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du mouvement n’est point nécessairement dépendante de principes physiques, ou d’aucune propriété des corps, mais qu’elle procede de la volonté & de l’action immédiate de Dieu. Selon lui, il n’y a pas plus de connexion entre le mouvement ou le repos d’un corps, & le mouvement ou le repos d’un autre, qu’il n’y en a entre la forme, la couleur, la grandeur, &c. d’un corps & celle d’un autre ; & ce philosophe conclut de-là, que le mouvement du corps choquant n’est point la cause physique du mouvement du corps choqué.

Il n’y a point de doute que la volonté du Créateur ne soit la cause primitive & immédiate de la communication du mouvement, comme de tous les autres effets de la nature. Mais s’il nous est permis d’entrer dans les vûes de l’Être suprême, nous devons croire que les lois de la communication du mouvement qu’il a établies, sont celles qui convenoient le mieux à la sagesse & à la simplicité de ses desseins. Ce principe du P. Malebranche, qu’il n’y a pas plus de connexion entre le mouvement d’un corps & celui d’un autre, qu’entre la figure & la couleur de ces corps, ne paroît pas exactement vrai : car il est certain que la figure & la couleur d’un corps n’influe point sur celle d’un autre ; au lieu que quand un corps A en choque un autre B, il faut nécessairement qu’il arrive quelque changement dans l’état actuel de l’un de ces corps, ou dans l’état de tous les deux ; car le corps B étant impénétrable, le corps A ne peut continuer son chemin suivant la direction qu’il avoit, à moins que le corps B ne soit déplacé ; ou si le corps A perd tout son mouvement, en ce cas ce corps A change par la rencontre du corps B son état de mouvement en celui de repos. C’est pourquoi il faut nécessairement que l’état du corps B change, ou que l’état du corps A change.

De-là on peut tirer une autre conséquence ; c’est que l’impénétrabilité des corps, qui est une de leurs propriétés essentielles, demandant nécessairement que le choc de deux corps produise du changement dans leur état, il a été nécessaire au Créateur d’établir des lois générales pour ces changemens : or quelques-unes de ces lois ont dû nécessairement être déterminées par la seule impénétrabilité, & en général par la seule essence des corps : par exemple, deux corps égaux & semblables sans ressort, venant se frapper directement avec des vîtesses égales, c’est une suite nécessaire de leur impénétrabilité qu’ils restent en repos. Il en est de même, si les masses de ces corps sont en raison inverse de leurs vîtesses. Or si d’après ce principe, on peut déterminer généralement les lois de la communication du mouvement, ne sera-t-il pas bien vraissemblable que ces lois sont celles que le Créateur a dû établir par préférence, puisque ces lois seroient fondées sur des principes aussi simples qu’on pourroit le désirer, & liées en quelque maniere à une propriété des corps aussi essentielle que l’impénétrabilité ? On peut voir ce raisonnement plus développé dans l’article Percussion.

Lois de la communication du mouvement. Dans la suite de cet article nous appellerons mouvement d’un corps, ou degré de mouvement, un nombre qui exprime le produit de la masse de ce corps par sa vîtesse ; & en effet, il est évident que le mouvement d’un corps est d’autant plus grand que sa masse est plus grande, & que sa vîtesse est plus grande ; puisque plus sa masse & sa vîtesse sont grandes, plus il a de parties qui se meuvent, & plus chacune de ces parties a de vîtesse.

Si un corps qui se meut frappe un autre corps déjà en mouvement, & qui se meuve dans la même direction, le premier augmentera la vîtesse du second, mais perdra moins de sa vîtesse propre, que

si ce dernier avoit été absolument en repos.

Par exemple, si un corps en mouvement triple d’un autre corps en repos, le frappe avec 32d de mouvement, il lui communiquera 8d de son mouvement, & n’en gardera que 24 : si l’autre corps avoit eu déjà 4d de mouvement, le premier ne lui en auroit communiqué que 5, & en auroit gardé 27, puisque ces 5d auroient été suffisans par rapport à l’inégalité de ces corps, pour les faire continuer à se mouvoir avec la même vîtesse. En effet dans le premier cas, les mouvemens après le choc étant 8 & 24, & les masses 1 & 3, les vîtesses seront 8 & 8, c’est-à-dire égales ; & dans le second cas, on trouvera de même que les vîtesses seront 9 & 9.

On peut déterminer de la même maniere les autres lois de la communication du mouvement, pour les corps parfaitement durs & destitués de toute élasticité. Mais tous les corps durs que nous connoissons étant en même tems élastiques, cette propriété rend les lois de la communication du mouvement fort différentes, & beaucoup plus compliquées. Voyez Élasticité & Percussion.

Tout corps qui en rencontre un autre, perd nécessairement une partie plus ou moins grande du mouvement qu’il a au moment de la rencontre. Ainsi un corps qui a déjà perdu une partie de son mouvement par la rencontre d’un autre corps, en perdra encore davantage par la rencontre d’un second, d’un troisieme. C’est pour cette raison qu’un corps qui se meut dans un fluide, perd continuellement de sa vîtesse, parce qu’il rencontre continuellement des corpuscules auxquels il en communique une partie.

D’où il s’ensuit 1°. que si deux corps homogenes de différentes masses, se meuvent en ligne droite dans un fluide avec la même vîtesse, le plus grand conservera plus long-tems son mouvement que le plus petit : car les vîtesses étant égales par la supposition, les mouvemens de ces corps sont comme leurs masses, & chacun communique de son mouvement aux corps qui l’environnent, & qui touchent sa surface en raison de la grandeur de cette même surface. Or quoique le plus grand corps ait plus de surface absolument que le plus petit, il en a moins à proportion, comme nous l’allons prouver ; donc il perdra à chaque instant moins de son mouvement que le plus petit.

Supposons, par exemple, que le côté d’un cube A soit de deux piés, & celui d’un cube B d’un pié ; les surfaces seront comme 4 à un, & les masses comme 8 à un ; c’est pourquoi si ces corps se meuvent avec la même vîtesse, le cube A aura huit fois plus de mouvement que le cube B : donc, afin que chacun parvienne au repos en même tems, le cube A doit perdre à chaque moment huit fois plus de son mouvement que le cube B : mais cela est impossible ; car leurs surfaces étant l’une à l’autre comme 4 à 1, le corps A ne doit perdre que quatre fois plus de mouvement que le corps B, en supposant (ce qui n’est pas fort éloigné du vrai) que la quantité de mouvement perdue est proportionnelle à la surface : c’est pourquoi quand le cube B deviendra parfaitement en repos, A aura encore une grande partie de son mouvement.

2°. De là nous voyons la raison pourquoi un corps fort long, comme un dard, lancé selon sa longueur, demeure en mouvement beaucoup plus longtems, que quand il est lancé transversalement ; car quand il est lancé suivant sa longueur, il rencontre dans sa direction un plus petit nombre de corps auxquels il est obligé de communiquer son mouvement, que quand il est lancé transversalement. Dans le premier cas, il ne choque que fort peu de corpuscules par sa pointe ; & dans le second cas, il choque tous les corpuscules qui sont disposés suivant sa longueur.