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reurs Adrien & Vespasien la vertu de guérir plusieurs maladies ; & Dion rapporte qu’Agrippa faisoit des cures singulieres par le pouvoir d’un anneau qui avoit appartenu à Auguste. Des naturalistes ne voyant aucun rapport entre la cause & l’effet prétendu, ont regardé ces œuvres comme des illusions & des prestiges dont le diable étoit l’opérateur, par la raison que ces princes étoient payens, & qu’il est impossible au diable de faire de vrais miracles. C’est une des raisons que donne Gaspard à Rejes dans son livre intitulé Elysius jucundarum quæstionum campus. Mais cet auteur qui n’a point de principes fixes, prétend ailleurs que la vanité des princes, la bassesse des courtisans & la superstition des peuples ont été la source des singulieres prérogatives qu’on a attribuées aux maîtres du monde qui vouloient exciter l’admiration en s’élevant au-dessus de la condition humaine. Bientôt après il change d’opinion, & croit que la nature opere des merveilles en faveur de ceux qui doivent commander aux autres hommes, & que Dieu a pu accorder, même à des princes payens, des dons & des privileges extraordinaires. C’est ainsi, dit-il, que les rois d’Angleterre guérissent de l’épilepsie, les rois de France des écrouelles ; mais en bon & zélé sujet de la couronne d’Espagne, il croit qu’il convenoit que le plus grand roi de la chrétienté eût un pouvoir supérieur, c’est celui de faire trembler le démon à son aspect, & de le chasser par sa seule présence du corps de ceux qui en sont possédés. Tel est, selon lui, le privilege des rois d’Espagne.

André Dulaurens, premier médecin du roi Henri IV. a composé un traité de la vertu admirable de guérir les écrouelles par le seul attouchement, accordée divinement aux seuls rois de France très-chrétiens. Cette cérémonie se pratiquoit de son tems aux quatre fêtes solemnelles, savoir à pâques, à la pentecote, à la toussaint & à noël, souvent même à d’autres jours de fête, par compassion pour la multitude des malades qui se présentoient ; il en venoit de tous les pays, & il est souvent arrivé d’en compter plus de quinze cens, surtout à la fin de la pentecote, à cause de la saison plus favorable pour les voyages. Les médecins & chirurgiens du roi visitent les malades pour ne recevoir que ceux qui sont véritablement attaqués d’écrouelles. Les Espagnols avoient le premier rang, sans aucun titre que l’usage, & les François le dernier ; les malades des autres nations étoient indifféremment entre-deux. Le roi en revenant de la messe où il a communié, arrive accompagné des princes du sang, des principaux prélats de la cour romaine & du grand aumonier, trouve les malades à genoux en plusieurs rangs ; il récite une priere particuliere, & ayant fait le signe de la croix, il s’approche des malades ; le premier médecin passe derriere les rangs, & tient à deux mains la tête de chaque écrouelleux, à qui le roi touche la face en croix, en disant, le roi te touche, & Dieu te guérit. Les malades se levent aussitôt qu’ils ont été touchés, reçoivent une aumône, & s’en vont. A plusieurs, dit Dulaurens, les douleurs très-aiguës s’adoucissent & s’appaisent aussitôt ; les ulceres se dessechent à quelques-uns, aux autres les tumeurs diminuent ; ensorte que dans peu de jours, de mille il y en a plus de cinq cens qui sont parfaitement guéris.

