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me le précédent, par une prudence & par une expérience vulgaire ; car il ne suffit pas que l’artiste connoisse l’énergie d’une seule substance, qu’il a actuellement sous les sens, il faut qu’il prévoye tous les produits & les événemens divers de l’opération qu’il va exécuter, & qu’il emploie des vaisseaux tellement constitués, s’il est permis de s’exprimer ainsi, & tellement appareillés, qu’ils reçoivent & retiennent ces produits, qu’ils supportent & qu’ils moderent même ces événemens de la maniere la plus avantageuse qu’il est possible. Au reste, il y a sur ceci une espece de tradition dans l’art, & même des lois écrites qui laissent rarement l’artiste dans le cas de méditer ou de tenter beaucoup pour imaginer ou pour choisir la meilleure matiere des vaisseaux & le meilleur appareil. Ce n’est que dans les expériences nouvelles où il pourra avoir ce soin, dont il sera exempt encore, moyennant l’habitude des travaux chimiques & un peu de sagacité de talent, par la considération des travaux analogues sur des sujets analogues ; & il n’arrivera point à un chimiste de distiller, comme M. Hales, du vitriol dans un canon de fusil, sur-tout pour estimer l’air qui se dégorgera de ce corps par ce moyen, parce qu’il se souviendra que l’acide vitriolique, qui s’échappe dans cette opération, attaque le fer avec effervescence, c’est-à-dire émission d’air, & par conséquent porte nécessairement de l’erreur dans l’estimation de l’air réputé entierement fourni par la substance distillée. On trouvera dans différens articles de ce Dictionnaire, & nommément dans les articles particuliers destinés aux diverses opérations chimiques, les principales connoissances de détail nécessaires pour diriger convenablement cette partie de la pratique ou du manuel chimique. Il seroit inutile de répéter ici l’énumération de tous ces différens vaisseaux, dont on trouvera d’ailleurs un tableau, une distribution réguliere dans les planches de chimie. Voyez les Planches avec leur explication : on trouvera encore un article particulier pour chaque vaisseau.

Les Chimistes se font des vaisseaux de terre cuite de poterie, comme les creusets, les têts à rôtir, des cornues, des cucurbites, &c. de verre, tels que des cornues, des alembics, toutes les especes de récipiens les plus employés, &c. de fer fondu, savoir des bassines & des cornues de diverses especes ; de cuivre, comme grands alambics les plus ordinaires, des bassines, des réfrigérants, &c. de plomb, qui fournit les tuyaux des serpentins ; d’étain, savoir les cucurbites pour le bain-marie avec leur chapiteau, &c. d’argent, des cucurbites, des bassines, &c. qu’on substitue avec avantage aux vaisseaux de cuivre qui sont beaucoup plus exposés que ceux d’argent à être entamés par divers sujets chimiques qu’on traite dans ces vaisseaux. Il y a telle opération pour laquelle les vaisseaux d’or seroient très-commodes, par exemple, une cloche à retenir l’acide du soufre, un serpentin pour la distillation des acides minéraux, &c. mais j’ai observé déjà dans quelque autre endroit de ce Dictionnaire, que la pauvreté chimique ne permettoit pas qu’on employât au-moins une fois ce précieux métal à un usage déduit de ses propriétés réelles ; enfin les vaisseaux de bois peuvent servir à traiter les sujets chimiques même par l’application du feu ; le tonneau distillatoire représenté dans les tables de chimie, & dont il est fait mention à l’article Distillation, en est l’exemple & la preuve.

