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sillons soient tracés droits. Il y a un certain angle à donner au coutre, selon lequel il éprouvera de la part du sol la moindre résistance possible : l’expérience le fera connoître. Il faut que le manche ou la queue soit de longueur proportionnée au train & au harnois, & que l’oreille soit disposée de maniere à renverser la terre commodément ; que le coutre soit de gros fer, bon, & non cassant, ni trop étroit, ni trop large. Il y a des charrues de plusieurs façons ; il est bon d’en avoir de toutes, & deux au moins de celles dont on fait le plus d’usage. Les charrues sans roues, où le train de derriere est monté sur une perche, ne sont bonnes que pour les terres très-légeres. Celles à bras servent à labourer les petits jardins : ce n’est autre chose que trois morceaux de bois assemblés en quarré ; le fer tranchant qui a deux piés & demi de long sur quatre à cinq pouces de large, se pose de biais, & ferme le quarré : il est posé de biais, afin qu’il morde la terre plus facilement. La charrue s’appelle à bras, parce qu’on ne la fait agir qu’à force de bras. Voyez Plan. d’Agriculture, fig. 1. la charrue à labourer les champs ; a, a, les roues ; b, la fleche ; c, le coutre ; d, le soc ; e, l’oreille ; f, f, le manche ou la queue.

L’objet qu’on se propose en labourant les terres (Voy. Labour), est de détruire les mauvaises herbes, & de réduire la terre en molécules. La bêche rempliroit à merveille ces deux conditions ; mais le travail à la bêche est long, pénible, & coûteux. On ne bêche que les jardins. La charrue plus expéditive est pour les champs. M. de Tull, dont M. Duhamel a mis l’ouvrage utile en notre langue, ayant remarqué que la charrue ordinaire ne remuoit pas la terre à une assez grande profondeur, & brisoit mal les mottes, le coutre coupant le gason, le soc qui suit l’ouvrant, & l’oreille ou le versoir le renversant tour d’une piece, a songé à perfectionner cette machine, en y adaptant quatre coutres, placés de maniere qu’ils coupent la terre qui doit être ouverte par le soc, en bandes de deux pouces de largeur ; d’où il s’ensuit que, le soc ouvrant un sillon de sept à huit pouces de largeur, le versoir retourne une terre bien divisée, & que la terre est meuble dès le second labour. M. de Tull prétend encore qu’il peut avec sa charrue sillonner jusqu’à 10, 12, & 14 pouces de profondeur. Pour qu’on en puisse juger, nous allons donner la description de la charrue commune, & de la charrue de M. de Tull. Voyez les Planc. d’Agriculture.

On voit dans la figure 2. une charrue ordinaire à deux roues, pour toutes terres labourables, excepté les glaises & les bourbeuses ; encore dans ces deux cas, peut-on l’employer en entourant les cercles de fer & les raies des roues, de cordes de paille d’un pouce d’épaisseur : ces cordes pressées par les roues contre la terre, s’applatissent & écartent des roues la glaise & la boue. La charrue est divisée en deux parties, la tête & la queue.

On voit à la tête les deux roues A, B ; leur essieu de fer qui passe le long de la traverse fixe C, dans laquelle il tourne & dans les roues ; les deux montans D, D, assemblés perpendiculairement sur la traverse C, & percés chacun d’un rang de trous, à l’aide desquels & de deux chevilles on peut hausser & baisser la traverse mobile E, & partant la fleche N, selon qu’on veut faire des sillons plus ou moins profonds ; la traverse d’assemblage F ; le chassis G, avec ses anneaux ou crochets, par lesquels la charrue est tirée ; la chaîne H qui assemble la queue de la charrue à la tête, par le collier s d’un bout, de l’autre par un anneau qui passe par une ouverture de la traverse C, & qui est arrêté par la tringle K, & de l’autre bout par l’autre extrémité m de la même trin-

gle : on conçoit que ce collier ne peut se déranger,

arrêté par un boulon qui traverse la fleche. La tringle K est retenue par un cercle d’osier passé comme on voit.

