L’Encyclopédie/1re édition/BATAILLE

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* BATAILLE, COMBAT, ACTION, Gramm. La bataille est une action plus générale, & ordinairement précédée de préparations : le combat est une action plus particuliere, & moins prévûe. On peut dire que la bataille de Pharsalles & le combat des Horaces & des Curiaces sont des actions bien connues. Ainsi action semble le genre, & bataille & combat des especes : bataille a rapport aux dispositions, & combat à l’action : on dit l’ordre de bataille, & la chaleur du combat ; combat se prend au figuré, bataille ne s’y prend point. On ne parleroit point mal, en disant, il s’est passé en-dedans de moi un violent combat entre la crainte de l’offenser, & la honte de lui céder ; mais il seroit ridicule d’employer en ce sens le terme de bataille ; celui d’action ne convient pas davantage.

Bataille, s. f. (Ordre encycl. Entend. Raison, Philos. ou Science, Science de la nat. Mathématique, Mathématiques pures, Géométrie, Tactique.) c’est dans l’Art militaire, une action générale entre deux armées rangées en bataille, qui en viennent aux mains dans une campagne assez vaste pour que la plus grande partie puisse combattre. Les autres actions des troupes, quoique souvent plus meurtrieres que les batailles, ne doivent, selon M. de Feuquieres, se nommer que des combats.

Ainsi, suivant cet officier, l’attaque d’un poste ou d’un village retranché, ne doit point s’appeller bataille, mais un combat. Voyez Ordre de bataille & Armée.

Une bataille perdue est celle dans laquelle on abandonne le champ de bataille à l’ennemi, avec les morts & les blessés. Si l’armée se retire en bon ordre avec son artillerie & ses bagages, le fruit de la bataille se borne quelquefois à avoir essayé ses forces contre l’ennemi, & au gain du champ de bataille : mais si l’armée battue est obligée d’abandonner son canon & de se retirer en desordre, elle n’est plus en état de reparoître devant l’ennemi qu’elle n’ait réparé ses pertes ; il se trouve par là maître de la campagne, & en état d’entreprendre des siéges : c’est cette suite qui décide ordinairement du succès des batailles, dont il n’est pas rare de voir les deux partis s’attribuer l’avantage.

Un grand combat perdu, dit M. de Feuquieres, quoique plus sanglant qu’une bataille, emporte rarement la perte de toute l’artillerie, & presque jamais celle des bagages ; parce que les armées n’ayant pû s’aborder par leur front, il est certain qu’elles n’ont pû souffrir que dans la partie qui a combattu ; & que quoique pour attaquer ou pour soûtenir on ait successivement été obligé de se servir de nouvelles troupes tirées du front qui ne pouvoient combattre, l’action n’ayant pû cependant devenir générale, elle n’a pû produire qu’une plus grande ou moindre perte d’hommes, sans influer si absolument sur la suite d’une campagne & sur la décision pour la supériorité, que le peut faire une bataille rangée : elle ne peut produire ni la perte générale des bagages, ni celle de l’artillerie, mais seulement ce qui peut s’en être trouvé sur le terrein où les troupes ont combattu. Mémoires de Feuquieres.

Il suit de là qu’un général qui craint de se commettre avec un ennemi en rase campagne, doit chercher des postes de chicane, où sans faire agir toute son armée, il puisse attaquer l’ennemi sans s’exposer au hasard de perdre une bataille. Mais il faut convenir que si par ces especes de batailles on ne se met pas en danger d’être battu entierement, on ne peut non plus battre entierement l’ennemi, & l’empêcher de reparoître après le combat comme avant, pour s’opposer aux entreprises qu’on peut former.

L’histoire des batailles n’est proprement que l’histoire des défauts & des bévues des généraux : mais il est heureusement assez ordinaire que les méprises des deux généraux opposés se compensent réciproquement. L’un fait une fausse démarche ; l’autre ne s’en apperçoit pas, ou il n’en sait tirer aucun avantage : de-là il n’en résulte aucune conséquence fâcheuse.

