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& c’est de-là que vient l’exemption de taille dont jouissent encore les nobles & les ecclésiastiques.

Les roturiers au contraire qui par état ne portoient point les armes, ne servoient qu’extraordinairement, lorsqu’ils étoient convoqués ; & ce fut pour les dispenser du service militaire que l’on établit la taille, afin que ceux qui ne contribueroient pas de leur personne au service militaire, y contribuassent au moins de leurs deniers pour fournir aux frais de la guerre.

On attribue communément l’établissement des tailles à S. Louis ; elles sont cependant beaucoup plus anciennes. Pierre Louvet, médecin, en son histoire de la ville de Beauvais, rapporte une chartre de l’an 1060, par laquelle il paroit que la taille étoit déjà établie, puisqu’il est parlé d’une décharge qui fut donnée de plusieurs coutumes injustes, savoir la taille & autres oppressions, talliam videlicet & alias oppressiones.

La plus ancienne ordonnance qui fasse mention de la taille, est celle de Philippe Auguste en 1190, appellée communément le testament de Philippe Auguste. Elle défend à tous les prélats & vassaux du roi de faire aucune remise de la taille ou tolte, tant que le roi sera outre-mer au service de Dieu ; & comme la taille n’étoit point encore alors ordinaire ni perpétuelle, & qu’on la levoit seulement pour les besoins extraordinaires de l’état, il y a grande apparence que celle dont il est parlé dans ce testament, avoit été imposée à l’occasion du voyage que Philippe Auguste se disposoit à faire outre-mer.

Les seigneurs levoient quelquefois des tailles non pour eux, mais pour le roi. Les prélats en levoient en trois cas, 1°. pour l’ost ou la chevauchée du roi, 2°. pour le pape, 3°. pour la guerre que leur église avoit à soutenir.

Lorsque la taille se levoit pour l’ost du roi, elle duroit peu, parce que le ban qui étoit la convocation & assemblée des nobles & ecclesiastiques pour le service militaire, ne duroit alors que 40 jours.

En général les nobles & ecclésiastiques non mariés & non marchands ne payoient point de taille.

Les clercs mariés payoient la moitié de ce qu’ils auroient payé, s’ils n’eussent pas été clercs.

Les nobles & les clercs contribuoient même en certains lieux ou pour certains biens, suivant des lettres du mois d’Avril 1331, pour la sénéchaussée de Carcassonne, dans lesquelles il est dit que les nobles & ecclésiastiques avoient coutume ailleurs de contribuer aux tailles & collectes pour les maisons & lieux qu’ils habitoient.

On exempta aussi de la taille quelques autres personnes, telles que ceux qui étoient au service du roi, les baillis royaux, les ouvriers de la monnoie.

Les bourgeois & même les villains ne pouvoient aussi être imposés à la taille la premiere année qu’ils s’étoient croisés ; mais si la taille avoit été assise avant qu’ils se fussent croisés, ils n’en étoient affranchis que pour la seconde année, à moins qu’il ne se fît quelque levée pour l’armée : ce qui fait connoitre que l’imposition qui se faisoit pour l’ost & chevauchée du roi, étoit alors différente de la taille.

C’est ce que l’on trouve dans une ordonnance de Philippe Auguste de l’an 1214, touchant les croisés, où ce prince dit encore qu’ils ne sont pas exempts de l’ost & de la chevauchée, soit qu’ils aient pris la croix avant ou après la convocation.

Suivant cette même ordonnance, quand un croisé possédoit des terres sujettes à la taille, il en payoit la taille comme s’il n’étoit pas croisé : ce qui fait voir qu’il y avoit dès-lors deux sortes de taille, l’une personnelle qui étoit une espece de capitation dont les croisés étoient exempts, l’autre réelle qui étoit dûe pour les maisons & terres taillables, c’est-à-dire, roturieres ; les gentilshommes même payoient la taille

pour une maison de cette espece, lorsqu’ils ne l’occupoient pas par eux-mêmes.

La taille fut levée par S. Louis en 1248, à l’occasion de la croisade qu’il entreprit pour la terre sainte ; mais ce n’étoit encore qu’une imposition extraordinaire.

Les lettres de ce prince du mois d’Avril 1250, contenant plusieurs réglemens pour le Languedoc, portent que les tailles qui avoient été imposées par le comte de Montfort, & qui peu après avoient été levées au profit du roi, tandis qu’il occupoit en paix ce pays, demeureroient dans le même état où elles avoient été imposées, & que s’il y avoit eu quelque chose d’ajouté, il seroit ôté.

Que si dans certains lieux il y avoit eu des confiscations considérables au profit du roi, la taille seroit diminuée à proportion jusqu’à ce que les héritages confisqués parvinssent à des gens taillables.

Il est encore dit que dans les lieux où il n’y auroit plus de taille, les anciens droits qui étoient dûs dans le pays d’Alby, & qui avoient cessé d’être payés depuis l’imposition des tailles, seront confisqués ; qu’à l’égard des tailles de Calvison & autres lieux des environs de Nismes & des places qui avoient été mises dans la main du roi, & qui servoient aux usages publics, on en composeroit suivant ce qui seroit juste.

Le roi permettoit quelquefois aux communes ou villes & bourgs érigés en corps & communautés, de lever sur elles-mêmes des tailles autant qu’il en falloit pour payer leurs dettes ou les intérêts qui en étoient échus.

Les Juifs levoient aussi quelquefois sur eux des tailles pour leurs affaires communes.

S. Louis fit un réglement pour la maniere d’asseoir & de lever la taille ; nous en avons déja parlé au mot Election.

La taille n’étoit pas encore perpétuelle sous le roi Jean en 1358, puisque Charles V. son fils, en qualité de lieutenant du royaume, promit que moyennant l’aide qui venoit d’être accordée par les états, toutes tailles & autres impositions cesseroient.

Dans une ordonnance du roi Jean lui-même du 20 Avril 1363, faite en conséquence de l’assemblée des trois états de la sénéchaussée de Beaucaire & de Nismes, il est parlé des charges que les peuples de ce pays avoient souffert & souffroient tous les jours par le fait des tailles qui avoient été imposées tant pour la rançon de ce prince que pour l’expulsion des ennemis, que pour les gages des gens d’armes & autres dépenses.

Les autres cas pour lesquels le roi levoit la taille, étoient pour la chevalerie de son fils ainé, pour le mariage de leurs filles. Ces tailles ne se levoient que dans les domaines du roi.

Dans ces mêmes occasions les vassaux du roi tailloient aussi leurs sujets pour payer au roi la somme dont ils devoient contribuer ; & ordinairement ils trouvoient bénéfice sur ces levées.

Ce ne fut qu’en 1445, sous le regne de Charles VII. que la taille fut rendue annuelle, ordinaire & perpétuelle. Elle ne montoit alors qu’à 1800000 liv. & la cotte de chacun étoit si modique, que l’on s’empressoit à qui en payeroit davantage.

Depuis ce tems les tailles ont été augmentées par degré & quelquefois diminuées ; elles montent présentement à une somme très-excédente.

La taille est personnelle ou plutôt mixte, c’est-à-dire, qu’elle s’impose sur les personnes à raison de leurs biens. En quelques provinces, comme en Languedoc, elle est réelle : ce sont les biens qui la doivent.

Dans les pays où la taille est personnelle, elle n’est dûe que par les roturiers ; les nobles & les ecclésiastiques en sont exempts. Il y a encore beaucoup