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dues, imputoient elles-mêmés des fautes d’inadvertance à ceux qui les avoient fait dresser. Avec un peu d’habitude de penser & d’écrire, on n’agraveroit pas au-moins ses fautes, en les avouant sans s’en appercevoir. Qu’il nous soit permis de citer ici une relation qui nous a paru répondre à la beauté de l’action ; c’est celle de la bataille de Berghen.

Il est du devoir du victorieux après la bataille, de retirer les blessés du champ de bataille, de les faire conduire dans les hôpitaux, & de veiller à ce qu’ils soient bien traités. On doit avoir également soin de ses soldats & de ceux de l’ennemi ; c’est un devoir que prescrit l’humanité, & qu’on n’a pas besoin de recommander aux généraux françois. On fait aussi enterrer les morts le lendemain de la bataille, afin qu’ils n’infectent point l’air par leur corruption.

Pendant que les gens commandés pour cette opération y procédent, on suit l’ennemi, & on le fait harceler autant qu’on le peut par différens détachemens de l’armée qui le poursuivent, jusqu’à ce qu’il ait pris quelque position où il soit dangereux de le forcer.

Ce qui doit caractériser une victoire complette & en être la suite, c’est l’attaque des places de l’ennemi. Le gain de plusieurs victoires, dit M. le chevalier de Folard, ne sert de rien, s’il n’est suivi de la prise des forteresses ennemies. Ce n’est que par-là qu’on peut compter sur un établissement solide dans le pays ennemi, sans quoi une seule défaite peut faire perdre les avantages de plusieurs victoires.

Quel que soit le brillant d’une victoire, on ne doit pas s’en laisser éblouir, & se livrer à ce qu’elle a de flateur, sans songer aux suites d’une défaite.

Polybe fait sur ce sujet les réfléxions suivantes, par lesquelles nous terminerons cet article.

« La plûpart des généraux & des rois, dit cet auteur célebre, lorsqu’il s’agit de donner une bataille générale, n’aiment à se représenter que la gloire & l’utilité qu’ils tireront de la victoire ; ils ne pensent qu’à la maniere dont ils en useront avec chacun, en cas que les choses réussissent, selon leurs souhaits : jamais ils ne se mettent devant les yeux les suites malheureuses d’une défaite ; jamais ils ne s’occupent de la conduite qu’ils devront garder dans les revers de fortune ; & cela parce que l’un se présente de soi-même à l’esprit, & que l’autre demande beaucoup de prévoyance. Cependant cette négligence à faire des réfléxions sur les malheurs qui peuvent arriver, a souvent été cause que des chefs, malgré le courage & la valeur des soldats, ont été honteusement vaincus, ont perdu la gloire qu’ils avoient acquise par d’autres exploits, & ont passé le reste de leurs jours dans la honte & dans l’ignominie. Il est aisé de se convaincre, qu’il y a un grand nombre de généraux qui sont tombés dans cette faute, & que c’est aux soins de l’éviter, que l’on reconnoît sur-tout combien un homme est différent d’un autre. Le tems passé nous en fournit une infinité d’exemples ». Hist. de Polybe, liv. XI. ch. j. Voyez Bataille, Guerre & Retraite. (Q)

Victoire actiaque, (Hist. rom.) actiaca victoria ; victoire qu’Auguste, ou pour mieux dire son général, remporta sur Marc-Antoine auprès du cap de la ville d’Actium. Ce prince pour rendre recommandable à la postérité la mémoire de cet événement, fit bâtir la ville de Nicopolis. Il agrandit le vieux temple d’Apollon, où il consacra les rostres des navires ennemis ; enfin il y augmenta la magnificence des jeux solemnels nommés actiaques, qui se donnoient de cinq ans en cinq ans à la maniere des jeux olympiques.

Victoire, jeux. de la, (Antiq. greq. & rom.) on appelloit jeux de la victoire, les jeux publics célébrés aux réjouissances faites à l’occasion d’une victoire.

