système appellé congruisme. Voyez Congruisme. (G)

CONGRUITÉ, s. f. (Théol.) conformité ou rapport de convenance d’une chose avec une autre ; de la grace avec la volonté.

Les Théologiens distinguent deux sortes de congruité : l’une intrinseque, qui vient de la force & de l’énérgie intérieure de la grace, & de son aptitude à incliner le consentement de la volonté : cette congruité est l’efficacité de la grace par elle-même.

L’autre, extrinseque, qui vient de la convenance de la proportion de la grace avec le génie, le caractere, les penchans de la créature, conjointement avec la volonté de laquelle la grace doit agir, supposé telles ou telles circonstances prévûes de Dieu par la science moyenne, & dans lesquelles il accordera telle ou telle grace, afin qu’elle ait son effet. C’est cette derniere espece de congruité qu’admet Vasquez, elle est la base de son système. Tournel, de grat. part. II. quæst. v. art. 11. parag. 4. (G)

CONI, (Géog. mod.) ville très-forte d’Italie dans le Piémont, capitale du pays du même nom, au confluent de la Gesse & de la Sture. Long. 25. 20. latit. 44. 23.

* CONJECTURE, s. f. (Gram.) jugement fondé sur des preuves qui n’ont qu’un certain degré de vraissemblance, c’est-à-dire sur des circonstances dont l’existence n’a pas une liaison assez étroite avec la chose qu’on en conclut, pour qu’on puisse assûrer positivement que les unes étant, l’autre sera ou ne sera pas : mais qu’est-ce qui met en état d’apprétier cette liaison ? L’expérience seule. Qu’est-ce que l’expérience, relativement à cette liaison ? Un plus ou moins grand nombre d’essais, dans lesquels on a trouvé que telle chose étant donnée, telle autre l’étoit ou ne l’étoit pas ; ensorte que la force de la conjecture, ou la vraissemblance de la conclusion, est dans le rapport des évenemens connus pour, aux évenemens connus contre : d’où il s’ensuit que ce qui n’est qu’une foible conjecture pour l’un, devient ou une conjecture très-forte, ou même une démonstration pour l’autre. Pour que le jugement cesse d’être conjectural, il n’est pas nécessaire qu’on ait trouvé dans les essais que telles circonstances étant présentes, tel évenement arrivoit toûjours, ou n’arrivoit jamais. Il y a un certain point indiscernable où nous cessons de conjecturer, & où nous assûrons positivement ; ce point, tout étant égal d’ailleurs, varie d’un homme à un autre, & d’un instant à un autre dans le même homme, selon l’intérêt qu’on prend à l’évenement, le caractere, & une infinité de choses dont il est impossible de rendre compte. Un exemple jettera quelque jour sur ceci. Nous savons par expérience, que quand nous nous exposons dans les rues par un grand vent, il peut nous arriver d’être