Outre la considération principale qui détermine le choix de la matiere des vaisseaux, & dont nous avons parlé plus haut, savoir leur insolubilité par les matieres à l’action desquelles ils sont exposés dans chaque opération ; outre cette considération, dis-je, il y en a deux autres très-générales pour les opérations qui s’exécutent par le moyen du feu, savoir que

le vaisseau résiste au feu, qu’il ne s’y fonde ni éclate, ni se fêle, &c. & 2o . qu’il puisse suporter l’alternative du chaud & du froid qu’occasionnent l’abord libre de l’air, ou l’application faite à dessein d’un corps froid ; voyez Réfrigérant & Distillation. Les vaisseaux de bonne terre sont ceux qui résistent le mieux au feu, & sur-tout lorsqu’ils sont lutés ; voyez Lut. Le célebre M. Potte a donné sur cette partie importante de manuel chimique, une dissertation dont tous les objets de détail sont trop intéressans pour qu’elle soit susceptible d’extrait. Les artistes ne peuvent se dispenser de la connoître toute entiere ; elle se trouve dans le quatrieme volume de la collection françoise de ses dissertations, sous ce titre : Essai sur la maniere de préparer des vaisseaux plus solides qui puissent soutenir le feu le plus violent, & qui soient les plus propres à contenir les corps en fusion.

Les vaisseaux de métal sont éminemment propres à supporter le rafraîchissement. Les vaisseaux de fer fondu supportent quelquefois le plus grand feu. Les vaisseaux de verre ont besoin d’être lutés pour résister au grand feu, & ils doivent être raffraîchis avec beaucoup de circonspection ; enfin il y a encore une considération particuliere déduite de l’effort que des matieres très-expansibles, l’eau & l’air principalement, font quelquefois au-dedans des vaisseaux, qu’elles peuvent briser, faire sauter en éclat. Pour prévenir cet inconvénient on donne issue à cette matiere expansive, comme on le pratique dans les distillations, au moyen du petit trou du balon ; voyez Distillation. Ou on emploie des vaisseaux capables de résister aux efforts de la vapeur engendrée au-dedans d’eux, comme lorsqu’on emploie un matras vigoureusement cuirassé, à la préparation de l’éther nitreux (voyez Éther nitreux) ; ou un vaisseau d’un métal fort épais, comme la machine ou digesteur de Papin. Voyez Digesteur. (b)

Vaisseaux, (Marine.) c’est un bâtiment de charpente construit d’une maniere propre à floter & à être conduit sur l’eau.

On distingue vaisseaux de guerre & vaisseaux marchands ; la force & la grosseur des vaisseaux, & le nombre de canons qu’ils portent, distinguent les vaisseaux de guerre, des vaisseaux marchands.

Pour connoître l’ensemble & les principales parties d’un vaisseau, il faut voir la pl. I. de la Marine ; fig. 1. & fig. 2. qui sont suffisantes, pour toutes les parties antérieures, & la Pl. IV. fig. 1. pour les parties intérieures. Voyez aussi les mots Construction & Rang. On ajoutera cependant ici quelques remarques particulieres sur la construction des vaisseaux en général.

Méthode générale des constructeurs. L’expérience est la base de toutes les regles des constructeurs. Cette expérience consiste à comparer la bonté de différens bâtimens de divers gabarits, & à choisir une moyenne forme qui réunisse les diverses qualités de ces bâtimens. Ils se reglent encore sur les poissons, & ils s’imaginent que de tous les poissons, celui qui va le mieux, doit avoir la forme convenable à un parfait vaisseau. Ce poisson est selon eux le maquereau : ce sont les portions de cet animal que l’on doit suivre. Ainsi l’a du-moins fait un des plus fameux constructeurs françois : c’est M. Hendrick ; & tel est son raisonnement. Le maquereau est cinq fois plus long que large, & sa partie la plus grosse est aux deux premieres parties de sa longueur, & les trois autres vont en diminuant jusqu’à la queue, d’où il conclud que les vaisseaux ayant cette proportion, doivent avoir la même légereté. Comme ce poisson est rond & assez épais, il veut qu’on n’épargne pas les façons aux vaisseaux ; qu’on tienne son estime ronde, & qu’on lui donne beaucoup de hauteur. L’avantage qu’on retire de-là, selon lui,