Les Mémoires de M. de Feuquieres sur la guerre, ne sont, pour ainsi dire, qu’un récit des inadvertances & des fautes des deux partis : à peine fait-il mention d’un seul général, excepté Turenne, le grand Condé & Luxembourg, dont la conduite soit autre chose qu’un tissu continuel de fautes. Créqui & Catinat, en certaines occasions, en faisoient de grandes, selon ce même officier, mais ils savoient les compenser par une conduite judicieuse en d’autres occasions. M. le chevalier de Folard trouve aussi très-peu de généraux dont la réputation soit nette à tous égards. Le marquis de Feuquieres, dont la grande capacité dans la guerre paroît par ses Mémoires, eût été un général du premier ordre, dit M. de Folard, s’il eût plû à certaines gens, à qui son mérite faisoit ombrage, de s’empresser un peu moins à travailler à sa disgrace & à le perdre dans l’esprit du roi, après l’avoir gâté dans l’esprit du ministre ; ce qui fit perdre à ce prince un des meilleurs & des plus braves officiers généraux de ses armées, & qui le servoit mille fois mieux & avec plus de courage & d’intelligence que ses indignes ennemis.

Maniere de disposer les troupes dans une bataille rangée. Lorsqu’on a formé le dessein d’aller à l’ennemi, & qu’on est à portée de le pouvoir combattre, « il faut disposer les troupes pour arriver devant lui en bataille, sur deux lignes : l’infanterie au centre, & la cavalerie sur les ailes, si le terrein le permet ; parce qu’il y a des pays si coupés & si fourrés, qu’il faut mettre des brigades d’infanterie ou de dragons aux flancs de la droite & de la gauche, pour empêcher l’ennemi d’en approcher. Il y a d’autres situations partagées par des plaines & des buissons, où l’on place dans les intervalles d’infanterie, des escadrons pour la soûtenir & profiter du terrein que l’on veut disputer.

Quand il y a de la difficulté à pénétrer l’ennemi, & que l’on veut emporter un poste, forcer une droite, une gauche, ou le centre, on doit disposer les troupes de maniere, qu’elles se présentent également de toutes parts à l’ennemi, pendant que le plus fort de l’armée arrive en colonne sur l’endroit que l’on veut pénétrer, qu’on attaque vivement & sans relâche. Un ennemi qui n’est point prevenu de cette disposition, se trouve bien-tôt renversé par un nombre supérieur, & on le poursuit avec ordre, pour achever de le mettre en déroute.

Il y a d’autres situations qu’il faut absolument rechercher avant d’attaquer l’ennemi. S’il est posté dans des pays fourrés & coupés de haies & de fossés, où son infanterie peut avoir beaucoup d’avantage, il faut le tourner ou le déplacer, de maniere que la cavalerie sur laquelle on compte beaucoup, puisse agir & partager le mérite d’une action, qu’il vaut mieux différer quelque tems, que de s’exposer à la manquer. Lorsque le général a des troupes de confiance à la droite, & qu’il connoît que le terrein de la gauche de son champ de bataille est avantageux pour les y faire combattre, il doit les y porter, & mettre à la droite les troupes de la gauche : ce sont des dispositions qu’il faut faire quelquefois ; pour mieux s’opposer aux forces de l’ennemi, suivant l’avantage que la situation du lieu donne, & le projet que le général forme pour attaquer ; c’est de quoi le coup d’œil décide.

