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finiment petits. Voyez Géométrie, Transcendant, Différentiel, &c. (O)

Sublime, en Anatomie, nom de deux muscles fléchisseurs des doigts, l’un de la main, & l’autre au pié, par opposition avec un autre caché par chacun d’eux, qu’on appelle profond. Voyez Perforé.

Sublime, (Art orat. Poésie, Rhétor.) qu’est-ce que le sublime ? l’a-t-on défini, dit la Bruyere ? Despréaux en a du-moins donné la description.

Le sublime, dit-il, est une certaine force de discours propre à élever & à ravir l’ame, & qui provient ou de la grandeur de la pensée & de la noblesse du sentiment, ou de la magnificence des paroles, ou du tour harmonieux, vif & animé de l’expression, c’est-à-dire, d’une de ces choses regardées séparément, ou ce qui fait le parfait sublime de ces trois choses jointes ensemble.

Le sublime, selon M. Sylvain (dans un traité sur cette matiere), est un discours d’un tour extraordinaire, vif & animé, qui par les plus nobles images, & par les plus grands sentimens, éleve l’ame, la ravit, & lui donne une haute idée d’elle-même.

Le sublime en général, dirai-je en deux mots, est tout ce qui nous éleve au-dessus de ce que nous étions, & qui nous fait sentir en même tems cette élevation.

Le sublime peint la vérité, mais en un sujet noble : il la peint toute entiere dans sa cause & dans son effet : il est l’expression ou l’image la plus digne de cette vérité. C’est un extraordinaire merveilleux dans le discours, qui frappe, ravit, transporte l’ame, & lui donne une haute opinion d’elle-même.

Il y a deux sortes de sublime dont nous entretiendrons le lecteur, le sublime des images, & le sublime des sentimens. Ce n’est pas que les sentimens ne présentent aussi en un sens de nobles images, puisqu’ils ne sont sublimes que parce qu’ils exposent aux yeux l’ame & le cœur : mais comme le sublime des images peint seulement un objet sans mouvement, & que l’autre sublime marque un mouvement du cœur, il a fallu distinguer ces deux especes par ce qui domine en chacune. Parlons d’abord du sublime des images, Homere & Virgile en sont remplis.

Le premier en parlant de Neptune, dit

Neptune ainsi marchant dans les vastes campagnes,
Fait trembler sous ses piès & forêts & montagnes.

C’est-là une belle image, mais le poëte est bien plus admirable, quand il ajoute

L’enfer s’émeut au bruit de Neptune en furie :
Pluton sort de son trône, il pâlit, il s’écrie ;
Il a peur que ce dieu dans cet affreux séjour,
D’un coup de son trident ne fasse entrer le jour,
Et par le centre ouvert de la terre ébranlée,
Ne fasse voir du Styx la rive désolée,
Ne découvre aux vivans cet empire odieux
Abhorré des mortels, & craint même des dieux
.

Quels coups de pinceau ! la terre ébranlée d’un coup de trident ; les rayons du jour prêts à entrer dans son centre ; la rive du Styx tremblante & désolée ; l’empire des morts abhorré des mortels ! voilà du sublime, & il seroit bien étonnant qu’à la vue d’un pareil spectacle nous ne fussions transportés hors de nous-mêmes.

Homere toujours grand dans ses images, nous offre un autre tableau magnifique.

Thétis dans l’Iliade va prier Jupiter de venger son fils qui avoit été outragé par Agamemnon ; touché des plaintes de la déesse, Jupiter lui répond : « Ne vous inquiétez point, belle Thétis, je comblerai votre fils de gloire ; & pour vous en assurer, je vais faire un signe de tête, & ce signe est le gage le plus certain de la foi de mes promesses. Il dit,

du mouvement de sa tête immortelle l’Olympe est ébranlé ». Voilà sans doute un beau trait de sublime, & bien propre à exciter notre admiration ; car tout ce qui passe notre pouvoir la reveille ; remarquez encore qu’à cette admiration il se joint toujours de l’étonnement, espece de sentiment qui est pour nous d’un grand prix.

N’est-ce pas encore le sublime des images, quand le même poëte peint la Discorde ayant

La tête dans les cieux, & les piés sur la terre.

Il en faut dire autant de l’idée qu’il donne de la vîtesse avec laquelle les dieux se rendent d’un lieu dans un autre.

Autant qu’un homme assis au rivage des mers,
Voit d’un roc élevé d’espace dans les airs,
Autant des immortels les couriers intrépides
En franchissent d’un saut.

Quelle idée nous donne-t-il encore du bruit qu’un dieu fait en combattant ?

Le ciel en retentit, & l’olympe en trembla.

Virgile va nous fournir un trait de sublime semblable à ceux d’Homere ; le voici : les divinités étant assemblées dans l’olympe, le souverain arbitre de l’univers parle : tous les dieux se taisent, la terre tremble, un profond silence regne au haut des airs, les vents retiennent leur haleine, la mer calme ses flots.

Eo dicente Deûm domus alta silescit ;
Et tremefacta solo tellus, silet arduus æther :
Tùm zephiri posuere, premit placida æquora pontus.

Les peintures que Racine a fait de la grandeur de Dieu, sont sublimes. En voici deux exemples :

J’ai vû l’impie adoré sur la terre,
Pareil au cèdre il cachoit dans les cieux
Son front audacieux.
Il sembloit à son gré gouverner le tonnerre,
Fouloit aux piés ses ennemis vaincus,
Je n’ai fait que passer, il n’étoit déja plus.

Esther, sc. V. act. V. Racine.

Les quatre autres vers suivans, ne sont guere moins sublimes.

L’Eternel est son nom, le monde est son ouvrage,
Il entend les soupirs de l’humble qu’on outrage,
Juge tous les mortels avec d’égales lois,
Et du haut de son trône interroge les Rois.

Un raisonnement, quelque beau qu’il soit, ne fait point le sublime, mais il peut y ajouter quelque chose. On connoit le serment admirable de Démosthene ; il avoit conseillé au peuple d’Athenes de faire la guerre à Philippe de Macédoine, & quelque tems après il se donna une bataille où les Athéniens furent défaits : on fit la paix, & dans la suite l’orateur Eschine reprocha en justice à Démosthene ses conseils, & sa conduite dans cette guerre, dont le mauvais succès avoit été si funeste à son pays. Ce grand homme, malgré sa disgrace, bien loin de se justifier de ce reproche, comme d’un crime, s’en justifie devant les Athéniens même, sur l’exemple de leurs ancêtres qui avoient combattu pour la liberté de la Grece, dans les occasions les plus périlleuses ; & il s’écrie avec une hardiesse héroique : non, Messieurs, vous n’avez point failli, j’en jure, &c.

Ce trait, qui est extrémement sublime, renferme un raisonnement invincible ; mais ce n’est pas ce raisonnement qui en fait la sublimité, c’est cette foule de grands objets, la gloire des Athéniens, leur amour pour la liberté, la valeur de leurs ancêtres, que l’orateur traite comme des dieux, & la magnanimité de Démosthene, aussi élevée que toutes ces choses en-