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les tortues en grand nombre sur la surface de la mer, où elles sont endormies pendant la grande chaleur du jour ; on en prend par adresse sans varre & sans filet, & voici comment. Un bon plongeur se met sur l’avant d’une chaloupe, & dès qu’il ne se trouve plus qu’à quelques toises de la tortue, il plonge & fait ensorte de remonter par la surface de l’eau auprès de cet animal ; il saisit l’écaille tout contre la queue, & en s’appuyant sur le derriere de la tortue, il la fait enfoncer dans l’eau ; l’animal se réveille, se débat des pattes de derriere, & ce mouvement suffit pour la soutenir sur l’eau aussi-bien que l’homme, jusqu’à ce que la chaloupe vienne & les pêche tous deux.

Le manger de la tortue franche est non-seulement excellent, mais très-sain. Mylord Anson dit que son équipage en vêcut pendant tout son séjour dans l’île de Quibo, c’est-à-dire pendant plus d’un mois. (D. J.)

Tortue, (Mat. méd.) il ne s’agit dans cet article que de la tortue de notre pays, ou tortue de terre, & de celle d’eau-douce qui differe très-peu de la premiere, sur-tout par ses qualités médicinales, l’article suivant étant particulierement destiné à la grande tortue de l’Amérique ou tortue de mer.

On mange à peine chez nous la tortue de terre ou la tortue d’eau-douce, ainsi nous n’avons aucune observation à proposer sur son usage diétetique. Quant à ses usages médicinaux, nous observerons que les Médecins modernes l’emploient assez communément sous la forme de bouillon, & qu’on en prépare un syrop composé auquel elle donne son nom, & qui est connu dans les dispensaires sous le nom de syrupus de testitudinibus resumptivus.

Pour préparer un bouillon de tortue, on prend un de ces animaux, de médiocre grosseur, par exemple, pesant environ douze onces avec l’écaille. On la retire de son écaille ; on en sépare la tête, les piés & la queue ; on prend la chair, le sang, le foie & le cœur ; & on les fait cuire ordinairement avec un jeune poulet, & des plantes & racines propres à remplir l’intention du médecin, passant & exprimant selon l’art : ces bouillons sont recommandés dans tous les livres, & sont assez généralement employés par les médecins de Montpellier, comme une sorte de spécifique contre la phthisie, le marasme & les autres maladies de langueur. Tous ceux qui n’en ont pas observé l’effet par eux-mêmes, croient qu’un suc mucilagineux, incrassant, éminemment adoucissant qu’ils supposent dans la tortue, adoucit le sang, lui redonne son baume naturel, en corrige, en enveloppe les âcretés ; assouplit les solides, & dispose ainsi les petites crevasses, & même les ulceres naissans de la poitrine à se consolider ; que ce prétendu suc glutineux & balsamique est encore capable de déterger & de consolider des ulceres internes plus avancés ; mais indépendamment des raisons victorieuses contre ces vaines spéculations qui sont déduites aux articles incrassans, muqueux & nourrissans, voyez ces articles. Les médecins qui ont quelqu’expérience sur l’opération des bouillons de tortue, savent que leur effet prochain & immédiat consiste à animer le mouvement progressif du sang, jusqu’au point de donner quelquefois la fievre & à pousser considérablement vers les couloirs de la peau. Il peut très-bien être que dans plusieurs de ces phthisies, de marasme, de fievre ectique, &c. ce dernier effet, savoir l’effet sudorifique, concourt très-efficacement à la guérison de ces maladies, dans lesquelles l’excrétion cutanée est considérablement diminuée ; mais il arrive aussi dans bien d’autres cas, par exemple, dans la plûpart de ceux où les maladies de poitrine ont commencé par des crachemens de sang ; il arrive, dis-je, que les bouillons de tortue renouvellent & précipitent le malade vers sa fin. Ce remede doit donc être administré avec beaucoup de

circonspection : d’ailleurs les observations de ses bons effets dans les cas dont nous venons de parler, manquent presque absolument, sont du-moins très rares ; parce qu’on a recours communément à ce remede, comme à tous ceux qui sont les plus vantés contre les maladies chroniques de la poitrine, lorsque ces maladies sont trop avancées, lorsqu’il n’y a plus rien à espérer des remedes.