Les auteurs grecs les nomment ἐπινίκιοι ἀγῶνες, les jeux de la victoire, ou ἐπινίκιος ἑορτὴ, féte de la victoire, & les inscriptions latines ludos victoriæ. Les Romains à l’imitation des Grecs, célebrerent les fêtes & les jeux de la victoire, qui se faisoient d’abord après les jeux capitolins, Auguste après la bataille d’Actium, Septime Severe après la défaite de Pescenius Niger. La ville de Tarse fit frapper à cette occasion des médaillons sur lesquels on voit les symboles des jeux publics, & l’inscription greque qui signifioit jeux de la victoire, célébrés en l’honneur de Septime Severe, sur le modele des jeux olympiques de la Grece.

L’an 166, Lucius Vérus revint à Rome de son expédition contre les Parthes, le sénat lui décerna, & à Marc-Aurele, les honneurs du triomphe ; les deux empereurs firent leur entrée triomphante dans Rome, vers le commencement du mois d’Août de la même année ; la cérémonie fut suivie de jeux & de spectacles magnifiques, du nombre desquels furent les jeux de la victoire ἐπινίκια, mentionnes sur le marbre de Cyzique. On éleva dans Rome plusieurs monumens, en mémoire des victoires des armées romaines sur les Parthes. Les médailles nous en ont conservé la plûpart des desseins, je n’en rappelle qu’un seul gravé au revers d’un beau médaillon de bronze, de Lucius Verus ; ce prince y est représenté offrant la victoire à Jupiter Capitolin, & couronné par la ville de Rome. La célebration des jeux fut de la derniere magnificence ; un pancratiaste Corus y combattit, & y gagna un prix en or. La ville de Thessalonique fit graver sur ses monnoies les symboles des jeux de la victoire, qui furent célébrés en réjouissance des victoires que Gordien Pie remporta sur les Perses. Nous avons un marbre de Cyzique qui nous apprend qu’on célébra à Rome des jeux de la victoire, sous le regne de Marc-Aurele. (D. J.)

Victoire, (Mythol. & Litterat.) les Grecs personifierent la Victoire, & en firent une divinité qu’ils nommerent νίκη ; Varron la donne pour fille du Ciel & de la Terre ; mais Hésiode avoit eu une idée plus ingénieuse, en la faisant fille du Styx & de Pallante. Tous les peuples lui consacrerent des temples, des statues & des autels.

Les Athéniens érigerent dans leur capitale un temple à la Victoire, & y placerent sa statue sans aîles, afin qu’elle ne pût s’envoler hors de leurs murs ; ainsi que les Lacédémoniens avoient peint Mars enchaîné, afin, dit Pausanias, qu’il demeurât toujours avec eux. A ce même propos, on lit dans l’Anthologie, deux vers qui sont écrits sur une statue de la Victoire, dont les aîles furent brûlées par un coup de foudre. Voici le sens de ces vers. « Rome, reine du monde, ta gloire ne sauroit périr, puisque la Victoire n’ayant plus d’aîles, ne peut plus te quitter ».

Les Romains lui bâtirent le premier temple durant la guerre des Samnites, sous le consulat de L. Posthumius, & de M. Attilius Régulus. Ils lui dédierent encore, selon Tite-Live, un temple de Jupiter très-bon, après la déroute de Cannes, pour se la rendre propice ; enfin dans le succès de leurs armes contre les Carthaginois & les autres peuples, ils multiplierent dans Rome, & dans toute l’Italie le nombre des autels à sa gloire. Sylla victorieux, établit des jeux publics en l’honneur de cette divinité.

On la représentoit ordinairement comme une jeune déesse avec des aîles, tenant d’une main une couronne de laurier, & de l’autre une palme ; quelquefois elle est montée sur un globe, pour apprendre qu’elle domine sur toute la terre. Domitien la fit représenter avec une corne d’abondance. Les Egyptiens la figuroient sous l’emblème d’un aigle, oiseau toujours victorieux dans les combats qu’il livre aux autres oiseaux.