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venance exige ? Et tout cela n’est-il pas impératif ?

C’est donc la forme de la phrase, c’est le tour elliptique qui avertit alors du sens impératif ; & il n’est point attaché à la forme particuliere du verbe comme dans les autres personnes : mais la forme de la phrase ne doit entrer pour rien dans le système de la conjugaison, où elle n’est nullement sensible. Que je dise à un étranger que ces mots qu’il fasse sont de la conjugaison du verbe faire, il m’en croira : mais que je lui dise que c’est la troisieme personne de l’impératif, & que la seconde est fais, je le dis hardiment, il ne m’en croira pas, s’il raisonne juste & conséquemment. S’il connoît les principes généraux de la grammaire, & qu’il sache que notre que est une conjonction, je ne doute pas qu’il n’aille jusqu’à voir que ces mots qu’il fasse sont du subjonctif, parce qu’il n’y a que des formes subjonctives qui exigent indispensablement des conjonctions.

3°. Par-tout où l’on trouve le subjonctif, il y a, ou il faut suppléer une conjonction, qui puisse attacher ce mode à une phrase principale. Ainsi dans ces vers d’Horace, II. Ep. j. 1.

Cùm tot sustineas & tanta negotia solus ;
Res italas armis tuteris, moribus ornes,
Legibus emendes : in publica commoda peccem,
Si longo sermone morer tua tempora, Caesar :

Il faut nécessairement suppléer ut avant chacun de ces subjonctifs, & tout ce qui sera nécessaire pour amener cet ut ; par exemple : Cùm res est ita ut tot sustineas & tanta negotia solus ; ut res italas armis tuteris, ut res italas moribus ornes, ut res italas legibus emendes : res erit ita ut in publica commoda peccem, si res erit ita ut longo sermone morer tua tempora, Cæsar.

Ferreus essem, si te non amarem : (Cic. Ep. xv. 21.) c’est-à-dire, res ita jam dudum fuit ut ferreus essem, si unquam res fuit ita ut te non amarem.

Pace tuâ dixerim : c’est-à-dire, ita concede ut pace tuâ dixerim.

Nonnulli etiam Cæsari nuntiabant, quum castra moveri aut signa ferri jussisset, non sore dicto audientes milites : (Caes. I. Gall.) c’est-à-dire, quum res futura erat ita ut castra moveri aut signa ferri jussisset.

La nécessité d’interpréter ainsi le subjonctif, est non-seulement une suite de la nature connue de ce mode, c’est encore une chose en quelque sorte avouée par nos grammairiens, qui ont grand soin de mettre la conjonction que avant toutes les personnes des tems du subjonctif, parce qu’il est constant que cette conjonction est essentielle à la syntaxe de ce mode ; que j’aime, que j’aimasse, que j’aye aimé, &c. Les Rudimentaires eux-mêmes ne traduisent pas autrement le subjonctif latin dans les paradigmes des conjugaisons : amem, que j’aime ; amarem, que j’aimasse ; amaverim, que j’aye aimé, &c.

On trouve dans les auteurs latins plusieurs phrases où le subjonctif & l’indicatif paroissent réunis par la conjonction copulative, qui ne doit exprimer qu’une liaison d’unité fondée sur la similitude. (Voyez Mot, art. ij. n°. 3.) Les Grammairiens en ont conclu que c’étoit une énallage en vertu de laquelle le subjonctif est mis pour l’indicatif. Mais en vérité, c’est connoître bien peu jusqu’à quel point est raisonnable & conséquent ce génie supérieur qui dirige secretement toutes les langues, que de croire qu’il puisse suggérer des locutions si contraires à ses principes fondamentaux, & conséquemment si nuisibles à la clarté de l’énonciation, qui est le premier & le plus essentiel objet de la parole.

L’énallage est une chimere inventée par les Gram-

matistes qui n’ont pas su analyser les phrases usuelles.

(Voyez Enallage.) Chaque tems, chaque mode, chaque nombre, &c. est toujours employé conformément à sa destination ; jamais une conjonction copulative ne lie des phrases dissemblables, comme il n’arrive jamais qu’amare signifie haïr, que ignis signifie eau, &c. l’un n’est ni plus possible, ni plus raisonnable que l’autre.

Que falloit-il donc conclure des phrases où la conjonction copulative semble réunir l’indicatif & le subjonctif ? Par exemple, quand on lit dans Plaute : eloquere quid tibi est, & quid nostram velis operam ; & ailleurs : nunc dicam cujus jussu venio, & quamobrem venerim, &c ? Voici, si je ne me trompe, comment il falloit raisonner ; la conjonction copulative & doit lier des phrases semblables ; or la premiere phrase quid tibi est d’une part, ou cujus jussu venio de l’autre, est directe, & le verbe en est à l’indicatif ; donc la seconde phrase de part & d’autre doit également être directe & avoir son verbe à l’indicatif : je trouve cependant le subjonctif ? C’est qu’il constitue une phrase subordonnée à la phrase directe qui doit suivre la conjonction, dont l’ellipse a supprimé le verbe indicatif, mais dont la suppression est indiquée par le subjonctif même qui est exprimé. Ainsi je dois expliquer ces passages en suppléant l’ellipse : eloquere quid tibi est, & ad quid res est ita ut nostram velis operam ; & l’autre, nunc dicam cujus jussu venio, & quamobrem factum est ita ut venerim.

Mais ne m’objectera-t-on point que c’est innover dans la langue latine, que d’y imaginer des supplémens de cette espece ? Ces res est ou erat, ou futura est, ou futura erat ita ut, factum est ita ut, &c. placées par-tout avant le subjonctif, semblent être « des expressions qui ne sont point marquées au coin public, des expressions de mauvais aloi, qui doivent être rejettées comme barbares ». Ainsi s’exprime un grammairien moderne dans une sortie fort vive contre Sanctius. Je ne me donne pas pour l’apologiste de ce grammairien philosophe : je conviens au contraire qu’avec des vues générales très bonnes en soi, il s’est souvent mépris dans les applications particulieres ; & moi-même j’ai osé quelquefois le censurer : mais je pense qu’il est excessif au moins de dire que certaines expressions qu’il a prises pour supplément d’ellipse, « ne sont les productions que de l’ignorance ». On ne doit parler ainsi de quelqu’un en particulier, qu’autant que l’on seroit sûr d’être infaillible. Je laisse cette digression & je viens à l’objection.

Je répons, 1°. que ces supplémens ne sont pas tout-à-fait inconnus dans la langue latine, & qu’on en trouvera des exemples, & la preuve de ce que je soutiens ici sur la nature du subjonctif, dans les excellentes notes de Perizonius sur Sanctius même. Minerv. I. xiij.

Je répons, 2°. qu’on ne donne point ces supplémens comme des locutions usitées dans la langue, mais comme des développemens analytiques, des phrases usuelles ; non comme des modeles qu’il faille imiter, mais comme des raisons grammaticales des modeles qu’il faut entendre pour les imiter à propos.

Je répons, 3°. que dès que la raison grammaticale & analytique exige un supplément d’ellipse, on est suffisamment autorisé à le donner, quand même on n’en auroit aucun modele dans la construction usuelle de la langue. Personne apparemment ne s’est encore avisé de dire en françois, je souhaite ardemment que le ciel fasse en sorte que nous ayons bien-tôt la paix : c’est pourtant le développement analytique le plus naturel & le plus raisonnable de cette phrase françoise, fasse le ciel que nous ayons bientôt la paix ! C’est une regle générale dans la langue françoise, & qui peut-être n’a pas encore été ob-