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les meilleures, & s’appellent peaux de recette ; les autres s’appellent communes.

Quand on se propose de faire des chapeaux avec du poil seul de lapin, il y a une préparation particuliere à donner aux peaux, au lieu de celle du secret. Cette préparation n’est pas généralement connue, elle a été achetée par quelques maîtres. C’est, ou une distillation d’eau-forte toute simple, ou de quelque ingrédient mêlé à cette eau ; ils appellent ce qui vient de cette distillation, l’eau de composition. L’effet de cette eau est de donner au poil de lapin la facilité de se lier, de former un tout résistant à la foule, de prendre un corps qui ne se casse point, & ne se résout point à la chaudiere. Cependant, malgré l’eau de composition, les chapeaux de poil de lapin seroient très-mauvais, si on ne mêloit pas ce poil d’un peu de laine & d’autres poils. Les chapeaux de poil de lapin sont d’un verd blanchâtre, quand on les porte à la teinture, couleur qu’ils tiennent peut-être de l’eau de composition.

On secrete pareillement les peaux de lievre avec l’eau de composition, quand on se propose de faire des chapeaux de ce poil sans mêlange. Mais cette eau ne fait que donner plus de qualité à l’ouvrage & plus de facilité à l’ouvrier dans son travail ; car il n’est pas impossible d’employer le poil de lievre sans cette eau. Les chapeaux faits de ce poil & secrétés avec l’eau de composition, sont, avant que d’être teints, de couleur de feuille morte, tantôt plus, tantôt moins foncée. Il y reste un petit œil verd jaunâtre.

Quand tous les poils sont préparés, on les met dans des tonneaux ; s’ils y restoient long-tems, ils seroient mangés des vers. Ce sont les différens mêlanges de ces poils & des laines qui constituent les différentes, qualités de chapeaux. Il y a des castors super-fins, des castors, des demi-castors, des fins, des communs, des laines. Les super-fins sont de poils choisis du castor ; les castors ordinaires, de castor, de vigogne, & de lievre ; les demi-castors, de vigogne commune, de lievre, & de lapin, avec une once de castor, qui sert de dorure ou d’enveloppe aux autres matieres, précisément comme quand une grosse feuille de papier gris est couverte de chaque côté d’une feuille de beau papier blanc. Il y a deux dorures, elles s’appellent les deux pointus, ou les petites capades ; elles se mettent à l’endroit du chapeau. Quant à l’envers ou dedans, ce sont deux travers, ou manchettes, ou bandes, qui occupent la surface des aîles du chapeau ; car il est inutile que le fond soit doré. On appele ces demi-castors, demi-castors dorés ; mais on fabrique des castors & demi-castors où les différentes matieres de l’étoffe sont mêlées, & où il n’y a point de dorures. Ce détail s’entendra beaucoup mieux par ce qui doit suivre. Il n’y a point de dorure aux fins ; ceux-ci ne different des demi-castors qu’en ce que la matiere principale y est un peu plus ménagée. Les communs sont du plus mauvais poil du lapin & du lievre, avec de la vigogne commune, ou de la petite laine. Les laines sont entiererement de laine commune.

Nous ne donnerons point ici la maniere de fabriquer chacun de ces chapeaux séparément ; nous tomberions dans une infinité de redites. Nous choisirons seulement celui dont la fabrication demande le plus d’apprêt, & est regardée comme la plus difficile & la plus composée, & dont les autres ne sont que des abregés : c’est celle du chapeau à plumet. Soit donc proposé de faire un chapeau à plumet. Voilà le problème que nous devons mettre notre lecteur, sinon en état de résoudre, du moins en état de bien entendre la solution que nous allons en donner.