Il faut autant qu’il est possible, avoir un corps de reserve composé de bonnes troupes, cavalerie & infanterie. La cavalerie doit être en troisieme ligne en bataille, derriere le centre de l’infanterie de la seconde ligne, pour être en état de se porter où elle seroit utile, sans rien déplacer de la seconde ligne ; il faut dérober, s’il est possible, à l’ennemi la connoissance de cette disposition. Dans le moment que la premiere ligne s’ébranle pour combattre, on fait aussitôt passer les bataillons de la réserve par les intervalles de la cavalerie de la seconde ligne, pour se porter brusquement dans les intervalles des escadrons de la premiere, en joignant l’escadron le plus proche de la droite & de la gauche de l’infanterie de cette ligne. Suivant cette disposition, qui peut être inconnue à l’ennemi, on peut par le feu de l’infanterie, mettre un grand desordre dans sa cavalerie, lorsqu’elle vient au coup de main. Si l’infanterie reste dans la même disposition, elle favorise toûjours le retour de la cavalerie, ou elle marche pour attaquer en flanc l’infanterie ennemie de la premiere ligne qu’elle déborderoit.

Il faut observer, en mettant en bataille la premiere ligne, de laisser aux deux ailes de cavalerie des intervalles assez spacieux pour ne rien déplacer devant l’ennemi, lorsque l’infanterie de la réserve vient s’y porter. Le général doit faire reconnoître de fort près les flancs de l’armée ennemie pour les déborder, les entamer, & les replier sur le centre, rien n’est plus avantageux, & ne décide plus promptement de la victoire ; l’ennemi ne peut plus s’étendre, ni disposer du terrein dont il étoit le maître, il s’y voit resserré : les troupes n’y combattent plus qu’avec contrainte, ne se reconnoissant plus dans la mêlée, & ne cherchent qu’à se faire jour pour se sauver.

Lorsqu’on a pénétré la ligne par quelque endroit, il est très à propos de faire avancer dans le même moment des troupes de la seconde ligne, s’il n’y en a pas du corps de réserve qui soient à portée pour partager l’ennemi, & profiter de cet avantage par la supériorité, sans quoi on lui donne le tems de se rallier & de réparer les desordres où il se trouve. Il faut absolument conserver un grand ordre dans tous les avantages que l’on remporte, afin d’être plus en état de jetter la terreur dans les troupes ennemies, & empêcher leur ralliement ; la disposition doit être faite de maniere, que si la premiere ligne étoit pénétrée, la seconde puisse la secourir, observant toûjours les intervalles nécessaires pour faire agir les troupes, & les former derriere celles qui seront en ordre : on doit attaquer la bayonnette au bout du fusil, les troupes qui ont pénétré la premiere ligne, les prendre de front, & par leurs flancs, afin de les renverser, & remplir à l’instant le même terrein qu’elles occupoient ; c’est dans des coups si importans, que les officiers généraux les plus proches doivent animer par leur présence cette action, & faire couler des troupes de ce côté-là, pour les former sur plusieurs lignes, & rendre inutile l’entreprise de l’ennemi. Un général a bien lieu d’être content des officiers qui ont prévenu & arrêté ce premier desordre par leur diligence & leur valeur.

Il faut que le corps de réserve soit à portée de remplacer les troupes aux endroits où elles auront été prises, afin que l’ennemi ne voie rien de dérangé, & qu’il trouve par-tout le bon ordre & la même résistance.

Les commandans des régimens doivent avoir des officiers sur les ailes & au centre, pour contenir les soldats, & les avertir, que le premier qui se dérangera de sa troupe pour fuir ou autrement, sera tué sur le champ, afin que personne ne puisse sortir de son rang : avec cette précaution, on se présente toûjours à l’ennemi avec beaucoup d’ordre.

Dans un jour de bataille, le poste du général ne doit pas être fixé ; il est obligé de se porter dans les endroits où sa présence est utile, soit pour surprendre l’ennemi par quelques attaques, soit pour secourir une droite, une gauche ou le centre, qui commenceroient à s’ébranler ; ou faire avancer des troupes pour réparer ce qui seroit dérangé, parcourir la premiere ligne, y animer les troupes, & en même tems jetter le coup d’œil sur les forces & la situation de l’ennemi, pour en découvrir le foible, & en profiter par des détachemens que l’on fait marcher.

