Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 16.djvu/779

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment ; & c’est ce qui fait une des grandes difficultés que l’on a à entendre les anciennes prophéties, & à concilier l’ancien Testament avec le nouveau. Voyez Prophétie.

On ne peut disconvenir en effet qu’il n’y ait eû des types institués par la sagesse divine, pour être les ombres & les figures des choses à venir ; & quoique les hommes soient tombés, à cet égard, dans bien des excès, & que plusieurs se soient imaginés voir des types par-tout, comme Origene, qui trouvoit des mysteres jusque dans les chaudrons du tabernacle, on doit se contenter des plus sensibles & des plus frappans, ou de ceux dont l’application a déja été faite par une autorité supérieure en fait de religion. Mais il n’en faut point proposer sans les prouver autant qu’il est possible, & sans faire voir que ce sont en effet des types, afin de justifier la solidité du raisonnement des apôtres qui en ont tiré des argumens.

Un auteur moderne soutient que non-seulement les peres de l’Église, mais aussi S. Paul lui-même, étoient d’opinion que toute la religion chrétienne étoit contenue dans l’ancien Testament, & accomplie dans l’histoire & dans la loi des juifs, & que ce testament & cette loi ne devoient être regardés que comme les types & les ombres du Christianisme. Dans cette vue il cite l’épître aux Hébreux, chap. viij. 5. chap. x. 1. & celle aux Colossiens, chap. j. vers. 16. & 17. il ajoute que les lois rituelles de Moïse n’étant que des types & des ombres des choses réelles à venir, doivent être considérées comme des prophéties accomplies. C’est aussi le sentiment de M. Whiston & d’autres. Et le premier auteur, pour appuyer davantage son raisonnement, cite Jesus-Christ lui même qui, en S. Matthieu, chap. xj. vers. 13. confirme les propheties légales, en disant qu’il est venu accomplir la loi. Mais c’est abuser visiblement de l’Ecriture que d’employer ces passages à prouver que tout y est type & figure ; car lorsque S. Paul dit que Jesus-Christ est la fin de la loi, finis legis Christus, il ne s’agit pas de savoir si Jesus-Christ y est figuré & prédit ; il est simplement question de montrer qu’il est le seul auteur de la justice que la loi ne pouvoit donner. Quand il dit aux Colossiens, que tout ce qui a été fait, n’a été fait que pour Jesus-Christ, omnia in ipso constant, & ne subsiste qu’en lui, il établit la divinité de Jesus-Christ, & il en donne pour preuve que tout ce qui existe, n’existe que par l’opération de sa toute-puissance. De même quand Jesus-Christ dit qu’il est venu accomplir la loi, cela s’entend des vérités de pratique qu’il venoit confirmer par ses exemples & par sa doctrine, & non simplement des figures qu’il venoit accomplir, comme si tout eût été type sous l’ancienne loi.

Cette affectation des figuristes a donné lieu à quelques écrivains peu favorables à la religion, d’observer que si les anciens & les modernes partisans du sens typique eussent formé le dessein de décrier le Christianisme, ils n’auroient pû mieux y réussir qu’en travestissant ainsi toutes choses en types & en prophéties. Il ne faut pas s’étonner, ajoutent-ils, que les athées & les déistes insultent à la crédulité des chrétiens, & qu’il rejettent des preuves fondées sur de pareilles absurdités.

Mais on peut répondre à ces écrivains, que l’exemple des figuristes ne peut tirer à conséquence contre la solidité des véritables preuves de la religion. Car il n’est pas difficile de reconnoître, à-moins qu’on ne veuille s’aveugler soi-même, la réalité de ce qu’on appelle types. Il est évident qu’il y en avoit beaucoup sous l’ancien Testament. Tels étoient les sacrifices, la personne du grand-prêtre, l’arche de Noé, &c. tels étoient les deux verges ou bâtons, dont il est parlé dans Zacharie, c. xj. vers. 7. 10. & 14. telle étoit

