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osoit faire vomir aussi les phthisiques, & même avec de l’ellébore blanc, qui étoit le vomitif ordinaire de ce tems-là, & qui est un remede si féroce. Voyez Ellébore.

En général, les anciens ont mal manié les émétiques ; & cela est arrivé vraissemblablement parce qu’ils n’en avoient que de mauvais, soit qu’ils fussent impuissans, comme la décoction d’hyssope d’Hippocrate ; soit qu’ils fussent d’un emploi très-incommode dans les maladies, comme les raves des méthodiques ; soit enfin qu’ils fussent trop violens, comme l’ellébore blanc de tous les anciens.

Les médecins modernes au contraire, sont très habiles dans l’administration des vomitifs, qui sont devenus entre leurs mains le remede le plus général, le plus efficace, & en même tems le plus sûr de tous ceux que la médecine emploie ; & il est vraissemblable que leur pratique prevaut en ce point sur la pratique ancienne, par l’avantage qu’a la pharmacie moderne d’avoir été enrichie de plusieurs émétiques très-efficaces, mais en même tems sûrs & innocens. Quoi qu’il en soit, le très-fréquent usage que les médecins modernes font des émétiques, peut être considéré, & même doit l’être (pour être apprécié avec quelque ordre), par rapport aux incommodités ou indispositions légeres, par rapport aux maladies aiguës, & par rapport aux maladies chroniques.

Au premier égard, il est sûr que toutes les indispositions dépendantes d’un vice des digestions, & principalement d’un vice récent de cette fonction, que toutes ces indispositions, dis-je, sont très-efficacement, très-directement, & même très-doucement combattues par le vomissement artificiel ; & notamment que la purgation ordinaire, c’est-à-dire la purgation par en-bas, qu’on n’emploie que trop souvent au lieu du vomissement, est inférieure à ce dernier secours à plusieurs titres.

Premierement une médecine glisse souvent sur les glaires & les autres impuretés qui sont les principales causes matérielles de ces sortes d’indispositions, & par conséquent ne les enlevent point ; au lieu que les émétiques les enlevent infailliblement, & leur action propre est même ordinairement suivie d’une évacuation par les selles qui acheve l’évacuation de toutes les premieres voies.

2°. Les potions purgatives sont souvent rejettées ou vomies par un estomac impur, & cela sans qu’elles entraînent qu’une très-petite portion des matieres viciées contenues dans ce viscere, & dès-lors c’est un remede donné à pure perte.

3°. L’action d’un émétique usuel, est plus douce que l’action d’une médecine ordinaire, au moins elle est beaucoup plus courte, & elle a des suites moins fâcheuses. On éprouve pendant le vomissement, il est vrai, des angoisses qui vont quelquefois jusqu’à l’évanouissement, & quelques secousses violentes ; mais ces secousses & ces angoisses ne sont point dangereuses, & elles ne sont que momentanées ; & enfin après l’opération d’un émétique, qui est communément terminée en moins de deux heures, le sujet qui vient de l’essuyer n’est point affoibli, n’est point fatigué, ne souffre point une soif importune, ne reste point exposé à une constipation incommode ; au lieu que celui qui a pris une médecine ordinaire, est tourmenté toute la journée, éprouve des foiblesses lors même qu’il n’éprouve point de tranchées, souffre après l’opération du remede une soif toujours incommode, est foible encore le lendemain, est souvent constipé pendant plusieurs jours.

4°. Enfin une médecine ordinaire est communément un breuvage détestable, & un émétique, même doux, peut être donné dans une liqueur insipide ou agréable, dont elle n’altere point le goût.

Quant à la méthode plus particuliere encore aux modernes de prescrire des émétiques au commencement de presque toutes les maladies aiguës, l’expérience lui est encore très-favorable.

Ce remede, qu’on donne ordinairement après le premier, ou tout au plus après le second redoublement, & qu’on a coutume de faire précéder par quelques saignées, a l’avantage singulier d’exciter la nature sans troubler ses déterminations, sans s’opposer à sa marche critique ; en ébranlant au contraire également tous les organes excrétoires, au lieu de faire violence à la nature en la sollicitant d’opérer par un certain couloir l’évacuation critique que dès le commencement de la maladie elle avoit destinée à un autre ; ce qui est l’inconvénient le plus grave de l’administration prématurée des évacuans réels & proprement dits.

L’emploi de ce remede dans le cours d’une maladie aiguë, ou dans d’autres tems que dans le commencement, demande plus d’attention & plus d’habileté de la part du médecin, parce que cet emploi est moins général, & que l’indication de réveiller par une secousse utile les forces de la nature qui paroît prête à succomber dans sa marche, & cela sans risquer de les épuiser, parce que cette indication, dis-je, ne peut être saisie que par le praticien le plus consommé ; il est même clair à présent que c’est faute d’avoir su choisir ce tems de la maladie, & juger sainement de l’état des forces du malade, que les émétiques réussissoient quelquefois si mal lorsqu’on ne les donnoit que dans les cas presque désespérés, & à titre de ces secours douteux qu’il vaut mieux tenter dans ces cas, selon la maxime de Celse, que de n’en tenter aucun, comme il le fait encore dans les angines suppurées, par exemple. Au reste, ces cas où l’on peut donner l’émétique avec succès dans les cours des maladies aiguës, peuvent être naturellement ramenés au cas vulgaire de leurs emplois dans le commencement des maladies ; car c’est précisément lorsqu’une nouvelle maladie survient, ou commence dans le cours d’une autre maladie, que l’émétique convient éminemment. Or ce cas d’une maladie aiguë entée sur une autre fort peu observé par la foule des médecins, est un objet très-intéressant, & soigneusement observé par les grands maîtres ; & cet état se détermine principalement par la nouvelle doctrine du pouls. Voyez Pouls (Médecine.)

On voit clairement par cette maniere dont nous envisageons l’utilité des émétiques dans les maladies aiguës, que nous ne l’estimons point du tout par l’évacuation qu’il procure ; il paroît en effet que c’est un bien très-subordonné, très-secondaire, presqu’accidentel, que celui qui peut résulter de cette évacuation ; aussi quoique les malades, les assistans & quelques médecins n’apprécient le bon effet des émétiques que par les matieres qu’ils chassent de l’estomac, on peut assurer assez généralement que c’est à peine comme évacuant que ce remede est utile dans le traitement des maladies aiguës.

En effet, on observe que l’efficacité de ce remede est à-peu-près la même dans ce cas, soit que l’action de vomir soit suivie d’une évacuation considérable, soit qu’elle ne produise que la sortie de l’eau qu’on a donnée au malade, devenue mousseuse & un peu colorée ; ce qui est précisément l’événement le plus fréquent, & celui sur lequel les artistes les plus expérimentés doivent toujours compter. Il faut observer encore à ce sujet, que quand même on pourroit procurer quelquefois par l’émétique une évacuation utile, ce ne pourroit jamais être qu’à la fin ou dans le tems critique de la maladie, & dans le cas très rare où la nature prépareroit une crise par les couloirs de l’estomac, & jamais dans le commencement des maladies aiguës ; tems auquel nous avons dit que