Tous les lieutenans généraux & maréchaux de camp doivent être aux postes marqués par l’ordre de bataille, pour conduire les troupes des ailes & du centre de l’armée ; les brigadiers à la tête de leurs brigades pour les faire mouvoir suivant les ordres qu’ils en reçoivent, ou l’occasion ; & lorsque dans l’action ils sont partagés par un mouvement brusque de l’ennemi, ils doivent prendre sur le champ le parti de se faire jour, rejoindre leurs troupes, ou de se jetter dans quelque poste, pour empêcher l’ennemi de pénétrer plus loin : par ces démarches hardies & faites à propos, on répare le desordre qui peut être arrivé.

Le major général de l’infanterie, ses aides-majors, le maréchal-de-logis de l’armée, de la cavalerie, des dragons, & le major de l’artillerie, doivent tous suivre le général pour porter ses ordres, & les faire exécuter promptement ; le capitaine des guides doit aussi l’accompagner pour conduire les troupes, & lui expliquer la situation du pays. Les colonels, lieutenans-colonels, majors de brigades, aides-majors des régimens, doivent tous avoir une grande attention de se tenir à leur troupe, & de faire observer un grand silence pour bien entendre le commandement, & le faire exécuter dans l’instant même. C’est une chose essentielle pour bien combattre l’ennemi & le prévenir dans ses démarches.

Dans le tems même que l’on fait une disposition pour combattre, tout le canon de l’armée doit se placer par brigade devant la premiere ligne, & autant qu’il est possible devant l’infanterie aux endroits les plus élevés, pour faire feu sur tout le front de l’armée ennemie. Lorsque toutes les lignes s’ébranlent pour charger, l’on peut se servir de petites pieces dans les intervalles de l’infanterie, pour faire des décharges à portée de l’ennemi, & rompre son premier rang ; après cette décharge, les officiers d’artillerie les font rentrer aussi-tôt dans l’intervalle des deux lignes, pour les faire recharger, & les avancer lorsqu’on leur ordonne.

Il est très-important que les officiers généraux expliquent à ceux qui commandent les troupes sous eux, ce qu’ils doivent faire pour attaquer l’ennemi, suivant la disposition que le général a réglée, afin que dans une affaire de cette conséquence, tout agisse & soit animé du même esprit, & qu’au cas que quelques officiers généraux fussent tués ou blessés, on fût toûjours en état de suivre le même ordre pour combattre. Il faut aussi que l’on sache, en cas de besoin, le lieu de la retraite, & l’ordre pour se rallier de nuit ; ce sont des choses trop importantes pour les oublier.

On doit observer, lorsque les troupes vont au combat, de ne pas permettre que les officiers des régimens détachent des soldats des compagnies pour la garde de leurs équipages ; on y laisse au plus les éclopés, & les valets pour en avoir soin, avec un détachement de l’armée : mais lorsqu’on prévoit une action, il faut absolument renvoyer au moins les gros bagages sous une place, pour ne pas s’affoiblir inutilement ». Observations sur l’Art de faire la guerre suivant les maximes des plus grands généraux.

Le succès des batailles ne dépend pas toûjours de l’habilité du général, & il lui est difficile de se trouver par-tout pour donner les ordres qui peuvent être nécessaires.

« Lorsque deux armées s’ébranlent pour se charger, dit M. le maréchal de Puységur, dans son livre de l’Art de la guerre, que peut faire le général ? courra-t-il le long de la ligne, ou restera-t-il en place ? il n’a pour lors d’autre avantage sur les officiers généraux inférieurs, que celui de commander par préférence les troupes qui sont sous sa main. Pendant ce tems-là on vient lui dire qu’une telle partie de son armée a battu celle de l’ennemi qu’elle avoit en tête, ou bien que sa gauche est en déroute, & que l’infanterie qui la joignoit a ployé. Je demande, dit toûjours l’illustre maréchal de Puységur, quel part ce général peut avoir alors au gain ou à la perte de la bataille ? Cependant pour marquer dans l’histoire la supériorité d’un général sur un autre, on dit qu’il l’a battu en bataille rangée, quoiqu’à dire la vérité, ce soient ces actions-là dans lesquelles le général a le moins de part. Ce sont, il est vrai, les généraux qui choisissent les postes, & qui ordonnent les dispositions pour combattre : mais l’exécution de leur ordre & l’action sont totalement l’affaire des troupes, non-seulement dans des armées également étendues ; mais même dans celles dont les forces sont fort différentes.