la femme adultere d’Osée, c. j. vers. 2. ses enfans, vers. 46. Par ces types & par d’autres semblables, Dieu & le prophete ont dessein d’annoncer des événemens futurs, mais il faut observer ou que le prophete avertit en même tems le lecteur de prendre ces choses pour types, qu’il le met en état de les entendre de cette maniere, qu’il ne l’abandonne pas à ses propres conjectures après l’événement ou l’accomplissement de ces prophéties ; ou que les apôtres ont expliqué ces types conformément à la tradition des juifs ; & qu’en montrant qu’ils avoient été accomplis en Jesus-Christ, ils en ont tiré des argumens victorieux en faveur de la religion.

En effet les apôtres ont cité, en parlant de Jesus-Christ & des mysteres de la loi nouvelle, un grand nombre de passages de l’ancien Testament dans leurs écrits, mais ils ne les ont pas tous cités dans le même sens. Ils en ont cité quelques-uns dans le sens que la sagesse divine avoit intention d’exprimer en dictant les livres-saints, mais ils en ont cité aussi, sans qu’ils parussent avoir une destination particuliere & directe de Dieu, pour les vérités auxquelles ils les appliquoient. On en trouve plusieurs qu’ils n’ont appliqués à Jesus-Christ qu’à cause des traits de convenance & de ressemblance qui en autorisoient l’allusion & l’application, & qui avoient donné lieu aux Juifs de les entendre du Messie : c’est le sentiment de plusieurs peres, & entr’autres de S. Cyrille contre Julien : Paulus autem, dit ce pere, valde sapiens artifex ad introducendum divina, etiam illa quæ de aliquibus aliis in scripturis dicta sunt, aliquoties ad manifestandum Christi sacramentum inducit. Verumtamen non illa separat ab iis personis in quas dicta esse cognovimus, sed neque omnia illorum ad Christum redigit, verum aliquam partem minimam aliquoties suscipit quam ipse possit sine ullo periculo artificiose ad suum referre propositum.

Le savant Maldonat admet le même principe, & s’explique ainsi très-nettement sur ce point. « Quand les apôtres, dit il, remarquent que quelque prophétie de l’ancien testament s’est trouvé accomplie par ce qu’ils rapportent, ils ne l’entendent pas toujours de la même maniere ; cette expression peut être prise en quatre sens différens.

» Le premier, qui est l’immédiat & le plus prochain, a lieu lorsque la chose s’accomplit proprement & à la lettre, selon qu’elle est prédite, comme quand S. Mathieu remarque, ch. j. que cette prophétie d’Isaïe, ch. vij. une vierge enfantera, &c. a été accomplie dans la Vierge Marie.

» Le second qui est quelquefois plus éloigné, mais qui n’est pas moins direct & moins absolu dans l’intention du S. Esprit, a lieu lorsque la chose s’accomplit dans la chose figurée par le type, comme quand S. Paul applique à Jesus-Christ, Hébr. ch. j. vers. vj. ces paroles du premier livre des rois, ch. vij. dites immédiatement de Salomon, je lui tiendrai lieu de pere, & je le traiterai comme mon fils, parce que Salomon étoit la figure du Messie ; ou quand S. Jean observe, ch. xix. qu’on ne rompit point les os de Jesus-Christ à la passion, pour accomplir ce qui étoit dit de l’agneau paschal, Exod. XII. vous n’en briserez aucun os.

» Le troisieme qui n’est qu’un sens accommodatice, a lieu lorsqu’on applique une prophétie à ce qui n’est ni l’objet immédiat de la prophétie, ni le type figuré par la prophétie, mais à une chose indifférente, parce qu’elle quadre aussi bien à cette chose, que si elle avoit été faite pour elle, & qu’il y eût des preuves que le S. Esprit l’eût dirigée à signifier cette chose. Isaïe, par exemple, ch. xxix. semble borner le reproche que Dieu fait aux Juifs, de l’honorer du bout des levres, à ceux qui vivoient de son tems ; mais Jesus-Christ l’applique, Matth. xv. à ceux qui vivoient du