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cette toile celluleuse. Stahl parle encore de quelques spasmes qui se bornent à la cage de la poitrine, &c. Mais, ce qui n’est pas moins digne de notre attention, il se trouve de ces spasmes particuliers qui sont périodiques. Hoffman remarque avec étonnement, que dans quelques coliques néphretiques, la cause de la douleur, c’est-à-dire le calcul, étant continuellement présente dans les reins, ces coliques ne reprennent dans la plûpart des calculeux que par intervalles, comme si la sensibilité abandonnoit & reprenoit alternativement certaines parties. Nous disions donc bien que chaque organe a sa vie, ses goûts & ses passions qui lui sont propres, indépendamment de tout ce qui peut lui revenir de son consensus avec les autres organes, propria vivit quadra ; il peut donc se faire une contracture particuliere & spontanée dans une partie, par les seules facultés de cette partie, qui s’irritera sous une cause que nous ne spécifions point, mais qui sera vraisemblablement de la nature de celles qui produisent des sensations désagréables, ou tout simplement l’habitude.

Néanmoins il n’est pas toujours besoin d’un sentiment contre nature, ou de douleur dans une partie, pour la faire contracter ; il lui suffit d’un léger malaise, ou d’un instant de disposition singuliere dans ses nerfs : par exemple, le scrotum ne se contracte-t-il pas sans douleur ? & n’en est-il pas de même des intestins, qui, semblables à un animal logé dans un autre animal, se jettent d’un côté & d’autre du bas-ventre avec de grands mouvemens, & même avec une espece de rugissement ?

Les passions peuvent encore être les causes occasionnelles de ces spasmes particuliers ; & si l’on considere les différens organes qui concourent à former le centre épigastrique, les gros vaisseaux qui s’y trouvent, & dont les tuniques sont presque toutes nerveuses, il sera aisé de se représenter les accidens qui peuvent résulter des fréquentes secousses portées à ce centre ; car vraissemblablement il est de ces organes, qui à raison de leur plus grande sensibilité, doivent retenir les impressions spastiques plus long-tems que les autres, ou chez lesquels ces impressions doivent comme se résoudre & s’incorporer, s’il est permis d’ainsi parler, avec la substance nerveuse d’où l’on est conduit naturellement à reconnoître la cause de beaucoup de maladies chroniques, des tumeurs, & entr’autres du flux hémorrhoïdal, sur lequel Stahl nous a laissé de si belles choses en théorie & en pratique. Voyez Sthal, théor. pathol. sect. II. pag. 161 & seq. Voyez encore le mot Hémorrhoïdes.

Ici revient ce que nous avons dit de la circulation ou des transports des forces du principe sensitif, qui se cantonnent quelquefois dans un centre, en absorbant la somme d’activité des autres centres qui correspondent à celui-ci ; ce qui peut même se faire par un acte de volonté, comme on le raconte du colonel Townshend, chez qui le mouvement du cœur étoit presqu’arbitraire, comme il l’est dans quelques animaux. Vid. lister de cochleis & limacibus, pag. 38.

C’est ainsi qu’un homme absorbé dans une profonde méditation, ne vit, pour ainsi dire, que de la tête ; tel étoit le cas d’Archimede, lorsque le soldat de Marcellus lui donna le coup de la mort ; celui de François Viete dans les deux jours qu’il passa, sans s’appercevoir, à l’explication d’une lettre écrite en chiffres ; & vraissemblablement encore celui de beaucoup de personnes qui se trouvent dans des états contre nature, tels que les mélancholiques, les maniaques, certains fous, &c. qui paroissent plus ou moins insensibles. C’est ce que Vanhelmont a très bien observé, contigit namque, dit-il, si forsitan spiritus iste (c’est-à-dire, anima sensitiva), ob profundas speculationes vel insaniam occupetur, quod corpus dolorem non sentiat, famem, frigora, sitim. de lythiasi,

cap. ix. pag. 52. Il rapporte à ce sujet, dans le même chapitre, l’exemple d’un malfaiteur, qui éluda plusieurs fois les tourmens de la question, en avalant, quelques instans avant de la subir, un morceau d’ail, & buvant par-dessus un coup d’eau-de-vie ; mais enfin sa petite provision étant consumée, le malheureux fut obligé d’avouer ses crimes par le sentiment des tortures.

Tous ces phénomenes rentrent, comme on voit, dans la théorie que nous avons d’abord établie sur les centres & leur influx ; théorie qui, outre les exemples extraordinaires déja rapportés, est confirmée journellement sous nos yeux par ce qui arrive aux épileptiques, aux goutteux, &c. dont les paroxysmes paroissent constamment déterminés par une émotion préalable dans quelque centre.

De la même théorie peuvent se déduire les sensations que rapportent les personnes mutilées au membre qu’elles n’ont plus ; car un centre quelconque portant vraisemblablement en lui comme l’empreinte ou l’archetipe en racourci de tout son département, il est à présumer que l’irradiation sensitive destinée au membre amputé, se renouvelle quelquefois par l’habitude ou autres accidens, & produit la sensation affectée à l’existence du membre. On expliquera également, par ces principes, les causes de la régénération des os ; on trouvera toujours que c’est dans un de ces centres qu’il faut chercher l’agent plastique, qui est le même & dans la formation des os, & dans leur régénération.

Nous avons vu que la terreur étoit capable d’éclipser, pour quelque tems, la sensibilité ; il faut en dire autant d’une douleur extraordinaire, qui en cela ne differe point des extases procurées par la joie & par le plaisir ; les excès étant les points par où se touchent tous les contraires, ces grandes joies & ces grandes douleurs peuvent également aller jusqu’à la destruction de la sensibilité, c’est-à-dire, jusqu’à la mort : cela s’est vu plus d’une fois.

La sensibilité peut se trouver bien souvent si fort exaltée dans certains sujets chatouilleux, qu’on ne sauroit même les menacer de les approcher sans les jetter dans des convulsions. Mais rien qui manifeste tant ces variétés & excès négatifs & positifs de l’ame sensible, que la plûpart des maladies, telles que la rage, le chorea sancti viti, certaines manies, les suites de la morsure ou de la piquûre de certains animaux, comme la vipere, le tarentule, les effets de quelques remedes ou poisons, &c. la lepre, les différentes especes d’apoplexie, de paralysie, &c. les affections vaporeuses, le pica, le malacia, &c. En voilà déja trop sur cette matiere.

Sensibilité dans les différens âges, les différens sexes, &c. L’homme est sans contredit l’animal qui doit posséder la sensibilité au plus haut degré. Il peut en effet passer pour le chef-d’œuvre des ames sensitives ou animales, par l’arrangement merveilleux de ses parties & la prodigieuse quantité de nerfs qui entrent dans leur construction. Disposé par la nature à la connoissance des choses dont le concours fait ce qu’on appelle éducation, Il est étonnant avec quelle facilité ses organes se plient sous les habitudes de l’instruction & des exemples ; au contraire il faut des soins infinis, des peines extrêmes pour faire sur les organes d’une brute une impression assez profonde pour lui inculquer les documens les plus faciles ; cependant on a des exemples d’une sagacité merveilleuse dans quelques animaux, comme le chien, le singe, &c. & même quelques poissons, comme les murenes si cheres, à ce qu’on prétend, aux Romains, par la circonstance de reconnoître la voix de leurs maîtres, &c.

Parmi les hommes, les enfans, & après eux les personnes du sexe, sont ceux qui sont le plus émi-