Aussi les généraux qui n’ont pas grande ressource dans leur savoir, préferent-ils toûjours les batailles aux autres actions de la guerre, qui donnent moins au hasard & qui demandent plus d’habileté. Au contraire ceux qui sont savans dans la guerre, cherchent par préférence les actions où ils peuvent soûtenir les troupes par leur intelligence & sans se commettre aux évenemens ; ce qu’ils ne peuvent faire que quand les armées ont peu d’étendue, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas trop nombreuses. Art de la guerre par M. le maréchal de Puységur.

M. de Folard pense sur les armées nombreuses, comme le savant maréchal que nous venons de citer. Ces armées innombrables & les évenemens prodigieux qu’elles produisent, plaisent & amusent comme les romans : mais elles instruisent peu les gens de guerre. Il y a par-tout à apprendre dans les petites guerres ; & c’est dans celles-ci uniquement que la science & l’intelligence paroissent le plus particulierement. Il faut même plus de l’une & de l’autre que dans les grandes, dont le nombre fait tout le mérite .... M. de Turenne disoit qu’une armée qui passoit cinquante mille hommes, devenoit incommode au général qui la commandoit, & aux soldats qui la composoient. Rien n’est plus vrai & plus judicieux que cette maxime. Les mauvais généraux cherchent toûjours à réparer par le nombre le défaut de leur courage & de leur intelligence. Ils n’ont jamais assez de troupes quoique l’ennemi en ait moins. Ils épuisent toutes les garnisons d’une frontiere, & les vivres en même tems pour grossir leurs armées, gagner l’avantage du nombre & l’avoir bien au-delà..... S’ils ne font rien avec des forces si supérieures, ils nous font juger que c’est à bon droit qu’ils se défient d’eux-mêmes, qu’ils se rendent justice, & que leur hardiesse n’est pas telle qu’ils la vantoient..... On voit peu de grandes armées qui réussissent lorsqu’on se défend bien : elles se dissipent d’elles-mêmes ; on voit bien-tôt la confusion & le desordre s’y introduire par la faute de paye, par la disette & les maladies : leur propre grandeur entraîne leur ruine. Comment. sur Polybe ».

Suivant la remarque d’un auteur célebre, la perte réelle soufferte dans une bataille, c’est à-dire la mort de quelques milliers d’hommes, n’est pas aussi funeste à l’état que son mal d’opinion, ou le découragement qui l’empêche d’user des forces que la fortune lui a laissées. Considérations sur les causes de la grandeur des Romains, par M. de Montesquieu.

M. de Turenne disoit qu’il estimoit plus un général qui conservoit un pays après une bataille perdue, que celui qui l’avoit gagnée & n’avoit pas sû en profiter. Il avoit raison. Ceux de cette derniere espece ne sont pas rares : apparuit nescire eos victoriâ uti, dit Tite-Live. Mais ceux qui poussent les avantages d’une victoire aussi loin qu’ils peuvent aller, comme M. le Prince & M. de Turenne, ne se trouvent pas partout.... Se servir de l’occasion, est une marque infaillible de l’habileté & du courage d’un général d’armée. L’occasion, dit Tacite, est la mere des grands évenemens, opportunus magnis conatibus transitus rerum. En effet, une victoire décisive & complete nous conduit à une foule d’entreprises & de grands desseins, qui résultent tous de la premiere victoire. Une armée n’est pas abysmée & anéantie pour avoir perdu & abandonné le champ de bataille, son canon, ses morts & ses blessés. Ceux qui fuient à-travers les campagnes ne sont pas morts ; ils sont dissipés aujourd’hui, ils peuvent se réunir demain, trois ou quatre jours après, quinze ou vingt, si l’on veut, se rallier, prendre de nouvelles forces, de nouvelles espérances, & revenir plus braves & plus résolus qu’auparavant, par la honte de leur défaite, ou par l’adresse des généraux. Que ne faut-il pas pour rendre une bataille décisive & complete ? elles ne le sont presque jamais : on voit l’ennemi en fuite, atterré, vaincu, foulé aux piés ; il se releve en peu de tems : on diroit que le victorieux n’a marché que sur des ressorts.