Pour fabriquer ce chapeau, on choisit le plus beau poil de castor tant gras que sec ; sur quatre parties

de sec, on en met une cinquieme de gras ; parmi les quatre parties de sec, il n’y en a que les deux tiers de secrété, l’autre tiers ne l’est pas. Le gras ne se secrete point du tout ; on partage le poil non secrété en deux moitiés ; l’une pour le fond, l’autre pour la dorure : on laisse cette derniere moitié à l’écart. Quant à l’autre moitié, & au reste de la matiere qui doit entrer dans la fabrique du fond, on les donne au cardeur. Le cardeur de poil mêle le tout ensemble le plus exactement qu’il peut, avec des baguettes, & carde ensuite. Ses cardes sont extrêmement fines ; sa manœuvre a deux parties ; l’une s’appelle passer ou carder en premier ; l’autre, repasser en second. Pour cet effet, il prend du poil, le met sur sa carde, & le carde à l’ordinaire ; après quoi il retourne la cardée d’un côté, & continue de carder ; puis il retourne la cardée de l’autre côté, & continue de carder, observant de réiterer toute cette manœuvre une seconde fois. Après avoir donné cette façon à tout son poil, ou à mesure qu’il la lui donne, un autre ouvrier repasse en second. Le repassage en second ne differe point du passage en premier, & se réïtere pareillement ; on y apporte seulement plus de soin & de précaution.

Le poil se donne & se reprend au poids. On accorde au cardeur six onces de déchet par paquet de 15 à 16 livres ; mais ce déchet est assez ordinairement suppléé par le poids d’huile commune dont les cardeurs arrosent le paquet, quand ils en mêlent les différens poils avec leurs baguettes. Cette aspersion d’huile ménage les cardes & facilite le travail.

Le paquet cardé est rendu au maître, qui le distribue aux compagnons au poids, selon la force des chapeaux qu’il commande. Il y a des chapeaux depuis quinze onces jusqu’à trois ; & le salaire du compagnon est le même depuis trois onces jusqu’à neuf & demie ; depuis neuf & demie jusqu’à onze il a cinq sols de plus ; passé onze onces, les chapeaux étant extraordinaires, ont des prix particuliers.

La matiere distribuée par le maître aux compagnons, au sortir des mains du cardeur, s’appelle l’étoffe. On pese deux chapeaux à un compagnon, c’est sa journée ; on lui donne une once de dorure, depuis quatre onces d’étoffe jusqu’à huit & davantage ; on lui en pese par conséquent deux onces. Le compagnon met cette dorure à l’écart ; quant à l’étoffe de ses deux chapeaux, il la sépare moitié par moitié à la balance ; il met à part une de ces moitiés ; il sépare l’autre en quatre à la balance ; puis il arçonne séparément chacune de ces quatre parties. Voyez les articles Arçon & Arçonner.

L’arçon est une espece de grand archet, tel qu’on le voit fig. 6. il est composé de plusieurs parties. AB est un bâton rond de 7 à 8 piés de longueur, qu’on appelle perche ; près de l’extrémité B est fixée à tenons & mortoise une petite planche de bois chantournée, comme on le voit dans la figure, qu’on appelle bec de corbin. Elle a sur son épaisseur en C une rainure où se loge la corde de boyau cC, qui après avoir passé dans une fente pratiquée à l’extrémité B de la perche, va se rouler & se fixer sur des chevilles de bois, qui sont au côté de la perche, opposées diamétralement au bec de corbin. A l’extrémité A de la perche est aussi fixée à tenons & mortoise une autre planche de bois D, qu’on appelle panneau ; cette planche est évidée, pour être plus légere, & elle est dans le même plan que le bec de corbin C ; elle est aussi plus forte par ses extrémités que dans son milieu ; sa force du côté de la perche fait qu’elle s’y applique plus fermement ; l’épaisseur qu’on lui a réservée de l’autre côté sert à recevoir le cuiret CC, ou un morceau de peau de castor qu’on tend sur l’extrémité E du panneau, au moyen des cordes de boyau C2, C2, attachées à ces extrémités. Ces