La queue est composée de la fleche N, du coutre O, du soc P, de la planche Q, de l’étanson R, qui traverse la fleche, du manche court S attaché par une cheville au haut de l’étanson, & par un autre au haut de la planche ; du montant T qui appartient au côté droit de la queue de la charrue, & auquel la piece d’en-bas V est attachée, comme l’est aussi la planche du dessous ; du long manche X assemblé avec le montant, & dont on voit la partie antérieure en Y ; & du double tenon Z qui supporte la planche en haut, & est porté à vis & écrous par la fleche.

Dans la charrue de M. de Tull, qu’on voit fig. 3. la fleche est de dix piés quatre pouces ; elle n’est que de huit piés dans l’autre. La figure de cette fleche est aussi différente ; elle n’est droite dans celle de M. de Tull que de a à b ; au lieu qu’elle est droite dans toute la longueur, à la charrue ordinaire. La courbure de la fleche de la charrue de M. de Tull lui fait éviter la trop grande longueur des coutres antérieurs : or un peu de méchanique expérimentale indiquera bien tous les inconvéniens de cette longueur, en considérant ces coutres comme des leviers. L’angle c de la planche ne doit pas avoir plus de 42 à 43 degrés. Les quatre coutres, 1, 2, 3, 4, doivent être placés de maniere que les plans tracés dans l’air par leur tranchant, quand la charrue marche, soient tous paralleles. Ils sont chacun à la distance de deux pouces & demi plus à la droite les uns que les autres ; distance comptée du milieu d’une mortoise au milieu de l’autre. La pointe du premier coutre 1 doit incliner à gauche d’environ deux pouces & demi plus que la pointe du soc : l’inspection de la figure suggérera aisément à ceux qui ont quelqu’habitude des machines, la construction du reste de cette charrue, & la raison de cette construction. Au reste, voyez pour un plus grand détail, l’ouvrage de M. Tull, traduit par M. Duhamel, & l’explication de nos Planches d’Agriculture ; voyez aussi les articles Agriculture, Coutre, Soc, &c. Labour, Terre.

Nous n’employons la charrue qu’au labour des terres ; les anciens s’en servoient encore en l’atelant d’un bœuf & d’une vache, à tracer l’enceinte des villes qu’ils bâtissoient. Ils levoient la charrue aux endroits destinés pour les portes : du verbe porto, qui désignoit cette action, on a fait le nom porta. Quand ils détruisoient une ville, ils faisoient aussi passer la charrue sur ses ruines ; & ils répandoient quelquefois du sel dans les sillons, pour empêcher la fertilité.

Charrue, (Jurispr.) ne peut être saisie, même pour deniers royaux ou publics. Ce privilége introduit en faveur du labourage, avoit déjà lieu chez les Romains, suivant la loi executores, & la loi pignorum, & l’authentique agricultores, au code quæ res pignori obligari possunt. Il a pareillement été adopté dans notre Droit françois, & confirmé par différentes ordonnances ; entre autres par une ordonnance de Charles VIII. par celle de François I. en 1540 ; art. 29. par l’édit de Charles IX. du 8 Octobre 1571. l’ordonnance d’Henri IV. du 16 Mars 1595, qui est générale, & accorde le privilége même contre les deniers royaux ; au lieu que l’ordonnance de 1571 n’étoit que pour un an, & exceptoit du privilége des laboureurs les deniers royaux. L’ordonnance de 1667, tit. xxxiij. art. 16. a fixé la jurisprudence sur ce point, & défend de saisir les charrues, charrettes, & ustensiles servant à labourer, même pour deniers royaux, à peine de nullité.

En 1358, le seigneur de Mantor, proche Abbeville, comptoit au nombre de ses droits celui de