Une bataille n’est complete & décisive qu’autant qu’on en sait profiter dès l’instant que la victoire s’est déclarée sans nulle équivoque, qu’aucun corps ne reste en entier, que tout s’enfuit, que tout court à la débandade. Le général victorieux doit bien se garder alors de faire un lieu de repos du champ de bataille ; mais imiter ce que fit César dans toutes ses victoires, & particulierement dans celle de Pharsale. Il n’a pas plûtôt vaincu Pompée, que sur le champ il marche à l’attaque de son camp qu’il emporte. Ce n’est pas encore assez : il le suit sans relâche à marche forcée ; il oblige l’ennemi de s’embarquer ; il y monte aussi & avec la même promptitude, de peur qu’il ne lui échappe. Belle leçon pour les victorieux, qui ne le sont jamais qu’à demi.

On doit laisser là tous les blessés, les gros bagages, la grosse artillerie, enfin tout ce qui peut retarder la marche d’un seul moment ; camper sur les traces des vaincus, afin qu’ils n’ayent pas le tems de se reconnoître & de recourir aux ressources.

Ordinairement une armée battue cherche son salut par différentes routes & diverses retraites. On doit partager son armée en plusieurs corps dans un très-grand ordre, les envoyer aux trousses des fuyards, tâcher de les atteindre pour les accabler & ruiner le tout. Si les vaincus se réunissent & se rassemblent sous le canon de la place la plus voisine, il faut l’attaquer brusquement à la faveur de la nuit, ou dans le plein jour : on essuie un feu de passage ; mais dès qu’on est aux mains, ce feu n’a plus lieu. Enfin il faut considérer qu’il y a certaines bornes d’où l’on ne sauroit s’écarter après une victoire. Il y a un certain point jusqu’où il est permis de suivre ses avantages. Ce n’est pas connoître ses forces, ni même celles de ses ennemis, que de n’oser aller jusque-là, ou de vouloir aller plus loin, lorsque la défaite n’est pas entiere. Bien des généraux ont été battus après une victoire, faute de connoître la juste étendue qu’ils auroient pû lui donner. Commentaire sur Polybe, par M. le chevalier Folard. (Q)

Bataille navale, est une bataille donnée sur mer. Voyez Combat naval.

Bataille, (Jurispr.) s’est dit dans le même sens que combat, lorsque les duels étoient autorisés en justice. Voyez Combat. (H)

Bataille, (Peinture.) on se sert de ce mot au figuré pour signifier les représentations des batailles en peinture & en sculpture. Les batailles d’Alexandre qui sont dans les galeries du Louvre par le Brun, sont mises au nombre des morceaux de Peinture les plus achevés qui soient en-deçà des Alpes. Mais personne n’a si bien réussi dans les batailles, dont les figures soient habillées à la Françoise, que Wandermeulen, illustre peintre Flamand. Il dessinoit les chevaux mieux que qui que ce soit, & il excelloit particulierement dans les paysages & les représentations des pays plats. Il avoit été choisi pour peindre les conquêtes de Louis XIV.

On appelle Peintres de batailles, ceux qui se livrent à ce genre de représentations. (R)

Bataille, cheval de bataille, (Manege.) est un cheval fort & adroit, que l’on réserve pour les occasions où il faut combattre. (V)

Batailles, s. f. pl. c’est ainsi qu’on appelle, dans les grosses Forges, la galerie qui regne autour de la charge ou du haut de la cheminée. Ainsi Pl. V. fig. 1. des grosses Forges, l’espace FF sont les batailles.