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Il est fort difficile de déterminer de quel genre sont les particules frigorifiques, & de quelle maniere elles produisent leur effet : c’est aussi cette difficulté qui a fait produire plusieurs systèmes.

Quelques uns ont dit que c’étoit l’air commun qui dans la congelation s’introduisoit dans l’eau, & qui s’embarrassoit avec les particules de ce fluide, empêchoit leur mouvement, & formoit cette quantité de builes qu’on apperçoit dans la glace ; que de cette façon il augmentoit le volume de l’eau, & par ce moyen la rendoit spécifiquement plus légere. Mais M. Boyle a combattu cette opinion, en prétendant que l’eau gele dans les vaisseaux fermés hermétiquement, & dans lesquels l’air ne peut aucunement s’introduire ; cependant il y a autant de bulles que dans celle qui s’est congelée en plein air : il ajoûte que l’huile se condense en se gelant ; d’où il conclud que l’air ne peut point être la cause de sa congelation.

D’autres, & c’est le plus grand nombre, veulent que la matiere de la congelation soit un sel, soutenant qu’un froid excessif peut bien rendre les parties de l’eau immobiles, mais qu’il ne se formera jamais de glace sans sel. Les particules salines, disent-ils, dissoutes & combinées dans une juste proportion, sont la cause principale de la congelation, car la congelation a beaucoup de rapport avec la crystallisation. Voyez Crystallisation.

Ils supposent que ce sel est du genre du nitre, & que l’air chargé, comme tout le monde en convient, d’une grande quantité de nitre, fournit ce sel.

Il est très-facile d’expliquer comment les particules de nitre peuvent faire perdre à l’eau sa fluidité. On suppose que les particules de ce sel sont des aiguilles roides & pointuës ; qu’elles entrent facilement dans les parties ou globules de l’eau ; ces particules ainsi hérissées de pointes venant à se mêler, elles s’embarrassent les unes dans les autres, leur mouvement diminue peu-à-peu, & il se détruit enfin totalement.

Cet effet n’est produit que dans le plus fort de l’hyver : en voici la raison ; c’est que dans ce tems, les pointes du nitre qui agissent pour diminuer le mouvement ont plus de force que la puissance ou que le principe qui met les fluides en mouvement, ou qui les dispose à se mouvoir. Voyez Fluide.

L’expérience si connue de la glace artificielle confirme cette opinion. On prend du salpêtre commun, on le mêle avec de la neige ou de la glace pilée, on fait fondre ce mêlange sur le feu, en plongeant une bouteille pleine d’eau dans ce mêlange ; tandis qu’il se fond, l’eau contenue dans la bouteille & contiguë à ce mélange se congelera, quand même on feroit l’expérience dans un air chaud. On conclut de cette expérience, que les pointes du sel, par la pesanteur du mêlange & de l’atmosphere, sont introduites dans l’eau au-travers des pores du verre. Il paroît évident que cet effet est uniquement dû au sel, puisque nous sommes assûrés que les particules d’eau ne peuvent point passer par les pores du verre. Dans les congelations artificielles, à quelqu’endroit qu’on applique le mêlange, soit au fond, aux côtés ou vers la surface de l’eau contenue dans le verre, il s’y formera une petite lame de glace. Ce phénomene suit, de ce qu’il y a toûjours dans tout le mêlange une suffisante quantité de particules salines, capable d’empêcher l’action de la matiere ignée, au lieu que dans les congelations naturelles l’eau doit se congeler à sa surface, parce que les particules salines y sont en plus grande quantité.

L’auteur de la nouvelle conjecture pour expliquer la nature de la glace, fait plusieurs objections contre ce système. Il ne paroît point, dit-il, que le nitre entre dans la composition de la glace ; car si cela étoit, on rendroit difficilement raison des principaux phé-

nomenes. Comment, par exemple, les particules du nitre en s’introduisant dans les pores de l’eau, & en fixant toutes ses parties, pourroient-elles augmenter le volume de ce fluide & le rendre specifiquement plus leger qu’il n’étoit auparavant ? elles devroient au contraire naturellement augmenter son poids. Cette difficulté, jointe à quelques autres, fait sentir la nécessité d’une nouvelle théorie. L’auteur donc propose la suivante, qui paroît satisfaire à l’explication des phénomenes d’une façon qui paroît d’abord beaucoup plus facile & beaucoup plus simple : elle est indépendante de cette introduction & expulsion de matieres étrangeres.

L’eau ne se congele que pendant l’hyver, parce qu’alors ses parties plus intimement unies ensemble s’embarrassent réciproquement l’une & l’autre, & perdent le mouvement qu’elles avoient auparavant. L’air, ou pour mieux dire l’altération de son élasticité & de sa force, sont la cause de son union plus étroite aux particules de l’eau. L’expérience démontre qu’il y a une quantité prodigieuse d’air grossier répandu entre les globules de l’eau : on convient que chaque particule d’air a une vertu élastique. L’auteur soutient que les petits ressorts de l’air grossier qui est mêlé avec l’eau, sont beaucoup plus forts & beaucoup plus tendus dans l’hyver que dans tout autre tems. Quand d’un côté ces ressorts viennent à se débander, tandis que de l’autre l’air continue à peser sur la surface de l’eau, les parties de l’eau pressées & rapprochées les unes des autres par cette double force, perdront leur fluidité & formeront un corps solide, qui restera tel jusqu’à ce que les petits ressorts de l’air, relâchés par une augmentation de chaleur, permettent aux parties du fluide de reprendre leurs premieres dimensions, & laissent assez d’espace entre les globules du fluide pour qu’ils puissent se mouvoir entr’eux. Mais ce système a son foible, & le principe sur lequel il est fondé peut être démontré faux. Le froid n’augmente point le ressort ni l’élasticité de l’air, au contraire il les diminue. L’air se raréfie par la chaleur, & se condense par le froid ; & il est démontré en Aërométrie, que la force élastique de l’air raréfié, est à la force de ce même air, qui est dans un état de condensation, comme son volume, quand il est raréfié, est à son volume quand il est condensé. Voyez Elasticité & Air.

Je ne sais pas si c’est trop la peine de faire mention de l’hypothese de quelques auteurs, dans laquelle ils expliquent d’où vient l’augmentation du volume & la diminution de la gravité spécifique de l’eau convertie en glace. Ils soutiennent que les particules de l’eau dans leur état naturel, approchent de la figure cubique, & qu’ainsi il n’y a que très-peu d’interstices entre les parties des fluides ; mais que ces petits cubes sont changés par la congelation en autant de spheres, qui laissent entr’elles beaucoup d’espace vuide. Les particules cubiques sont certainement beaucoup moins propres à constituer un fluide, que les particules sphériques ; de même que les particules sphériques sont bien moins disposées à former un corps solide que ne le sont les cubiques ; c’est ce que la nature de la fluidité & de la solidité nous suggere assez facilement.

Au fond, pour nous faire une théorie de la congelation, nous devons recourir, soit aux particules frigorifiques des Philosophes corpusculaires, considérées sous le jour & avec tous les avantages que leur a donné la philosophie de Newton, soit à la matiere subtile des Cartésiens, avec tous les correctifs de M. Gauteron, dans les mémoires de l’Académie royale des Sciences, année 1709.

Nous joindrons ici l’un & l’autre système, pour laisser au lecteur la liberté du choix. Je commence par le premier. Lorsqu’une quantité de particules