L’Encyclopédie/1re édition/CARNACIER

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 689-690).
CARNATION  ►

CARNACIER, adj. (Hist. nat.) épithete qu’on donne aux animaux qui se nourrissent naturellement de chair. Voyez Animal & Nourriture.

Les Physiciens sont en dispute sur la question, si l’homme est ou n’est pas naturellement carnacier : il y en a qui prétendent que les fruits de la terre étoient destinés seuls à le nourrir ; & que ç’a été le besoin dans quelques pays, & le luxe dans d’autres, qui les a portés à se nourrir des animaux auxquels ils ont tant de ressemblance. Pythagore & ses sectateurs regardoient cette action comme une grande impiété, & s’en abstenoient rigoureusement d’après l’opinion où ils étoient sur la métempsycose ; & les Bramines leurs successeurs continuent encore à en faire autant aujourd’hui. Voyez Abstinence, Brachmanes, &c.

La réflexion sur laquelle Gassendi insiste le plus, pour prouver que les hommes ne sont pas naturellement animaux carnaciers ; c’est la conformation de nos dents, dont il y en a plusieurs d’incisives & de molaires ; au lieu que nous n’avons de semblables aux animaux carnaciers, & propres à déchirer la chair, que les quatre canines ; comme si la nature nous avoit destinés plûtôt à couper des herbes, des racines, &c. Cette raison paroît assez foible. Mais on peut observer, que si nous nous nourrissons de viandes, ce n’est qu’après une préparation par coction, & en la mangeant, soit bouillie, soit rôtie, &c. & qu’alors même, suivant que l’observe le docteur Drake, elle est plus difficile à digérer que toutes les autres nourritures ; ce qui fait qu’on la défend dans les fievres & dans d’autres indispositions : enfin que les enfans ont de l’éloignement pour les viandes, jusqu’à ce que leur palais ait été vicié par l’habitude ; & que la maladie des vers à la quelle ils sont sujets, ne vient que de ce qu’on leur fait manger trop tôt de la viande.

Le docteur Wallis en apporte encore une autre preuve : c’est que les quadrupedes qui broutent les plantes, ont un long colum avec un cœcum à son extrémité inférieure, ou quelque chose d’équivalant, qui porte la nourriture de l’estomac en en-bas par un chemin fort long & fort large, par où la nature paroît avoir eu en vûe de rendre le passage des nourritures dans les intestins plus lent, & de les y faire arrêter plus long-tems ; au lieu que dans les animaux carnaciers, on ne trouve point de cœcum, mais on trouve en sa place un boyau plus court & plus grêle, par où il est évident que le passage de la nourriture doit se faire plus promptement. Or le cœcum est très-visible dans l’homme ; ce qui forme une forte présomption, que la nature qui agit toûjours d’une maniere uniforme, ne s’est pas proposé d’en faire un animal carnacier. Il est vrai que le cœcum n’est que fort petit dans les adultes, & qu’il semble n’y avoir que fort peu d’usage ou même point du tout : mais il est plus grand à proportion dans le fœtus ; & il est probable que les changemens que nous faisons dans notre régime à mesure que nous devenons plus âgés, peuvent être la cause de cette diminution. Voyez Carnivore, Colum, & Cœcum. (L)