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ses certaines : Socin ajoute pour modifier son opinion, que si les choses étoient de conséquence, on pourroit jurer.

Qu’un chrétien ne peut exercer l’office de magistrat, si dans cet emploi il faut user de violence.

Que les chrétiens ne peuvent donner cet office à qui que ce soit.

Qu’il n’est pas permis aux Chrétiens de défendre leur vie, ni celle des autres par la force même contre les voleurs & les autres ennemis, s’ils peuvent la défendre autrement ; parce qu’il est impossible que Dieu permette qu’un homme véritablement pieux, & qui se confie à lui avec sincérité, se trouve dans ces fâcheuses rencontres où il veuille se conserver aux dépens de la vie du prochain.

Que le meurtre que l’on fait de son aggresseur est un plus grand crime que celui qu’on commet en se vengeant ; car dans la vengeance on ne rend que la pareille ; mais ici, c’est-à-dire, en prévenant son voleur ou son ennemi, on tue un homme qui n’avoit que la volonté de faire peur, afin de voler plus aisément.

Que les ministres, les prédicateurs, les docteurs, & autres, n’ont pas besoin de mission ni de vocation.

Que ces paroles de S. Paul, comment pourront-ils prêcher si on ne les envoye, ne s’entendent pas de toutes sortes de prédications, mais seulement de la prédication d’une nouvelle doctrine, telle qu’étoit celle des apôtres par rapport aux Gentils.

Les Sociniens agissent en conséquence ; car dans leurs assemblées de religion, tous les assistans ont la liberté de parler. Un d’entre eux commence un chapitre de l’Ecriture, & quand il a lu quelques versets qui forment un sens complet, celui qui lit & ceux qui écoutent, disent leur sentiment s’ils le jugent à propos sur ce qui a été lu ; c’est à quoi se réduit tout leur culte extérieur.

Je finis ici l’exposé des opinions théologiques des Unitaires : je n’ai pas le courage de les suivre dans tous les détails où ils sont entrés sur la maniere dont le canon des livres sacrés a été formé ; sur les auteurs qui les ont recueillis ; sur la question s’ils sont véritablement de ceux dont ils portent les noms ; sur la nature des livres apocryphes, & sur le préjudice qu’ils causent à la religion chrétienne ; sur la pauvreté & les équivoques de la langue hébraïque ; sur l’antiquité, l’utilité, & la certitude de la massore ; sur l’infidélité & l’inexactitude de la plûpart des versions de l’Ecriture ; sur les variétés de lecture qui s’y trouvent ; sur la fréquence des hébraïsmes que l’on rencontre dans le nouveau Testament ; sur le style des apôtres ; sur la précaution avec laquelle il faut lire les interpretes & les commentateurs de la Bible ; sur la nécessité de recourir aux originaux pour ne pas leur donner un sens contraire au sujet des écrivains sacrés ; en un mot, sur plusieurs points de critique & de controverse, essentiels à la vérité, mais dont la discussion nous meneroit trop loin. Il me suffit d’avoir donné sur les objets les plus importans de la Théologie, une idée générale de la doctrine des Sociniens, extraite de leurs propres écrits. Rien n’est plus capable, ce me semble, que cette lecture, d’intimider desormais ceux qui se sont éloignés de la communion romaine, & qui refusent de reconnoître un juge infaillible de la foi ; je ne dis pas dans le pape, car ce seroit se déclarer contre les libertés de l’église gallicane, mais dans les conciles généraux présidés par le pape.

Après avoir prouvé par l’exemple des Unitaires la nécessité de recourir à un pareil juge pour décider les matieres de foi, il ne me reste plus pour exécuter le plan que je me suis proposé, qu’à donner un abrégé succint de la philosophie des Sociniens ; on y

trouvera de nouvelles preuves des écarts dans lesquels on donne, lorsqu’on veut faire usage de sa raison, & l’on verra que cette maniere de philosopher n’est au fond que l’art de décroire, si l’on peut se servir de ce terme. Entrons présentement en matiere ; & pour exprimer plus nettement les pensées de nos hérétiques, suivons encore la même méthode dont nous avons fait usage dans l’exposé précédent.

Socin & ses sectateurs reconnoissent unanimement un Dieu, c’est-à-dire, un être existant par lui-même, unique, nécessaire, éternel, universel, infini, & qui renferme nécessairement une infinité d’attributs & de propriétés ; mais ils nient en même tems que cette idée nous soit naturelle & innée[1]. Ils prétendent,

Que ce n’est qu’en prenant le mot Dieu dans ce sens étendu, ou pour parler plus clairement, en établissant un système de forces & de propriétés, comme une idée précise & représentative de sa substance, qu’on peut assurer sans crainte de se tromper, que cette proposition il y a un Dieu, a toute l’évidence des premiers principes ;

Que mieux on connoît toute la force des objections métaphysiques & physiques, toutes plus insolubles les unes que les autres, que l’homme abandonné à ses propres réflexions peut faire contre l’existence de Dieu considéré en tant que distinct du monde, & contre la Providence, plus on est convaincu qu’il est absolument impossible que les lumieres naturelles de la raison puissent jamais conduire aucun homme à une ferme & entiere persuasion de ces deux dogmes. Voyez Dieu.

Qu’il semble au contraire qu’elles le conduiroient plutôt à n’admettre d’autre Dieu que la nature universelle, &c.

Qu’il n’est pas moins impossible à quiconque veut raisonner profondément, de s’élever à la connoissance de l’Etre suprème par la contemplation de ses ouvrages.

Que le spectacle de la nature ne prouve rien, puisqu’il n’est à parler avec précision ni beau ni laid.

Qu’il n’y a point dans l’univers un ordre, une harmonie, ni un desordre, & une dissonnance absolus, mais seulement relatifs, & déterminés par la nature de notre existence pure & simple.

Que s’appliquer à la recherche des causes finales des choses naturelles, c’est le fait d’un homme qui établit sa foible intelligence pour la véritable mesure du beau & du bon, de la perfection & de l’imperfection. Voyez Causes finales.

Que les Physiciens qui ont voulu démontrer l’existence & les attributs de Dieu par les œuvres de la création, n’ont jamais fait faire un pas à la science, & n’ont fait au fond que préconiser sans s’en appercevoir leur propre sagesse & leurs petites vûes.

Que ceux qui ont reculé les bornes de l’esprit humain, & perfectionné la philosophie rationnelle, sont ceux qui, appliquant sans cesse le raisonnement à l’expérience, n’ont point fait servir à l’explication de quelques phénomenes l’existence d’un être dont ils n’auroient su que faire un moment après.

Qu’une des plus hautes & des plus profondes idées qui soient jamais entrées dans l’esprit humain, c’est celle de Descartes, qui ne demandoit pour faire un monde comme le nôtre que de la matiere & du mouvement. Voyez Cartésianisme.

Que pour bien raisonner sur l’origine du monde, & sur le commencement de sa formation, il ne faut recourir à Dieu que lorsqu’on a épuisé toute la série des causes méchaniques & matérielles.

  1. Voyez Socin, prælectionum theologicarum, cap. ij. p. 5370 col. 2. tom. I. & alibi. Voyez aussi Crellius, de Deo & attributis, & sur-tout les Sociniens modernes.