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en se donnant la peine de parcourir les définitions des objets généraux qui y sont examinés, & qui peuvent être pris dans différentes acceptions, par exemple, celle du mouvement, & ensuite de voir dans quel corps les Physiciens considerent le mouvement ; 3° enfin en portant la vûe sur le petit nombre d’objets particuliers dont s’occupe la Physique, & qui nous sont communs avec elle, tels que l’eau, l’air, le feu, &c. Ces recherches lui découvriront que c’est toûjours des masses qu’il est question en Physique ; que le mouvement dont le Physicien s’occupe principalement est le mouvement propre aux masses ; que l’air est pour lui un fluide qui se comprime & qui se rétablit aisément, qui se met en équilibre avec les liquides qu’il soûtient à de certaines hauteurs, dans de certaines circonstances, dont les courans connus sous le nom de vents, ont telle ou telle vîtesse, qui est la matiere des rayons sonores, en un mot que l’air du Physicien n’est uniquement que l’air de l’atmosphere, & par conséquent de l’air aggregé ou en masse ; que son eau est un liquide humide, incompressible, capable de se réduire en glace & en vapeur, soûmis à toutes les lois de l’hydraulique & de l’hydrostatique, qui est la matiere des pluies & des autres météores aqueux, &c. or toutes ces propriétés sont évidemment des propriétés de masse, excepté cependant l’humidité ; aussi est-elle mal entendue pour l’observer en passant : car je demande qu’on me montre un seul liquide qui ne soit pas humide, sans en excepter même le mercure, & je conviendrai que l’humidité peut être un caractere spécial de quelques liquides. Quant au feu & à la qualité essentielle par laquelle Boerhaave, qui est celui qui en a le mieux traité physiquement, caractérise ce fluide ; savoir, la faculté de raréfier tous les corps : c’est évidemment à des masses de feu, ou au feu aggregé, que cette propriété convient ; aussi le traité du feu de Boerhaave, à cinq ou six lignes près, est-il tout physique. La lumiere, autre propriété physique assez générale du feu, appartient uniquement au feu aggregé.

La plupart des objets physiques sont sensibles ou en eux-mêmes, ou au moins par leurs effets immédiats. Une masse a une figure sensible ; une masse en mouvement parcourt un espace sensible dans un tems sensible ; elle est retardée par des obstacles sensibles, ou elle est retardée sensiblement, &c. une masse élastique est applatie par le choc dans une partie sensible de sa surface, &c. cette circonstance soûmet à la précision géométrique la détermination des figures, des forces, des mouvemens de ces corps ; elle fournit au géometre des principes sensibles, d’après lesquels il bâtit ce qu’il appelle des théories, qui depuis que le grand Newton a fait un excellent ouvrage en décorant la Physique du relief de ces sublimes connoissances, sont devenues la Physique.

La Physique d’aujourd’hui est donc proprement la collection de toutes les sciences physico-mathématiques : or jusqu’à présent on n’a calculé que les forces & les effets des masses : car quoique les plus profondes opérations de la Géométrie transcendante s’exercent sur des objets infiniment petits, cependant comme ces objets passent immédiatement de l’abstraction à l’état de masse, qu’ils sont des masses figurées, douées de forces centrales, &c. dès qu’ils sont considérés comme êtres physiques, les très-petits corps du Physicien géometre ne sont pas les corpuscules que nous avons opposés aux masses ; & les calculs faits sur ces corps avec cette sagacité & cette force de génie que nous admirons, ne rendent pas les causes & les effets chimiques plus calculables, du moins plus calculés jusqu’à présent.

Les Physiciens sont très-curieux de ramener tous les phénomenes de la nature aux loix méchaniques,

& le nom le plus honnête qu’on puisse donner aux causes qu’ils assignent, aux agens qu’ils mettent en jeu dans leurs explications, c’est de les appeller méchaniques.

La Physique nous avouera elle-même sans doute sur la nature des objets que nous lui attribuons, & d’autant plus que nous ne lui avons pas enlevé ceux qu’elle a usurpés sur nous, & dont la propriété pouvoit la flater ; nous avons dit seulement que son objet dominant étoit la contemplation des masses.

Que la Chimie au contraire ne s’occupe essentiellement que des affections des différens ordres de principes qui forment les corps sensibles ; que ce soit là son but, son objet propre, le tableau abregé de la Chimie, tant théorique que pratique, que nous allons tracer dans un moment, le montrera suffisamment.

Nous observerons d’avance, pour achever le contraste de la Physique & de la Chimie :

1°. Que tout mouvement chimique est un mouvement intestin, mouvement de digestion, de fermentation, d’effervescence, &c. que l’air du Chimiste est un des principes de la composition des corps, surtout des corps solides, s’unissant avec des principes différens selon les loix d’affinité, s’en détachant par des moyens chimiques, la chaleur & la précipitation ; qu’il est si volatil, qu’il passe immédiatement de l’état solide à l’expansion vaporeuse, sans rester jamais dans l’état de liquidité sous le plus grand froid connu, vûe nouvelle qui peut sauver bien des petitesses physiques ; que l’eau du Chimiste est un élément, ou un corps simple, indivisible, & incommutable, contre le sentiment de Thalès, de Van-Helmont, de Boyle, & de M. Eller, qui s’unit chimiquement aux sels, aux gommes, &c. qui est un des matériaux de ces corps, qui est l’instrument immédiat de la fermentation, &c. que le feu, considéré comme objet chimique particulier, est un principe capable de combinaison & de précipitation, constituant dans différens mixtes dont il est le principe, la couleur, l’inflammabilité, la métallicité, &c. qu’ainsi le traité du feu, connu sous le nom des trecenta de Stahl, est tout chimique.

Nous avons dit le feu considéré comme objet chimique particulier, parce que le feu aggregé, considéré comme principe de la chaleur, n’est pas un objet chimique, mais un instrument que le Chimiste employe dans les opérations de l’art, ou un agent universel dont il contemple les effets chimiques dans le laboratoire de la nature.

En général quoique le Chimiste ne traite que des aggregés, puisque les corps ne se présentent jamais à lui que sous cette forme, ces aggregés ne sont jamais proprement pour lui que des promptuaria de sujets vraiment chimiques, de corpuscules ; & toutes les altérations vraiment chimiques qu’il lui fait essuyer, se réduisent à deux. Ou il attaque directement ses parties intégrantes, en les combinant une à une, ou en très-petite quantité numérique avec les parties intégrantes d’un autre corps de nature différente, & c’est la dissolution chimique ou la syncrese. Voyez Menstrue, Syncrese, & la suite de cet article. Cette dissolution est le seul changement chimique qu’il puisse produire sur un aggregé d’élémens. Ou il décompose les parties intégrantes de l’aggregé, & c’est-là l’analyse chimique ou la diacrese. Voy. Diacrese, Analyse végétale, au mot Végétal, & la suite de cet article. En un mot, tant qu’il ne s’agit que des rapports des parties intégrantes de l’aggregé entr’elles, le phénomene n’est pas chimique, quoiqu’il puisse être dû à des agens chimiques ; par exemple, la division d’un aggregé, poussée même jusqu’à l’unité individuelle de ses parties, n’est pas chimique ; c’est ainsi que la pulvérisation même phi-