Les maladies dans lesquelles les bouillons de tortue font le plus manifestement du bien, sont celles de la peau ; mais il faut persister long-tems dans l’usage de ce remede.

Le syrop de tortue se prépare ainsi, selon la pharmacopée de Paris : Prenez chair de tortue de terre, une livre : orge mondé & chair de dattes, de chacun deux onces : raisins secs de Damas, mondés de leurs pepins, & réglisse seche rapée, de chacun une once : sebestes & jujubes, de chacun demi-once : pignons & pistaches mondées, de chacun demi-once : fruits de cacao rôtis & broyés : semence de melon, de concombre & de citrouille, de chacun deux gros : semence de laitue, de pavot blanc, de mauve, de chacun un gros : feuilles de pulmonaire, demi-once : fleurs seches de violettes & de nénuphar, de chacun un gros (ou recentes, de chacun une once.) Faites la décoction de toutes ces drogues, selon l’art, dans douze livres d’eau, que vous réduirez à la moitié.

Passez & clarifiez avec quatre livres de sucre rosat ; & cuisez à consistence de syrop, auquel vous pouvez ajouter pour l’aromatiser, quatre gouttes de néroli ou huile essentielle de fleurs d’orange.

Nota. Que ce syrop ne doit pas être conservé long-tems, parce qu’il n’est pas de garde, & qu’il est sujet à se gâter.

On a voulu rassembler dans ce syrop le principe médicamenteux des principales matieres regardées comme éminemment pectorales ou béchiques incrassantes : on a réuni en effet dans ce remede une gelée animale assez tenace, lenta, savoir celle de tortue. Plusieurs substances muqueuses, végétales, éminemment douces ; savoir, celle des dattes, des raisins secs, de la réglisse, des sebestes, des jujubes & le sucre ; un mucilage léger, fourni par les fleurs de violette & de nénuphar ; & enfin l’extrait très-nitreux des feuilles de pulmonaire ; les semences émulsives qu’on y a entassées, ne fournissent rien à ce syrop. Dans l’état où l’art est parvenu aujourd’hui, c’est une ignorance & une barbarie, que de laisser subsister dans la formule de ce syrop, les pignons, les pistaches, les semences de melon, de concombre, de citrouille, de laitue, de mauve & de pavot blanc, & très-vraissemblablement le cacao. Voyez Émulsion & Semences émulsives. Le sucre-rosat est une puérilité ; c’est du bon sucre blanc qu’il faut employer à sa place. Voyez Sucre & Sirop.

S’il existoit de vrais pectoraux, voyez Pectoral ; s’il existoit de vrais incrassans, voyez Incrassant, ce syrop seroit le pectoral incrassant, par excellence ; si une préparation toute composée de matieres purement alimenteuses pouvoit être véritablement restaurante, on ne devroit point refuser cette qualité au syrop de tortue. Mais comme les substances purement nourrissantes ne sont ni pectorales ni incrassantes, ni restaurantes à petite dose, il est évident que ces vertus sont attribuées au syrop de tortue par charlatanerie ou par préjugé. On peut assurer que cette préparation n’a restauré personne ; & que si elle a calmé quelque toux, ç’a été toujours des toux gutturales ou stomachales, & encore sur des sujets qui avoient l’estomac assez bon pour vaincre la fade & gluante inertie du syrop de tortue. (b)

Tortue, autrement Tortille, (Géogr. mod.) Cette île qui appartient à la couronne d’Espagne, doit le nom qu’elle porte à la quantité de tortues que