plus digne de remarque, c’est qu’étant de figure elliptique, ils laissent entr’eux une fente fort étroite, & sont intérieurement incrustés d’une membrane forte, remplie de sillons transversaux, raboteuse, dure, calleuse, presque cartilagineuse ; de sorte que cette espece de bouclier est capable de moudre les corps les plus durs : car son action est presque comparable à celle des dents molaires. Willis même prétend que les écrevisses ont de vraies dents dans le ventricule. Les organes qui sont réunis dans l’homme, sont donc séparés dans les oiseaux. Nous avons dans l’estomac la salive qui amollit, & des fibres charnues qui broyent ; au lieu que les oiseaux dissolvent dans un ventricule, avant que de broyer dans l’autre ; & cette structure leur étoit absolument nécessaire. Sans cette duplicité, qui fait que l’action des fibres charnues n’est point énervée par un velouté & par des humeurs, comment pourroient-ils digérer des alimens aussi durs, que la mastication n’eût pas préparés auparavant. Il n’est donc pas surprenant qu’on trouve si souvent dans les pigeons des matieres friables dans le premier ventricule, & réduites en bouillie dans le second : mais il y a des animaux qui n’ont ni dents, ni d’autre instrument qui leur en tienne lieu. Pourquoi cela ? c’est qu’ils ne se nourrissent pas d’alimens durs ; d’ailleurs ce qui manque en solide à quelques estomacs, leur a été donné en liquide. Telle est la variété qui s’observe dans les estomacs des granivores & des carnivores. Voyez Carnacier, & Estomac. (L)
CARNOSITÉ, s. f. terme de Chirurgie, qui signifie une excroissance charnue & fongueuse formée dans l’urethre ou col de la vessie, ou dans la verge, qui bouche le passage des urines.
Les carnosités sont très-difficiles à guérir : on ne les connoit guere qu’en introduisant la sonde dans le passage, où elle trouve en ce cas de la résistance. Elles viennent ordinairement de maladies vénériennes négligées ou mal guéries.
Les auteurs ne conviennent point unanimement de l’existence des carnosités. Ils reconnoissent tous une maladie dans le canal de l’urethre, qui occasionne une difficulté d’uriner, laquelle consiste en ce que le jet de l’urine est fort délié, fourchu & de travers. Les efforts que font inutilement les malades pour pisser, rendent cette action fort douloureuse, & leur fait rejetter souvent les excrémens en même tems. La vessie, en ne se vuidant qu’imparfaitement, peut s’enflammer & s’ulcérer par l’acrimonie que l’urine contracte en séjournant dans la cavité de ce viscere. Cette maladie est très-fâcheuse ; elle peut avoir plusieurs suites funestes, telles que la rétention totale d’urine, & l’impossibilité de pénétrer dans la vessie avec la sonde, ce qui met les malades dans le cas d’une opération. Voyez Rétention d’urine. Il peut aussi se faire des crevasses à l’urethre, & en conséquence une inondation d’urine dans le tissu cellulaire qui entoure la vessie & le rectum : de là des abcès gangréneux, suivis de fistules, &c.
M. Dionis attribue la cause de tous ces accidens à des cicatrices qui se sont faites sur des ulceres durs & calleux de l’intérieur de l’urethre. Il assûre que quelque diligence qu’il ait faite en ouvrant des corps qu’on accusoit d’avoir des carnosités, il n’en a jamais trouvé. Il traite d’erreur commune la persuasion de l’existence des carnosités. Il ajoûte que ceux qui prétendoient avoir des remedes particuliers pour les guérir, avoient intérêt de confirmer cette erreur plûtôt que d’en desabuser ; d’autant plus que cette maladie ayant été abandonnée des véritables Chirurgiens, étoit devenue le partage des charlatans ou distributeurs de secrets.