L’auteur fait remonter l’origine de ce privilege admirable à Clovis qui le reçut par l’onction sacrée. Il rapporte tout ce que différens écrivains ont dit à ce sujet, & il refute Polidor Virgile qui attribue la même vertu aux rois d’Angleterre. Il est vrai qu’on tient pour certain qu’Edouard a guéri une femme de scrophules ; mais c’est un cas particulier, & cette guérison fut accordée au mérite de ce roi qui pour sa grande piété a été mis au rang des saints. On traite dans cet ouvrage avec beaucoup plus d’érudition que de goût,

de tout ce qui a été écrit d’analogue à ce sujet par les anciens ; on prouve que l’imagination ne peut en aucune façon contribuer à la guérison des écrouelles à l’occasion de l’attouchement des rois, & l’on réfute une objection qui méritoit une discussion particuliere. Pour contester le pouvoir surnaturel qui fait le sujet de la question, l’on convenoit que les Espagnols, & en général les étrangers, recouvroient effectivement la santé, & que c’étoit l’effet du changement d’air & de la façon de vivre, ce qui réussit pour la guérison de plusieurs autres maladies ; mais des considérations pathologiques sur le caractere du mal & sur la guérison radicale des François sans changement d’air ni de régime, on conclud que ce n’est point à ces causes que les étrangers doivent rapporter le bien qu’ils reçoivent, mais à la bonté divine, qui par une grace singuliere a accordé le don précieux de guérir aux rois très-chrétiens.

L’application de la main d’un cadavre ou d’un moribond sur des parties malades, a été regardée par quelques personnes comme un moyen très-efficace de guérison. Suivant Van-Helmont, la sueur des mourans a la vertu merveilleuse de guérir les hémorrhoïdes & les excroissances. Pline dit qu’on guérit les écrouelles, les parotides & les goëtres, en y appliquant la main d’un homme qui a péri de mort violente : ce que plusieurs auteurs ont répété. Boyle s’explique un peu plus sur l’efficacité de ce moyen, à l’occasion d’une personne qui a été guérie d’une tumeur scrophuleuse par la main d’un homme mort de maladie lente, appliquée sur la tumeur jusqu’à ce que le sentiment du froid eût pénétré ses parties intimes. Quelques-uns recommandent qu’on fasse avec la main du mort des frictions assez fortes & assez long-tems continuées, jusqu’à ce que le froid ait gagné la tumeur, ce qu’il est difficile d’obtenir, puisque le mouvement doit au contraire exciter de la chaleur. Il y en a qui préferent la main d’un homme mort de phthisie, à raison de la chaleur & de la sueur qu’on remarque aux mains des phthisiques, qu’on trouve très-souvent fort humides à l’instant de leur mort. Suivant Bartholin, des personnes dignes de foi ont usé avec succès de ce moyen, & croyent que la tumeur se dissipe à mesure que le cadavre se pourrit, ce qui arrive plutôt en été qu’en hiver. J’ai vu plusieurs femmes venir dans les hôpitaux me demander la permission de tenir la plante du pié d’un homme à l’agonie sur un goëtre jusqu’à ce que cet homme fût mort, assurant très-affirmativement que leurs meres ou d’autres gens de leur connoissance avoient été guéries par ce moyen. L’expérience doit tenir ici lieu de raisonnement : comment nier à des gens la possibilité des faits qu’ils attestent, & qui leur donne de la confiance pour une pratique qui par elle-même ne peut inspirer que de l’aversion ? (Y)

TACTILE, adj. (Phys.) se dit quelquefois de ce qui peut tomber sous le sens du tact ou du toucher.

Quoique les petites parties des corps soient matérielles, cependant elles ne sont ni tactiles, ni visibles, à cause de leur petitesse.

Les principales qualités tactiles sont la chaleur, le froid, la sécheresse, la dureté & l’humidité. Voyez Chaleur, Froid, Dureté, &c. Chambers.

TACTIQUE (la), est proprement la science des mouvemens militaires, ou, comme le dit Polybe, l’art d’assortir un nombre d’hommes destinés pour combattre, de les distribuer par rangs & par files, & de les instruire de toutes les manœuvres de la guerre.

Ainsi la tactique renferme l’exercice ou le maniement des armes ; les évolutions, l’art de faire marcher les troupes, de les faire camper, & la disposition des ordres de bataille. C’étoit-là ce que les anciens Grecs faisoient enseigner dans leurs écoles mi-