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férer la grace, ni des sceaux de l’alliance qui la confirment, mais de simples marques de profession.

Que le baptême n’est nécessaire ni de nécessité de précepte, ni de nécessité de moyen.

Qu’il n’a pas été institué par Jesus-Christ, & que le chrétien peur s’en passer sans qu’il puisse en résulter pour lui aucun inconvénient.

Qu’on ne doit donc pas baptiser les enfans, ni les adultes, ni en général aucun homme.

Que le baptême pouvoit être d’usage dans la naissance du christianisme à ceux qui sortoient du paganisme, pour rendre publique leur profession de foi, & en être la marque authentique ; mais qu’à présent il est absolument inutile, & tout-à-fait indifférent. Voyez Baptême & Sacremens.

Quant à l’usage de la cene, on doit croire, selon lui, si l’on ne veut donner dans les visions les plus ridicules :

Que le pain & le vin qu’on y prend, n’est autre chose que manger du pain & boire du vin, soit qu’on fasse cette cérémonie avec soi ou non, spirituellement ou corporellement.

Que Dieu ne verse aucune vertu sur le pain ni sur le vin de l’Eucharistie, qui restent toujours les mêmes en nature, quoi qu’en puissent dire les Transubstantiateurs. Voyez Transubstantiation.

Que l’usage de faire cette manducation orale seul au nom de tous, ou avec les fideles assemblés qui y participent, n’est institué que pour l’action de grace, qui se peut très-bien faire sans cette formule ; en un mot, que la cene n’est point un sacrement.

Qu’elle n’a point d’autre fin que de nous rappeller la mémoire de la mort de Jesus-Christ, & que c’est une absurdité de penser qu’elle nous procure quelques nouvelles graces, ou qu’elle nous conserve dans celles que nous avons. Voyez Eucharistie & Cene.

Qu’il en est de même des autres cérémonies auxquelles on a donné le nom de sacremens.

Qu’on peut, sans craindre de s’écarter de la vérité, en rejetter la pratique & l’efficace.

Que pour le mariage, il ne devroit être chez tous les peuples de la terre qu’un contrat purement civil.

Que ce n’est même qu’en l’instituant comme tel, par un petit nombre de lois sages & invariables, mais toujours relatives à la constitution politique, au climat & à l’esprit général de la nation à laquelle elles seront destinées, qu’on pourra par la suite réparer les maux infinis en tout genre que ce lien considéré comme sacré & indissoluble, a causé dans tous les états où le christianisme est établi. Voyez Mariage & Population.

IV. Quatrieme pas : sur l’éternité des peines & la résurrection. Nous venons de voir Socin faire des efforts aussi scandaleux qu’inutiles & impies, pour détruire l’efficace, la nécessité, la validité & la saintété des sacremens. Nous allons voir dans ce paragraphe ses sectateurs téméraires marcher aveuglément sur ses dangereuses traces, & passer rapidement de la réjection des sacremens à celle de l’éternité des peines & de la résurrection, dogmes non moins sacrés que les précédens, & sur lesquels la plûpart des Unitaires admettent sans détour le sentiment des Origénistes & des Sadducéens, condamné il y a long-tems par l’Eglise. Pour montrer à quel point cette secte héterodoxe pousse la liberté de penser, & la fureur d’innover en matiere de religion, je vais traduire ici trois ou quatre morceaux de leurs ouvrages sur le sujet en question. Ce sera une nouvelle confirmation de ce que j’ai dit ci-dessus de la nécessité d’un juge dépositaire infaillible de la foi, & en même tems une terrible leçon pour ceux qui ne voudront pas captiver leur entendement sous l’obéissance de la foi, captivantes intellectam ad obsequium fidei,

pour me servir des propres termes de S.

Paul. Mais écoutons nos hérétiques réfractaires.

« Il est certain, disent-ils, que de toutes les idées creuses, de tous les dogmes absurdes & souvent impies que les théologiens catholiques & protestans ont avancés comme autant d’oracles célestes, il n’y en a peut-être point, excepté la Trinité & l’Incarnation, contre lesquels la raison fournisse de plus fortes & de plus solides objections que contre ceux de la résurrection des corps & l’éternité des peines. La premiere de ces opinions n’est à la vérité qu’une rêverie extravagante, qui ne séduira jamais un bon esprit, quand il n’auroit d’ailleurs aucune teinture de physique expérimentale ; mais la seconde est un blaspheme dont tout bon chrétien doit avoir horreur. Juste ciel ! quelle idée faudroit-il avoir de Dieu, si cette hypothèse étoit seulement vraissemblable ? Comment ces ames de pierre, qui osent déterminer le degré & la durée des tourmens que l’être suprème infligera, selon eux, aux pécheurs impénitens, peuvent-ils, sans trembler, annoncer ce terrible arrêt ? de quel droit & à quel titre se donnent-ils ainsi l’exclusion, & s’exemptent-ils des peines dont ils menacent si inhumainement leurs freres ? Qui leur a dit à ces hommes de sang qu’ils ne prononçoient pas eux-mêmes leur propre condamnation, & qu’ils ne seroient pas un jour obligés d’implorer la clémence & la miséricorde infinies de cet être souverainement bon qu’ils représentent aujourd’hui comme un pere cruel & implacable, qui ne peut être heureux que par le malheur & le supplice éternels de ses enfans ? Je ne débattrai point à toujours, & je ne serai point indigné à jamais, dit Dieu dans Isaïe. Après un texte aussi formel, & tant d’autres aussi décisifs que nous pourrions rapporter, quels sont les théologiens assez insensés pour se déclarer encore en faveur d’une opinion qui donne si directement atteinte aux attributs les plus essentiels de la divinité, & par conséquent à son existence ? Comment peut-on croire qu’elle punisse éternellement des péchés qui ne sont point éternels & infinis, & qu’elle exerce une vengeance continuelle sur des êtres qui ne peuvent jamais l’offenser, quelque chose qu’ils fassent ? Mais en supposant même que l’homme puisse réellement offenser Dieu, proposition qui nous paroit aussi absurde qu’impie, quelle énorme disproportion n’y auroit-il pas entre des fautes passageres, un désordre momentané, & une punition éternelle ? Un juge équitable ne voudroit pas faire souffrir des peines éternelles à un coupable pour des péchés temporels & qui n’ont duré qu’un tems. Pourquoi donc veut-on que Dieu soit moins juste & plus cruel que lui ? D’ailleurs, comme le dit très-bien un[1] auteur célebre, un tourment qui ne doit avoir aucune fin ni aucun relâche, ne peut être d’aucune utilité à celui qui le souffre, ni à celui qui l’inflige ; il ne peut être utile à l’homme, s’il n’est pas pour lui un état d’amélioration, & il ne peut l’être, s’il ne reste aucun lieu à la repentance, s’il n’a ni le tems de respirer, ni celui de réfléchir sur sa condition. L’éternité des peines est donc de tout point incompatible avec la sagesse de Dieu, puisque dans cette hypothèse il seroit méchant uniquement pour le plaisir de l’être. Voyez la collect. des freres Polonois.

  1. Le hasard m’a fait découvrir que c’est de Thomas Burnet dont il est ici question ; car en lisant un de ses ouvrages, j’y ai trouvé le passage cité ici par les Sociniens. Neque Deo, neque homini prodesse potest cruciatus indefiniens & sine exitu ; non utique homini si nullus locus sit respiscentiæ, meliorescere possit panitus, si nulla intermissio, aut levamen ad respirandum paulisper, & deliberandum de anime & sorte mutandis. Thom. Burnet de stat. mortuor. & resurg. cap. xi. p. 240.