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Dès qu’Henri III. fut monté sur le throne, il infecta le royaume de farceurs ; il fit venir de Venise les comédiens Italiens surnommés li Gelosi, lesquels au rapport de M. de l’Etoile (que je vais copier ici), « commencerent le dimanche 29 Mai 1577 leurs comédies en l’hostel de Bourbon à Paris ; ils prenoient quatre souls de salaire par teste de tous les François, & il y avoit tel concours, que les quatre meilleurs prédicateurs de Paris n’en avoient pas tous ensemble autant quand ils preschoient… Le mercredi 26 Juin, la cour assemblée aux Mercuriales, fit défenses aux Gelosi de plus joüer leurs comédies, pour ce qu’elles n’enseignoient que paillardises...... Le samedi 27 Juillet, li Gelosi, après avoir présenté à la cour les lettres patentes, par eux obtenues du roi, afin qu’il leur fût permis de joüer leurs comédies, nonobstant les défenses de la cour, furent renvoyés par fin de non-recevoir, & défenses à eux faites de plus obtenir & présenter à la cour de telles lettres, sous peine de dix mille livres parisis d’amende, applicables à la boîte des pauvres ; nonobstant lesquelles défenses, au commencement de Septembre suivant, ils recommencerent à joüer leurs comédies en l’hôtel de Bourbon, comme auparavant, par la jussion expresse du roi : la corruption de ce tems étant telle, que les farceurs, bouffons, put...... & mignons, avoient tout crédit auprès du roi ». Journal d’Henri III. par Pierre de l’Etoile, à la Haye 1744, in-8°. tom. I. pag. 206. 209. & 211.

La licence s’étant également glissée dans toutes les autres troupes de comédiens, le parlement refusa pendant long-tems d’enregistrer leurs lettres patentes, & il permit seulement en 1596 aux comédiens de province, de joüer à la foire saint-Germain, à la charge de payer par chacune année qu’ils joüeroient, deux écus aux administrateurs de la confrairie de la passion. En 1609, une ordonnance de police défendit à tous comédiens de représenter aucunes comédies ou farces, qu’ils ne les eussent communiquées au procureur du roi. Enfin on réunit le revenu de la confrairie de la passion à l’hôpital-général. Voyez sur tout ceci Pasquier, rech. liv. VII. ch. v. De la Mare, traité de pol. liv. III. tom. II. œuvres de Despréaux, Paris, 1747, in-8°. &c.

Les accroissemens de Paris ayant obligé les comédiens à se séparer en deux bandes ; les uns resterent à l’hôtel de Bourgogne, & les autres allerent à l’hôtel d’Argent au Marais. On y joüoit encore les pieces de Jodelle, de Garnier, & de leurs semblables, quand Corneille vint à donner sa Mélite, qui fut suivie du Menteur, piece de caractere & d’intrigue. Alors parut Moliere, le plus parfait des poëtes comiques, & qui a remporté le prix de son art malgré ses jaloux & ses contemporains.

Le comique né d’une dévotion ignorante, passa dans une bouffonnerie ridicule ; ensuite tomba dans une licence grossiere, & demeura tel, ou barbouillé de lie, jusqu’au commencement du siecle de Louis XIV. Le cardinal de Richelieu, par ses libéralités, l’habilla d’un masque plus honnête ; Moliere en le chaussant de brodequins, jusqu’alors inconnus, l’éleva au plus haut point de gloire ; & à sa mort, la nature l’ensevelit avec lui. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Comédie ballet : on donne ce nom au théatre François, aux comédies qui ont des intermedes, comme Psiché, la princesse d’Elide, &c. Voyez Intermede. Autrefois, & dans sa nouveauté, Georges Dandin & le Malade imaginaire étoient appellés de ce nom, parce qu’ils avoient des intermedes.

Au théatre lyrique, la comédie ballet est une espece de comédie en trois ou quatre actes, précédés d’un prologue.

Le Carnaval de Venise de Renard, mis en musique par Campra, est la premiere comédie ballet qu’on ait représentée sur le théatre de l’opéra : elle le fut en 1699. Nous n’avons dans ce genre que le Carnaval & la Folie, ouvrage de la Mothe, fort ingénieux & très-bien écrit, donné en 1704, qui soit resté au théatre. La musique est de Destouches.

Cet ouvrage n’est point copie d’un genre trouvé. La Mothe a manié son sujet d’une maniere originale. L’allégorie est le fond de sa piece, & c’est presque un genre neuf qu’il a créé. C’est dans ces sortes d’ouvrages qu’il a imaginés, où il a été excellent. Il étoit foible quand il marchoit sur les pas d’autrui, & presque toûjours parfait, quelquefois même sublime, lorsqu’il suivoit le feu de ses propres idées. Voyez Pastorale & Ballet. (B)

COMÉDIEN, s. m. (Belles-Lettres.) personne qui fait profession de représenter des pieces de théatre, composées pour l’instruction & l’amusement du public.

On donne ce nom, en général, aux acteurs & actrices qui montent sur le théatre, & joüent des rôles tant dans le comique que dans le tragique, dans les spectacles où l’on déclame : car à l’opéra on ne leur donne que le nom d’acteurs ou d’actrices, danseurs, filles des chœurs, &c.

Nos premiers comédiens ont été les Troubadours, connus aussi sous le nom de Trouveurs & Jongleurs ; ils étoient tout-à-la-fois auteurs & acteurs, comme on a vû Moliere, Dancour, Montfleury, le Grand, &c. Aux Jongleurs succéderent les confreres de la passion, qui représentoient les pieces appellés mysteres, dont il a été parlé plus haut. Voyez Comédie sainte.

A ces confreres ont succédé les troupes de comédiens, qui sont ou sédentaires comme les comédiens François, les comédiens Italiens établis à Paris, & plusieurs autres troupes qui ont des théatres fixes dans plusieurs grandes villes du royaume, comme Strasbourg, Lille, &c. & les comédiens qui courent les provinces & vont de ville en ville, & qu’on nomme comédiens de campagne.

La profession de comédien est honorée en Angleterre ; on n’y a point fait difficulté d’accorder à Mlle Olfilds un tombeau à Westminster à côté de Newton & des rois. En France, elle est moins honorée. L’église Romaine les excommunie, & leur refuse la sépulture chrétienne, s’ils n’ont pas renoncé au théatre avant leur mort. Voyez Acteurs. (G)

* Si l’on considere le but de nos spectacles, & les talens nécessaires dans celui qui sait y faire un rôle avec succès, l’état de comédien prendra nécessairement dans tout bon esprit, le degré de considération qui lui est dû. Il s’agit maintenant, sur notre théatre François particulierement, d’exciter à la vertu, d’inspirer l’horreur du vice, & d’exposer les ridicules : ceux qui l’occupent sont les organes des premiers génies & des hommes les plus célebres de la nation, Corneille, Racine, Moliere, Renard, M. de Voltaire, &c. leur fonction exige, pour y exceller, de la figure, de la dignité, de la voix, de la mémoire, du geste, de la sensibilité, de l’intelligence, de la connoissance même des mœurs & des caracteres, en un mot un grand nombre de qualités que la nature réunit si rarement dans une même personne, qu’on compte plus de grands auteurs que de grands comédiens. Malgré tout cela, ils ont été traités très durement par quelques unes de nos lois, que nous allons exposer dans la suite de cet article, pour satisfaire à la nature de notre ouvrage. Voyez Geste, Déclamation, &c.

Comédiens, (Jurisprudence.) Chez les Romains, les comédiens étoient dans une espece d’in-