Dionis rapporte à ce sujet l’exemple de Jean-Baptiste Loiseau, maître Chirurgien de Bordeaux, qui
dans un recueil d’observations chirurgicales qu’il a écrites, dit qu’il fut appellé pour traiter le roi Henri IV. d’une carnosité ; qu’il l’avoit pansé & guéri, & qu’il en avoit été récompensé par une charge de Chirurgien de sa Majesté, que le Roi lui donne. Dionis tient cette histoire pour apocryphe : « elle ne prouve point, dit-il, qu’il y ait des carnosités ; elle fait voir que ce M. Loiseau fait le mystérieux, & tient du charlatan, en publiant ce qu’il a fait, sans dire ni les moyens, ni les remedes dont il s’est servi. S’il avoit été vrai, continue-t-il, que le Roi eût eu une carnosité ; il falloit qu’en écrivant cette histoire, M. Loiseau ne fit point un secret ni de la méthode, ni des drogues qu’il avoit employées à une guérison pour laquelle il avoit été si libéralement gratifié : & puisqu’il se taît sur l’essentiel, ajoûte M. Dionis, je tiens le tout pour apocryphe ». Ce raisonnement est d’un ami du genre humain : mais il n’est pas concluant contre les carnosités.
Des praticiens postérieurs à M. Dionis ont essayé dans la maladie dont est question, de dilater peu-à-peu le canal de l’urethre, en se servant d’abord de sondes de plomb fort déliées, & les augmentant ensuite jusqu’à rétablir le diametre naturel de ce conduit. D’autres, avec des bougies de cordes à boyau qui se gonflent par l’humidité, sont parvenus à mettre en forme le canal de l’urethre ; ils ont en conséquence attribué le rétrécissement de l’urethre au gonflement du tissu spongieux de ce canal, en rejettant l’opinion des carnosités & des cicatrices.
Benevole, Chirurgien de Florence, a composé en 1725, un petit traité en langue Italienne, sur les maladies de l’urethre. Il n’est d’aucune des opinions que nous venons d’exposer : il pense que la maladie fâcheuse dont nous parlons, est un effet de la tuméfaction des glandes prostates en conséquence de leur ulcération, puisque l’ulcere de cette glande est toûjours le principe de ce qu’on appelle carnosité.
S’il m’étoit permis d’exposer mon sentiment après celui de tous ces praticiens, je dirois librement qu’ils ont erré en donnant pour cause exclusive le vice que quelques observations leur avoient fait appercevoir ; & je pense qu’ils n’ont trouvé cette maladie si rebelle, que pour avoir reglé leur méthode de traiter invariablement sur la cause qu’ils avoient reconnue, & qu’ils croyoient être unique.
Le rétrécissement de l’urethre par la présence des carnosités est indubitable. La maniere avec laquelle M. Daran traite ces maladies, en est une preuve. Il se sert de bougies, qui mettent en suppuration les obstacles de l’urethre. A mesure qu’ils disparoissent, l’urine reprend son cours ; & lorsqu’elle sort à plein canal, & que les bougies d’une grosseur convenable passent librement jusque dans la vessie, il cicatrise le canal avec des bougies dessiccatives. On voit que M. Daran traite ces maladies comme on feroit un ulcere à la jambe. On doit rendre justice à la vérité : on ne peut disconvenir des succès de M. Daran ; son application à cette sorte de traitement, en lui faisant honneur, en fait beaucoup à la Chirurgie, dont cette maladie étoit presque devenue l’opprobre. Les guérisons qu’il a faites, ne sont point comme quelques personnes le pensent, le fondement d’une nouvelle théorie : elles rétablissent la doctrine des anciens ; elles encouragent tous les Chirurgiens à ne pas abandonner le traitement d’une maladie, & à ne pas se rebuter par les difficultés qu’il présente. M. Daran possede un remede pour mettre les obstacles de l’urethre en suppuration : il a apparemment de raisons particulieres pour en garder le secret. Mais il y a tant de personnes qui ont besoin d’un tel secours ! ce remede n’auroit-il point de substituts qu’un habile Chirurgien pourroit employer ? M. Goulard, célebre Chirurgien de Montpellier, en a découvert