Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 15.djvu/554

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La bassesse du style, consiste principalement dans une diction vulgaire, grossiere, seche, qui rebute & dégoûte le lecteur.

Le style empoulé, n’est qu’une élévation vicieuse, il ressemble à la bouffissure des malades. Pour en connoître le ridicule, on peut lire le second chapitre de Longin, qui compare Clitarque, qui n’avoit que du vent dans ses écrits, à un homme qui ouvre une grande bouche pour souffler dans une petite flute. Ceux qui ont l’imagination vive tombent aisément dans l’enflure du style, ensorte qu’au-lieu de tonner, comme ils le croient, ils ne font que niaiser comme des enfans.

Le style froid vient tantôt de la stérilité, tantôt de l’intempérance des idées. Celui-là parle froidement, qui n’échauffe point notre ame, & qui ne sait point l’élever par la vigueur de ses idées & de ses expressions.

Le style trop uniforme nous assoupit & nous endort.

Voulez-vous du public mériter les amours,
Sans cesse en écrivant variez vos discours ;
Un style trop égal & toujours uniforme
En vain brille à nos yeux, il faut qu’il nous endorme.
On lit peu ces auteurs nés pour nous ennuyer,
Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.

La variété nécessaire en tout, l’est dans le discours plus qu’ailleurs. Il faut se défier de la monotonie du style, & savoir passer du grave au doux, du plaisant au sévere.

Enfin, si quelqu’un me demandoit la maniere de se former le style, je lui répondrois en deux mots, avec l’auteur des principes de littérature, qu’il faut premierement lire beaucoup & les meilleurs écrivains ; secondement, écrire soi-même & prendre un censeur judicieux ; troisiemement, imiter d’excellens modeles, & tâcher de leur ressembler.

Je voudrois encore que l’imitateur étudiât les hommes ; qu’il prît d’après nature des expressions qui soient non-seulement vraies, comme dans un portrait qui ressemble, mais vivantes & animées comme le modele même du portrait. Les Grecs avoient l’un & l’autre en partage, le génie pour les choses, & le talent de l’expression. Il n’y a jamais eu de peuple qui ait travaillé avec plus de goût & de style ; ils burinoient plutôt qu’ils ne peignoient, dit Denis d’Halycarnasse. On sait les efforts prodigieux que fit Démosthène, pour forger ces foudres, que Philippe redoutoit plus que toutes les flottes de la république d’Athènes. Platon à quatre-vingt ans polissoit encore ses dialogues. On trouva après sa mort, des corrections qu’il avoit faites à cet âge sur ses tablettes. (Le chevalier de Jaucourt.)

Style, harmonie du. Voyez Oratoire, Harmonie, Éloquence. (D. J.)

Style, (Logiq.) le style des Logiciens & des Philosophes ne doit avoir d’autre but que d’expliquer exactement nos pensées aux autres ; c’est pourquoi il convient d’établir quelques regles particulieres à ce genre de style ; telles sont les suivantes.

1°. De ne s’écarter jamais des significations reçues des termes.

2°. Que les mêmes termes soient toujours pris dans le même sens.

3°. De fixer la signification des mots qui ont un sens vague & indéterminé.

4°. De désigner les objets essentiellement différens par des noms différens.

5°. Le logicien ou le philosophe doit toujours user des expressions les plus propres, & ne point employer plus de mots que ceux qui lui sont précisément nécessaires pour établir la vérité de la proposition qu’il avance. Voyez à ce sujet Wolf. Disc. prélimin. de la Logique, c. v. (D. J.)

Style oriental, (Prose & Poésie.) le style oriental a cet avantage, qu’il éleve l’ame, qu’il soutient l’attention, & qu’il fait lire avec une sorte de plaisir, des choses qui pour le fond ne sont pas toujours nouvelles. (D. J.)

Style, Poésie du, (Poésie.) la poésie du style, comme M. le Batteux l’a remarqué, comprend les pensées, les mots, les tours, & l’harmonie. Toutes ces parties se trouvent dans la prose même ; mais comme dans les arts, tels que la Poésie, il s’agit non seulement de rendre la nature, & de la rendre avec tous ses agrémens & ses charmes possibles ; la Poésie, pour arriver à sa fin, a été en droit d’y ajouter un degré de perfection, qui les élevât en quelque sorte au-dessus de leur condition naturelle.

C’est pour cette raison que les pensées, les mots, les tours, ont dans la Poésie une hardiesse, une liberté, une richesse, qui paroîtroit excessive dans le langage ordinaire. Ce sont des comparaisons toutes nues, des métaphores éclatantes, des répétitions vives, des apostrophes singulieres. C’est l’Aurore, fille du matin, qui ouvre les portes de l’orient avec ses doigts de roses ; c’est un fleuve appuyé sur son urne penchante, qui dort au bruit flatteur de son onde naissante ; ce sont les jeunes zéphirs qui folâtrent dans les prairies émaillées, ou les nayades qui se jouent dans leurs palais de crystal ; ce n’est point un repas, c’est une fête.

La poésie du style consiste encore à prêter des sentimens intéressans à tout ce qu’on fait parler, comme à exprimer par des figures, & à présenter sous des images capables de nous émouvoir, ce qui ne nous toucheroit pas, s’il étoit dit simplement en style prosaïque.

Mais chaque genre de poëme a quelque chose de particulier dans la poésie de son style ; la plûpart des images dont il convient que le style de la tragédie soit nourri, pour ainsi dire, sont trop graves pour le style de la comédie ; du-moins le poëme comique ne doit-il en faire qu’un usage très-sobre. Il ne doit les employer que comme Chrémès, lorsque ce personnage entre pour un moment dans une passion tragique. Nous avons déjà dit dans quelques articles, que les églogues empruntoient leurs peintures & leurs images des objets qui parent la campagne, & des événemens de la vie rustique. La poésie du style de la satyre doit être nourrie des images les plus propres à exciter notre bile. L’ode monte dans les cieux, pour y emprunter ses images & ses comparaisons du tonnerre, des astres, & des dieux mêmes : mais ce sont des choses dont l’expérience a déjà instruit tous ceux qui aiment la Poésie.

Il faut donc que nous croyions voir, pour ainsi dire, en écoutant des vers : ut pictura poesis, dit Horace. Cléopatre s’attireroit moins d’attention, si le poëte lui faisoit dire en style prosaïque aux ministres odieux de son frere : ayez peur, méchans ; César qui est juste, va venir la force à la main ; il arrive avec des troupes. Sa pensée a bien un autre éclat ; elle paroît bien plus relevée, lorsqu’elle est revétue de figures poétiques, & lorsqu’elle met entre les mains de César, l’instrument de la vengeance de Jupiter. Ce vers,

Tremblez, méchans, tremblez : voici venir la foudre.


me présente César armé du tonnerre, & les meurtriers de Pompée foudroyés. Dire simplement qu’il n’y a pas un grand mérite à se faire aimer d’un homme qui devient amoureux facilement ; mais qu’il est beau de se faire aimer par un homme qui ne témoigna jamais de disposition à l’amour ; ce seroit dire une vérité commune, & qui ne s’attireroit pas beaucoup d’attention. Quand Racine met dans la bouche d’Aricie cette vérité, revêtue des beautés que lui