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il s’ensuivroit de-là, selon M. Jurin, que des causes égales produiroient des effets inégaux ; ce qui est absurde. De plus, M. Jurin ajoûte que ce n’est pas seulement l’explication de M. Hauksbée qui s’étend trop loin, mais aussi le phénomene qu’il suppose ; car il n’a pas lieu dans tous les fluides : il arrive même tout le contraire dans le mercure ; cette liqueur ne s’élevant pas dans le tube jusqu’au niveau de celle qui est dans le vaisseau, & la hauteur qui s’en manque se trouvant d’autant plus grande, que le vaisseau est plus petit.

M. Jurin propose une autre explication de ce phénomene, laquelle est confirmée, selon lui, par les expériences. « La suspension de l’eau, dans le système de cet auteur, doit s’attribuer à l’attraction de cette circonférence de la surface concave du tube, à laquelle la surface supérieure de l’eau est contiguë, & adhere ; cette circonférence étant la seule partie du tube de laquelle l’eau doive s’éloigner en sortant du repos, & par conséquent la seule qui par la force de sa cohésion & de son attraction, s’oppose à la descente de l’eau ». Il fait voir que c’est une cause proportionnelle à l’effet, parce que cette circonférence & la colonne suspendue sont toutes deux en la même proportion du diametre du tube. Après cette explication de la suspension de la liqueur, l’ascension qui paroît spontanée de cette même liqueur dans ce tube s’expliquera aussi fort aisément ; car puisque l’eau qui entre dans les tuyaux capillaires, aussi-tôt que leur orifice y est plongé, perd une partie de sa gravité par l’attraction de la circonférence à laquelle sa surface touche ; il faut donc nécessairement qu’elle s’éleve plus haut, soit par la pression de l’eau stagnante, soit par l’attraction de la circonférence qui est immédiatement au-dessus de celle qui lui est contiguë.

M. Clairaut, dans sa Théorie de la figure de la terre, imprimée à Paris en 1743, a donné une théorie de l’élévation ou de l’abaissement des liqueurs dans les tuyaux capillaires, où il combat l’explication de M. Jurin. Voici ce qu’il lui objecte.

1°. On ne sauroit employer le principe que les effets sont proportionnels aux causes, que quand on remonte à une cause premiere & unique, & non lorsqu’on examine un effet qui résulte de la combinaison de plusieurs causes particulieres, qu’on n’évalue pas chacune séparément : or quand on compare l’élévation de l’eau dans deux tubes différens, l’attraction de chaque surface est le résultat de toutes les attractions de chaque particule de verre sur toutes celles de l’eau ; & comme toutes les petites forces qui composent la force totale d’une de ces surfaces ne sont pas égales entr’elles, on n’a aucune raison pour conclurre l’égalité d’attraction de deux surfaces, de l’égalité d’étendue de ces surfaces ; il faudroit de plus que ces surfaces fussent pareilles. Par la même raison, quand même on admettroit que le seul anneau du verre qui est au-dessus de l’eau seroit la cause de l’élevation de l’eau, on n’en sauroit conclurre que le poids élevé devroit être proportionnel à ce diametre ; parce qu’on ne peut connoître la force de cet anneau, qu’en sommant celle de toutes les particules.

2°. Supposé qu’on eût trouvé que la force d’un anneau de verre fût en raison constante avec son diametre, on n’en pourroit pas conclurre qu’une colonne du fluide d’un poids proportionnel à cette force, seroit suspendue par son moyen. On voit bien qu’un corps solide tiré en en-haut par une force égale à son poids, ne sauroit tomber : mais si ce corps est fluide, ses parties étant détachées les unes des autres, il faut faire voir qu’elles se soûtiennent mutuellement.

M. Clairaut examine ensuite la question des tuyaux capillaires, par les principes généraux de l’équilibre des

fluides : son exposé est trop géométrique pour être rendu ici, & nous renvoyons à l’ouvrage même ceux qui voudront s’en instruire. Nous nous contenterons de dire que M. Clairaut attribue l’élevation de l’eau à l’attraction du bout inférieur du verre, & à celle du bout supérieur ; & qu’il fait voir que quand le tube a un fort petit diametre, l’eau doit s’y élever à une hauteur qui est en raison inverse de ce diametre ; pourvû qu’on suppose que l’attraction du verre agisse suivant une certaine loi. Il ajoûte que quand même l’attraction du tuyau capillaire seroit d’une intensité plus petite que celle de l’eau, pourvû que cette intensité ne fût pas deux fois moindre, l’eau monteroit encore ; ce qu’il prouve par ses formules. Il explique en passant une expérience de M. Jurin, qui au premier coup d’œil paroît contraire à ses principes : cette expérience consiste en ce que si on soude deux tuyaux capillaires d’inégale grosseur, & qu’on trempe le bout le plus étroit dans l’eau, cette liqueur n’y monte pas plus haut que si tout le tuyau étoit de la même grosseur que par le bout d’en-haut. Quant à la descente du vif-argent dans les tuyaux capillaires, il l’explique en montrant que les forces qui tirent en en-bas dans la colonne qui traverse le tube, sont plus grandes que les forces qui agissent dans les autres colonnes ; & qu’ainsi cette colonne doit être la plus courte, afin de faire équilibre aux autres.

Au reste dans cette explication M. Clairaut suppose que l’attraction n’est pas en raison inverse des quarrés des distances, mais qu’elle suit une autre loi, & dépend d’une fonction quelconque de la distance ; sur quoi voy. la fin de l’art. Attraction.

Il faut pourtant ajoûter à ce que nous avons dit dans cet article, que si on suppose les phénomenes des tuyaux capillaires produits par l’attraction, il paroît difficile d’exprimer la loi de cette attraction, autrement que par une fonction de la distance ; car cette attraction ne sauroit être en raison inverse du quarré de la distance, parce qu’elle est trop forte au point de contact ; nous l’avons prouvé à l’article Attraction. Elle ne sauroit être non plus comme une simple puissance plus grande que le quarré ; car elle seroit infinie à ce point de contact ; elle ne peut donc être que comme une fonction : il est vrai qu’une telle loi seroit bien bisarre, & que cela suffit peut-être pour suspendre son jugement sur la cause de ce phénomene.

On trouve dans les tomes VIII. & IX. des Mémoires de l’Académie de Petersbourg, des dissertations sur cette même matiere, par M. Weitbrecht. L’auteur paroît la bien entendre, & l’avoir approfondie. La dissertation de M. Jurin sur les tuyaux capillaires, contient un choix ingénieux d’expériences faites pour remonter à la cause de ces phénomenes ; elle est insérée dans les Transactions philosophiques, & on la trouve en François à la fin des Leçons de Physique expérimentales de M. Cotes, traduites par M. le Monnier, & imprimées à Paris en 1742.

De toutes les liqueurs qui s’élevent dans les tuyaux capillaires, l’eau est celle qui monte le plus haut : c’est ce que M. Carré a trouvé en faisant les expériences des tuyaux capillaires avec un grand nombre de liqueurs différentes. Selon cet auteur, la raison de cette ascension plus grande de l’eau, c’est que les surfaces de ses petites parties sont d’une telle configuration, qu’elles touchent plus immédiatement, c’est-à-dire, en un plus grand nombre de points, la surface du verre. Il est aisé d’appliquer ce raisonnement aux liqueurs qui mouillent certains corps, & n’en peuvent mouiller d’autres : car lorsque les parties des liqueurs ont leurs surfaces telles qu’elles peuvent s’appliquer plus immédiatement à la surface des corps qu’elles touchent, elles y adherent, & y sont comme collées, soûtenues d’ailleurs par la pression